Laurent Chalard est Docteur en géographie de Paris IV-Sorbonne, Consultant, Membre du think tank European Centre for International Affairs (ECAI). -Quels pourraient être, selon vous qui semblez bien connaître l'Algérie, les actions à entreprendre et les dispositifs à mettre en place, par notre pays, pour aider son économie, toujours dépendante des hydrocarbures, à faire face au défi mondial de la pandémie du Covid 19 et le lourd impact y résultant? Je dois d'abord parler de l'impact économique de cette crise sanitaire à court terme. D'un côté, comme l'ont signalé différentes organisations internationales, l'Algérie est considérée comme l'un des pays africains les mieux armés pour faire face à la crise sanitaire du Covid 19. En effet, elle bénéficie d'un niveau de richesse supérieur à la moyenne du continent et d'un système sanitaire, qui, s'il apparaît moins développé que dans les pays de la rive nord de la Méditerranée, n'en demeure pas moins l'un des plus performants d'Afrique, grâce, entre autres, à un nombre important de médecins (selon les données de la banque mondiale, en 2016, il y avait 1,8 médecin pour 1000 habitants en Algérie contre 0,7 pour 1000 au Maroc et 0,2 pour 1000 en Afrique subsaharienne) et d'hôpitaux, un des rares héritages positifs de la période socialiste. En outre, même si les connaissances scientifiques concernant le Covid 19 sont balbutiantes, les caractéristiques climatiques du pays, dont la forte chaleur estivale, sont considérées par les épidémiologistes comme des facteurs limitant la propagation d'un virus à caractère respiratoire. Il s'ensuit qu'on pourrait penser, au premier abord, que l'impact économique du Covid 19 ne pourrait s'avérer que relativement marginal. Cependant, d'un autre côté, l'Algérie est très fragilisée car son économie est fortement dépendante de la rente pétrolière. Or, la crise sanitaire internationale du coronavirus a fait plonger le prix du pétrole, déjà relativement bas depuis plusieurs années, pesant d'autant plus sur la situation économique algérienne et limitant les capacités d'intervention financière de l'Etat. Ce dernier n'est pas en mesure d'injecter autant d'argent dans l'économie que les pays de l'Union Européenne qui prévoient un plan de soutien de plus de 500 milliards d'euros, une somme supérieure plus de deux fois au PIB annuel de l'Algérie, qui est inférieur à 200 milliards d'euros. Deuxième élément problématique, dans une économie globalisée, l'Algérie étant très dépendante des pays européens ou asiatiques concernant l'importation de produits manufacturés, l'arrêt temporaire de l'activité économique au nord de la Méditerranée et en Asie orientale est susceptible d'entraîner momentanément des pénuries d'approvisionnement pour certains produits, conduisant mécaniquement à un ralentissement de l'activité économique algérienne, même si la crise sanitaire venait localement à être jugulée. Il s'ensuit que l'Algérie pourrait subir une double peine, voyant ses revenus chutés à la fois car le prix du pétrole est bas et car son économie tourne au ralenti. -Que faire pour contrer cet impact? Pour revenir à votre question et les initiatives pour contrer l'impact économique de l'épidémie et que faire dans ce cadre? Tout d'abord, il convient de rappeler que l'Algérie grâce à sa rente pétrolière est l'un des pays les moins endettés du monde (en 2018, la dette équivaut à environ 1 % du PIB annuel du pays), ce qui sous-entend que, s'il est nécessaire, le pays peut emprunter de l'argent sur les marchés internationaux sans prendre trop de risques, contrairement à la plupart des pays émergents, qui sont fortement endettés. D'ailleurs, la possibilité d'un recours à l'endettement extérieur est déjà actée dans le projet de loi de finances de 2020. Concernant les actions à mettre en place face à cette situation inédite. Elles sont de deux ordres. Les premières relèvent de la lutte contre l'épidémie, avec pour objectif d'empêcher sa propagation, facteur de ralentissement de l'économie et de potentiels troubles sociaux. Dans ce cadre, à l'heure actuelle, l'Algérie, tout comme le reste du continent africain, a un besoin urgent de tests, permettant de prendre l'ampleur de la contagion, ce qu'a bien compris l'Union Africaine qui s'apprête à distribuer 1 million de tests sur le continent, un premier pas à saluer mais largement insuffisant si l'épidémie venait à prendre plus d'ampleur. Il convient donc que le gouvernement algérien fabrique lui-même le maximum de tests possibles, ce qui passe par un accompagnement financier du secteur pharmaceutique. Il en va de même pour les masques qui permettent à la population de se protéger dans les lieux publics, et pour les respirateurs artificiels dont ont besoin les services de réanimation des hôpitaux, que l'Algérie devrait, en théorie, être en mesure de pouvoir fabriquer elle-même. Parallèlement, l'accélération de la transition vers l'économie numérique est indispensable, la crise sanitaire témoignant de l'importance de ce secteur pour contrer l'épidémie, à travers, entre autres, le développement du commerce électronique, permettant aux citoyens d'éviter de fréquenter physiquement les commerces, lieux de contagion. Une fois que la situation se sera améliorée, ce qui semble en bonne voie d'après les échos du personnel médical de Blida, pour éviter une seconde vague, il faudra surveiller les arrivées de voyageurs étrangers, en les mettant systématiquement en quarantaine, en particulier pour les personnes provenant de France, pays où la diaspora algérienne est fortement touchée par le Covid 19. Les secondes actions concernent le soutien à l'économie pour éviter son effondrement dans un contexte international qui risque de s'avérer fortement dégradé pendant des mois, voire des années, si la crise sanitaire venait à perdurer. Dans ce cadre, outre le recours à l'emprunt international, il serait souhaitable d'instaurer un soutien temporaire aux petites entreprises privées, à travers, entre autres, des réductions d'impôts et la possibilité qu'elles retardent le paiement de leurs fournisseurs dans l'attente d'une amélioration de leur trésorerie. Parallèlement, des aides financières devraient être apportées aux particuliers, surtout les plus démunis pour éviter de les faire plonger dans l'extrême pauvreté, source de tensions sociales importantes. En effet, ce sont les personnes exerçant des « petits boulots », très répandus en Algérie, qui sont les premières victimes du ralentissement de l'activité économique. -Et qu'en est-il des conséquences à long terme ? Peut-on tirer profit de cette crise sanitaire inédite ? Vous voulez dire un risque qui pourrait se transforme en chance pour l'Algérie ? Si à court terme, comme nous venons de le voir, la crise du Covid 19 apparaît comme un défi supplémentaire à relever pour l'Algérie, à plus long terme, si le pays la surmonte de manière satisfaisante, la situation pourrait être plus avantageuse. En effet, à travers les potentielles modifications de la géographie économique mondiale que cette crise sanitaire planétaire est susceptible d'entraîner, les pays européens cherchant à diversifier leur approvisionnement en produits manufacturés ailleurs qu'en Chine, dont ils se sont rendus compte d'une dépendance exagérée, l'Algérie pourrait tirer son épingle du jeu en arguant auprès des entrepreneurs européens de sa proximité géographique et de l'importance de sa main d'œuvre disponible pour développer des activités comme les productions textile, automobile ou pharmaceutique. C'est une chance à saisir pour l'Algérie, qui pourrait, enfin, redorer son blason économique auprès des investisseurs européens, d'autant que le nouveau contexte politique est propice « à vendre » une « autre Algérie » pour le futur. Une fois la crise sanitaire passée, une campagne de marketing territorial international agressive devrait voir le jour afin de placer le pays sur la carte de l'économie mondiale. Pour que cette politique soit couronnée de succès, il faudrait qu'elle soit accompagnée d'une série de mesures favorisant une plus grande ouverture de l'économie nationale, faisant prendre conscience aux investisseurs internationaux que le pays suit une nouvelle voie. Aux autorités politiques d'être à la hauteur des enjeux !