De son vivant, il collectionnait tous les superlatifs. Pourtant, il était loin d'être un homme consensuel. Homme engagé dans la vie et dans l'art, Jean Rouch a marqué le cinéma et l'ethnologie. En 1941, le ministère des Colonies embauche des ingénieurs pour aller construire des ponts en Afrique. « C'était une bonne occasion pour quitter la France occupée. Lors de ce voyage, j'ai rencontré Théodore Monod qui dirigeait l'Institut français d'Afrique noire à Dakar. J'ai découvert le fleuve Niger sur un vieux bateau à roue, avant de débarquer dans une petite sous-préfecture où tout le monde était pétainiste. Pendant mon service, j'ai dirigé la construction de gigantesques ponts à la romaine. C'était mon premier contact direct avec les Africains, et c'est en devenant ami avec eux que j'ai eu l'occasion d'assister à un rituel de possession. Je me suis passionné pour l'ethnographie, et j'ai commencé à mener des enquêtes, faire des photos et écrire des articles que j'envoyais à Monod qui les publiait », se souvenait « le sorcier blanc ». De cette rencontre avec l'Afrique naîtront 120 films qui ont révolutionné le cinéma ethnographique, le documentaire. De cette rencontre naîtra un amour pour l'Afrique et les Africains. « Jean Rouch n'a pas volé son titre de carte de visite : chargé de mission au Musée de l'homme. Existe-t-il une plus belle définition du cinéaste ? », disait de lui Jean-Luc Godard. Existe-t-il meilleur hommage au précurseur de la Nouvelle Vague, sommes-nous tentés de dire ? Car Jean Rouch a bousculé, et avait continué à le faire jusqu'à sa mort, les codes aussi bien au niveau de la fiction que du documentaire. « Jean Rouch aura traversé le XXe siècle en arpenteur engagé de l'histoire (la guerre d'Espagne, la Seconde Guerre mondiale, la décolonisation), de l'art (le surréalisme, la Nouvelle Vague) et des sciences humaines (l'ethnologie). C'est au cinéma que cette prolifique expérience se cristallise et qu'il doit ses plus grands titres de gloire, tout à la fois comme refondateur du cinéma ethnographique, pionnier du cinéma direct, précurseur et compagnon de route de la Nouvelle Vague. Rien de moins », écrivait Jacques Mandelbaum dans Le Monde. Le coffret, éditions Montparnasse, regroupe la première partie de l'œuvre du cinéaste, ethnographe, documentariste. On (re)découvre la complexité et l'humanité sans fard et sans voyeurisme d'un homme qui n'a jamais cessé de construire des ponts entre les hommes. Le coffret, pétillant d'intelligence, montre que le cinéma n'est pas seulement un passe-temps. Que l'art est aussi un combat.