Les chiffres, à part ceux qui concernent les ressources de l'Etat, ne sont pas très bons. D'accord, mais l'Algérien est-il heureux ? Comment juger l'état d'un peuple ? Au nombre de harraga ou de demandes de visa ? Au nombre de suicides ou d'histoires d'amour ? Au nombre d'espaces de détente, de loisirs ou de prisons ? Pour les statisticiens, l'indice de bonheur n'est pas une donnée subjective ; il est traité sur un classement rationnel dans lequel l'Algérie n'est hélas, une fois de plus, pas bien placée. Mais peut-on trouver d'autres éléments d'appréciation étant donné que l'Algérien, secret, méfiant et superstitieux par nature, est capable de faire semblant d'être malheureux juste pour tromper les statisticiens, l'inspecteur des impôts et l'ensemble de ses voisins ? Quelques indices : les mariages sont en hausse, tout comme le nombre de billets d'avion vendus. Il y a de l'eau, un peu, du soleil, un peu trop, le train Oran-Béchar est en service et l'autoroute Est-Ouest est bientôt terminée. Mais doit-on être heureux qu'un ministre des autoroutes construise des autoroutes ? Apparemment oui, cela aurait pu être pire ; un ministre de l'Intérieur pourrait ne pas s'intéresser à l'intérieur mais à ses avoirs à l'extérieur. Sauf que le fatalisme national, qui consiste à accepter tous les malheurs pour un hypothétique bonheur après la mort, fausse encore le calcul. Les statisticiens algériens sont malheureux, oui, mais les gouvernants, qui sont aussi algériens même si certains en doutent, sont-ils heureux ? Là, il y a déjà moins de doute. Ils sont riches, leurs enfants sont à l'étranger, ils ont de jolies maîtresses et de belles plages, ils viennent de prendre des vacances et vivent mieux que les gouvernants du monde, puisqu'ils ont l'impunité et ne dépriment pas, ni ne sont remis en cause quand ils font des erreurs. Un slogan pour l'été alors : Etat jouissif, peuple dépressif.