Par quel miracle le très officiel Office national des statistiques (ONS) a pu détecter « une augmentation » du taux de chômage en Algérie avec 13,8% en 2007 ? Au moment où « le tout va bien » règne partout, voilà l'ONS qui s'invite dans « le faux » débat sur le chômage et ose déclarer que la tendance est à la hausse. Pire, l'ONS ose même désavouer publiquement le commissaire général à la planification et à la prospective, Brahim Ghanem, qui a annoncé le chiffre de 11.8% en se basant sur... « une enquête de l'ONS ! » Alors de deux choses l'une : ou l'ONS est bicéphale ou il n'existe aucune coordination dans l'élaboration des données à un haut niveau de la responsabilité de l'Etat. L'Algérie refuse toujours de se doter d'instituts de statistiques indépendants capables de produire du chiffre crédible. Tous les organismes susceptibles de discuter ou de critiquer les données officielles ont été neutralisés. A commencer par le Conseil national économique et social (CNES) qui n'est que l'ombre de lui-même. En termes crus, l'Algérie ne peut pas demander une accession à l'Organisation mondiale du commerce (OMC) avec des chiffres non soumis à l'analyse. L'APN n'a aucun pouvoir ni aucune volonté de provoquer le débat libre sur les politiques publiques. Le gouvernement s'est habitué à ignorer la représentation parlementaire en refusant un bilan sur ses actions. L'Exécutif agit comme s'il n'a de comptes à rendre à personne. Les députés ont toute la prérogative d'exiger de l'ONS d'expliquer la manière avec laquelle il a établi le taux incroyable de 13,8% de chômage. Avec l'empressement des députés dits « indépendants » à vouloir réviser la Constitution et à demander à l'actuel président de la République de succéder à lui-même en 2009, l'opinion nationale a compris qu'il n'y a plus rien à attendre de la chambre basse du Parlement. Même la notion de député « indépendant » n'a plus lieu d'être. Passons. Selon l'ONS donc, le chômage n'a augmenté en 2007 que de... 1,5%. Ce chiffre n'est pas minime à l'échelle d'une nation. Ce taux est presque le même que celui de la Tunisie, de la Pologne et de la Croatie. Mieux, il s'approche de celui de la Birmanie, du Brésil, de la Turquie et de la Grèce. Et il est presque le double que celui de l'Allemagne. Moins peuplés, la Libye et le Djibouti ont un taux de chômage de 40% et de 50%. Ce petit comparatif autorise de douter sérieusement du chiffre officiel algérien. UNE ECONOMIE À VISION INCERTAINE D'abord, la structure économique n'est pas aussi solide que celle du Brésil ou de la Turquie. Le Brésil compte parmi les économies émergentes, l'Algérie n'a pas encore atteint ce niveau. L'Algérie n'a pas les entreprises qui créent à la pelle des postes d'emploi comme en Allemagne ou en Turquie. Il n'y a toujours pas de véritable stratégie industrielle. Les performances de l'agriculture sont presque nulles puisque la crise de la pomme de terre et du lait ont montré les limites des plans lancés à grand effort de publicité. Le climat d'affaires est mauvais et l'investissement direct étranger fait face à une montagne de bureaucratie, de corruption, d'incompétence et de réseaux d'intérêts nocifs. L'Algérie n'exporte que le pétrole, le gaz et les dérivés. S'il y a un semblant de croissance, c'est grâce à la bonne conjoncture pétrolière et, à un degré moindre, à certains projets structurants lancés depuis deux ans. Donc, comment le taux de chômage peut-il baisser avec une économie aussi déstructurée et à vision incertaine ? Le secteur informel, qui absorbe une partie de la main-d'œuvre dans les conditions de précarité que l'on sait, est presque érigé en « employeur » ordinaire. D'où les chiffres « roses » qui font la fierté de Djamel Ould Abbès, ministre de la Solidarité nationale. Si la situation est aussi belle, comment expliquer qu'en 2007, tous les records ont été pulvérisés en nombre de harraga. Les jeunes Algériens sont-ils aussi fous pour quitter leur pays alors que les possibilités d'emploi débordent par les fenêtres ? Les autorités algériennes sont heureuses d'annoncer « l'arrestation » (quel mot !) des jeunes harraga que les procureurs de la République s'activent de mettre en prison sans aucune base légale. Pour avoir voulu fuir le mal-vivre et le mépris, un jeune est interdit de respirer l'air libre et de voir le soleil. C'est cette logique répressive qui fera que le nombre des harraga va se multiplier dans les prochains mois. Que « la société civile » officielle se mette à débattre du « phénomène dangereux des harraga » ou que la télévision d'Etat tente de « comprendre » ce phénomène (l'ENTV a découvert que les jeunes algériens peuvent parler !) ne change rien à la donne. Un dernier chiffre : en 2007, 128 cas de suicide ont été enregistrés en Algérie, la plupart sont des chômeurs. L'ONS n'a rien vu.