Plus de 300 films seront programmés durant les 10 jours que durera le Festival. Pour Marco Solari, le président de cette importante manifestation cinématographique internationale, ce rendez-vous estival (5-15 août) contribue à renforcer «l'image d'une région (le Tessin) à forte vocation touristique et d'un territoire de "transit", pont entre le Nord et le Sud, entre cultures et langues du Nord et du Sud». Ce à quoi le critique Frédéric Maire, directeur artistique en fin de mandat, fait justement écho en affirmant que «cette édition présente à la fois le meilleur des cinématographies reconnues, comme elle explore de nouveaux territoires tels que la Mongolie, la Corée du Nord et l'Afrique du Sud». En bon observateur du glissement progressif des terrains cinématographiques, le sélectionneur de Locarno, relève avec pertinence que la géographie alors, «se fait incertaine: un Italien en Argentine, une Chinoise à Londres, une Hollandaise en Irlande, des Allemands au Cambodge, un Français à Lisbonne. Cet échange de regards et d'origines devient matière même d'une réflexion sur le cinéma». Dix jours de projection, au bord du lac, de plus de trois cents films apporteront, sans doute quelques réponses à ce débat qui transcende les frontières et qui est loin d'être posé avec justesse dans nos contrées, tant nous paraissons, dépassés par les évènements et peu enclins à l'ouverture des chantiers d'avenir. Hormis les Palestiniens et les Libanais, c'est tout le monde arabe qui semble «raisonner» (le mot est fort) de manière archaïque. Et à Locarno c'est une jeune cinéaste turque qui vient nous en apporter la preuve avec son film Les Hommes du pont.Fait avec de bouts de ficelles (lesquelles «ficelles» proviennent de pays à l'écoute, comme la Hollande, l'Allemagne etc.), ce premier «draft» a, malgré son caractère un peu brouillon, séduit plus d'un ici et même réussi à susciter l'adhésion des aînés de la jeune réalisatrice d'Istanbul puisqu'elle est parvenue à décrocher la plus haute distinction dans deux festivals, en Turquie (à Adana et Istanbul).Filmé à la manière de Jean Rouch, celui de Paris vu par...,le film narre le quotidien de trois jeunes: un vendeur de fleurs à la sauvette, un chauffeur de taxi et un policier en «exil» intérieur, de son Kurdistan natal à Istanbul. Sans concessions, mais sans acharnement, non plus, Asli Özge, fait une peinture au «vinaigre» d'une société en mal d'inspiration dès lors qu'il s'agit de se pencher sur une génération de jeunes, que l'on devine victime de l'école fondamentale version turque, minilingue sans conteste et peu optimiste sur ce qui pourrait advenir de bien pour «illuminer» une terne vie. La Turquie, qui réclame à juste titre sa «part d'Europe», semble là, avoir fait peu cas de ce qui a fait le développement du monde occidental, une répartition un peu plus équitable du savoir et des connaissances. Asil, avec l'air de ne pas y toucher, profite des images d'un défilé militaire, pour laisser ses jeunes héros se poser des questions sur l'utilité de cet armement. Au point de souhaiter une...guerre! Mais si la guerre est là, aux confins, elle est, certes aveuglément menée par les irréductibles du PK Kurde, mais aussi instrumentalisée depuis des lustres par un système qui a grandi à l'ombre du père de la nation, Kemal Ataturk. Et les Islamistes, bon teint, du sieur Ordagan, n'en font pas moins...Pendant qu'une jeunesse subit, avec une frustration grandissante, ce décalage criant. Les hommes du pont du Bosphore, ne se sont pas encore jetés de celui-ci qui fait la jonction avec l'Europe, mais nul ne peut dire jusqu'à quand cela durera.