La question du financement de la campagne électorale du 5e mandat du Président déchu a lourdement pesé, hier, sur les plaidoiries des avocats des hommes d'affaires et des hauts fonctionnaires de l'Etat, lors du procès en appel lié aux indus avantages accordés dans le cadre du montage automobile. Le procès des deux anciens Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, et des ex-ministres Mahdjoub Bedda, Youcef Yousfi, Abdessalem Bouchouareb (en fuite à l'étranger), Abdelghani Zaalane et des hommes d'affaires, Ahmed Mazouz, Hacène Arbaoui, Mohamed Bairi, Ali Haddad, de l'ex-wali de Boumerdès, Nouria Zerhouni, ainsi que de nombreux cadres du ministère de l'Industrie a repris hier matin avec les plaidoiries des avocats. La question du financement de la campagne électorale du 5e mandat du Président déchu a été au centre de l'intervention de la défense d'Ahmed Mazouz et de celle de Ali Haddad. Ainsi, les cinq avocats du patron du groupe ETRHB vont se succéder pour casser l'inculpation de «complicité de financement de la campagne électorale et de blanchiment d'argent» et réclamer la relaxe. Pour Me Benalegue, «l'affaire a été traitée politiquement et non pas sur la base du droit. Elle restera une honte pour la justice». Il dénonce certains passages de l'ordonnance de la Cour suprême qui laissent transparaître un parti pris à l'égard des prévenus. Tout comme il s'est interrogé sur le fait que des personnes ont été entendues comme prévenus et comme témoins en même temps. «Le traitement accordé à Ali Haddad n'a pas été légal. Des officiers de la police judiciaire l'ont entendu en prison, sans que le juge qui l'a placé en détention n'en soit informé. L'autorisation n'existe nulle part dans le dossier, alors qu'ils affirment avoir été autorisés. Ali Haddad fait l'objet de deux poursuites pour le même fait, alors qu'il n'y a aucun document qui prouve qu'il a financé la campagne électorale. On l'a embarqué dans les méandres de la justice en tant que président du FCE et fait de lui un symbole.» Revenant sur le compte de cette campagne, l'avocat s'offusque : «Où sont les déclarations de soupçon de la banque où le compte de la campagne était ouvert avant même qu'elle ne soit lancée ? A l'époque, personne n'a osé se poser de questions. Ils se sont tus. Et aujourd'hui, ils disent qu'il s'agit de revenus d'actes criminels.» Me Rahmouni parle de «confusion entre le financement des partis politiques, bien défini par la loi, et le financement de la campagne électorale, cité par la loi organique pour limiter les montants lors des élections présidentielle ou législatives». Pour l'avocat, Bouteflika n'est «ni président ni représentant d'un parti. Le 10 février, lorsqu'il a fait sa déclaration de candidature, il n'a fait allusion à aucun parti politique». «Où sont les déclarations de soupçons de la banque ?» Au sujet du chèque d'un montant de 390 millions de dinars (39 milliards de centimes) remis par Ahmed Mazouz à la direction de campagne du Président déchu, Me Rahmouni explique que «ce chèque porte son nom et le destinataire était la direction de la campagne. Il n'y a rien d'occulte». Mes Ahmine et Bourayou évoquent un «règlement de comptes» et aussi «quatre ordonnances de renvoi pour une seule poursuite (…)». «En 2014, les gens se bousculaient avec des milliards devant la direction de campagne, mais ils ne sont pas là», déclare Me Bourayou. Me Ahmine s'insurge contre la «violente campagne médiatique menée contre Ali Haddad et l'acharnement judiciaire contre lui», et précise : «Il n'a jamais nommé qui que ce soit. Hamoud Chaid a été désigné par Bouteflika en 2004, 2009, 2014 et 2019. N'est-ce pas Bouteflika qui l'a nommé sénateur du tiers présidentiel durant 20 ans ? Comment Ali Haddad peut-il avoir les prérogatives de le nommer ?» Les avocats d'Ahmed Mazouz, patron du groupe éponyme, plaident eux aussi la relaxe. Pour eux, le prévenu «n'est ni sorti du néant ni un arriviste. Il est industriel de père en fils. Sa richesse n'a pas été érigée grâce aux SKD-CKD. Il a acheté le centre commercial de Bab Ezzouar pour 358 milliards de centimes, avec ses fonds propres, avant d'acquérir celui d'Oran, l'usine de sucre de Souger et celle de boisson de N'Gaous. Il fait travailler 12 000 Algériens. L'argent trouvé sur son compte personnel domicilié à Trust Bank n'est pas sale. Ces fonds représentent les dividendes de ses 23 sociétés. Il paie ses impôts et toutes les vérifications faites depuis 2010 n'ont rien décelé». L'avocat revient sur les décisions obtenues par Mazouz dans le cadre du montage automobile, que «malgré l'agrément définitif obtenu en juillet 2009, Abdelmalek Sellal l'a retardé durant 12 ans et Ahmed Ouyahia l'a laissé le dernier. Il a attendu 12 ans pour avoir la décision technique». Sur la question du financement occulte, l'avocat s'interroge : «Pourquoi considérer Bouteflika comme un parti, alors qu'il n'appartient à personne. Ces montants ont-ils été versés sur le compte du FLN ? Non, et il ne peut pas être un de ses membres parce qu'en 1983, il a été condamné à une peine de prison pour avoir détourné des milliards. Le statut l'interdit. Mazouz aurait pu dire qu'il a donné l'argent à Bouteflika parce qu'il l'aimait. Il a donné en 2004, 2009 et 2014 par conviction. C'est son droit. De plus le chèque est passé par la banque, il ne peut pas avoir le caractère d'occulte. Il y a une traçabilité. Mazouz est victime de sa réussite.» Il demande la relaxe et l'annulation de la nomination de l'administrateur judiciaire au niveau du groupe Mazouz. Puis c'est au tour des avocats de Mahdjoub Bedda, ex-ministre de l'Industrie, de plaider la relaxe. Au nombre de sept, ils mettent tous en avant «la compétence» de leur mandant, la «tragédie» vécue au tribunal de Sidi M'hamed. Ils évoquent la courte période de deux mois passée à la tête du département de l'Industrie (en remplacement de Abdessalem Bouchouareb), et expliquent qu'«il n'était que le dernier maillon où atterrit le visa technique. Il n'a validé que les dossiers qui remplissent les conditions techniques prévues par la réglementation. Il n'a pas donné d'avantages, alors en quoi Bedda est-il responsable ?» Les avocats qualifient l'expertise de l'IGF de «réquisitoire contre la politique du gouvernement» et précisent que «le préjudice qu'elle évoque ne repose sur rien. Il est venu pour assainir la situation, mais au bout de deux mois, il a été démis. Il dérangeait trop. Lui-même est une victime». La défense met l'accent sur le contexte dans lequel le haut fonctionnaire a exercé sa mission, en affirmant : «Il n'a aucune relation avec les gouvernements d'Ahmed Ouyahia et de Abdelmalek Sellal. Il a été nommé en 2017, avec un nouveau Premier ministre, lui-même démis de ses fonctions juste après pour avoir pris des décisions qui ne plaisent pas. En deux mois, que pouvait-il faire ? Juste une commission pour faire l'état des lieux. Comme est en train de faire l'actuel ministre. Il est compétent et a fait trois mandats à l'Assemblée nationale. Il était le plus jeune ministre.» Jusqu'en fin de journée, les avocats de Bedda étaient toujours en train de plaider, alors que ceux de Youcef Yousfi, de Abdelmalek Sellal et de Ahmed Ouyahia étaient en attente.