Sachant bien que les réserves de pétrole sont déjà limitées, maintenant qu'un organisme étatique vient de reconnaître que les réserves en gaz naturel seraient épuisées dans un avenir proche, il est temps de mieux définir une stratégie énergétique dans un contexte de développement économique durable. Heureusement que ce problème énergétique est global. F. Bensebaa (*) En effet les difficultés énergétiques, environnementales et économiques sont maintenant bien cernées et les solutions concrètes existent. Les Français ont choisi le nucléaire depuis les années 70, les Allemands on choisi l'éolien et le solaire depuis les années 90, et les Emirats viennent de lancer la construction de centrales nucléaires. Pour des considérations surtout locales, le Danemark, le Brésil et l'Islande ont choisi l'éolien, la biomasse et la géothermie respectivement. L'Arabie Saoudite vient d'annoncer qu'elle refuserait d'augmenter sa capacité de production de pétrole pour assurer ses besoins internes dans le futur, et a lancé un programme solaire ambitieux. Le succès stratégique de la majorité de ces pays a été confirmé. Pour les autres, il faudrait encore attendre plusieurs années. Y-a-t-il des solutions durables pour l'Algérie ? Il faudrait reconnaître qu'il existe des dizaines voire des centaines d'études qui ont fait le tour de la question de l'énergie du futur. Toutefois la majorité de ces études sont inutiles. Elles sont soit faites dans un contexte différent de celui qui existe en Algérie, soit superficielles car elles ignorent certains paramètres technico-économiques importants, ou bien tendancieuses car elles sont surtout faites dans un but commercial et de marketing pour favoriser une technologie par rapport à une autre. Afin d'illustrer ce chauvinisme technologique, on a juste à regarder de près la filière nucléaire. C'est vrai que l'énergie nucléaire a des avantages comparatifs considérables, en commençant par les faibles taux d'émission de gaz à effet de serre, sa très forte densité énergétique et des réserves d'uranium relativement importantes en comparant aux autres énergies fossiles. Mais elle a deux gros inconvénients, en plus du problème de sécurité. Le premier est lié aux coûts élevés des équipements, et surtout des délais de construction moyens d'une dizaine d'années, trop élevés par rapport aux énormes investissements initiaux. Jusqu'à récemment, le nucléaire a été donc faussement présenté comme la technologie la moins chère. Les subventions directes et indirectes des gouvernements où se trouvent les champions de l'atomique (France, Etats-Unis, Canada, Russie, Japon, et Corée du Sud) ont masqué les coûts réels. Récemment, des études indépendantes commencent à apparaître, confirmant des coûts dépassant les autres formes de production d'électricité, incluant le solaire et l'éolien. Grâce aux exportations dans les domaines civils et militaires, ces subventions sont vite récupérées. Le deuxième inconvénient est lié à la difficulté de la maîtrise du savoir-faire technologique. En effet, ce savoir-faire reste (et restera) entre les mains de quelques gros joueurs. Même dans ces conditions, le nucléaire serait compétitif à long terme. La raison principale, c'est qu'il y a très peu de technologies capables de fournir une production de base continue 24h/24 7j/7, une fois que les ressources à base de carbone seraient épuisées. Certes, il ya assez d'énergie solaire et éolienne pour satisfaire au moins 10 fois la consommation mondiale actuelle, mais l'intermittence de ces énergies renouvelables limitent la taille du marché, à moins qu'on développe des capacités énormes de stockage énergétiques. Vu le coût élevé du stockage énergétique, le désavantage économique sera encore plus accentué. Par contre, l'énergie solaire et éolienne avec un stockage approprié reste la meilleure solution pour satisfaire les demandes en pic durant l'été. Le choix doit se faire d'une façon stratégique en considérant toute la chaîne de valeurs. Quelle serait donc la meilleure solution ? Si on veut éliminer l'utilisation directe du gaz naturel et du pétrole dans la production d'électricité, sans compromettre la qualité des services en électricité, il n'y a pas de solution magique et unique. Pour plusieurs raisons, ni le nucléaire, ni le solaire, ni l'éolien ne représentent une solution convenable à elle seule. Il faudrait un mélange bien dosé et complémentaire des trois technologies pour satisfaire d'une façon durable les besoins à long terme du pays. Bien sûr, l'introduction de ces trois technologies doit être faite d'une façon stratégique avec un calendrier temporel bien défini. De plus, dans 10-20 ans on ne pourrait pas compter sur des revenus de pétrole/gaz pour acheter encore des usines clés en mains, voire même les entretenir. La production locale des composants, voire en exporter, est importante. Bien sûr, pour les trois technologies il faudrait éviter l'acquisition clés en main dès maintenant, afin d'initier un vrai transfert du savoir-faire. Dans le cas du photovoltaïque la maîtrise de la chaîne de valeurs (incluant la production de tous les composants, l'installation et la connexion au réseau) est à la portée d'entreprise privées existant déjà aujourd‘hui. C'est aussi le cas de l'éolien, à l'exception d' un ou deux composants. C'est encore plus difficile dans le cas du nucléaire. La partie engineering fait appel à beaucoup de savoir-faire que seules quelques multinationales maîtrisent. De plus, certains composants sont fabriqués uniquement par une ou deux compagnies. Le développement de la filière nucléaire pourrait prendre donc beaucoup plus de temps. Le déploiement de ces trois technologies énergétiques doit se faire selon l'ordre de la facilité de leur maîtrise. De plus, le solaire et l'éolien sont complémentaires aux centrales électriques actuelles, surtout pour satisfaire les demandes en pointe. A très long terme, les centrales nucléaires pourraient remplacer les vielles centrales au gaz naturel. Avec ses réserves en uranium naturel, l'Algérie pourrait être un joueur dans l'amont du nucléaire civil, ce qui est loin d'être négligeable en termes de micro et macro-économies. Il faudrait aussi assurer des rentrées en devises en créant des PME exportatrices Les énergies renouvelables peuvent être des moteurs économiques considérables si la bonne stratégie est adoptée. Les énergies renouvelables sont une partie importante et intégrante de l'économie verte, mais ce n'est pas l'économie verte. Certains l'ont déjà baptisée la quatrième révolution industrielle. Obama et Merkel (pour ne citer qu'eux) ont déjà misé gros sur ces énergies renouvelables pour donner aux Etats-Unis et l'Allemagne le leadership dans cette nouvelle économie. En plus de satisfaire les besoins locaux à long terme, les nouvelles filières énergétiques doivent aussi remplacer les revenus liés aux exportations en pétrole et en gaz naturel. Ce n'est qu'une fois que le marché local est satisfait et que ces industries ont développé leur compétitivité au niveau local, avec le soutien des organismes gouvernementaux et para-gouvernementaux, que l'Algérie pourrait penser à vendre de l'électricité à ses voisins du Nord et même exporter des composants à un prix compétitif. La MENA (Middle-East and North Africa) et l'Afrique sub-saharienne constituent des marchés énormes et presque vierges, qu'il ne faudrait pas négliger. Le développement de champions industriels avec un réseau de PME compétitives à l'échelle internationale doit être une priorité à court terme. Comment arriver là ? La pire erreur est de précipiter les décisions et les actions. Je ne pense pas que la solution viendrait d'un seul opérateur qu'il soit privé, étatique ou académique. La concertation doit être faite au préalable, d'une façon ouverte et consensuelle. Le privé doit prendre une part importante dans le développement de la filière énergétique du futur. L'Etat, en tant que régulateur, doit veiller à ce que les règles du jeu établies à l'avance soient bien respectées par tous. Cibler la formation technique ainsi que la recherche et développement Une très bonne stratégie va rester lettre morte, s'il n y a pas d'employé(e)s qualifié(e)s et des entreprises privées/publiques compétitives pour l'exécuter. Un programme de formation technique des ingénieurs et techniciens, pour la fabrication des composants ainsi que l'installation et la maintenance, doit être mis en place d'une façon à satisfaire les besoins actuels et futurs de cette industrie. Une adaptation des programmes de formation en instaurant des cursus avec plus de pratique et moins de théorie. Motiver les formateurs et surtout privilégier la qualité par rapport à la quantité sont d'autres paramètres importants. Pour cela, un rapprochement effectif et gagnant-gagnant entre l'industrie et le secteur académique doit se faire, en s'inspirant beaucoup des pays asiatiques dans ce domaine. Quoiqu'on parle beaucoup de recherches utiles et/ou appliquées, ces termes sont vidés de leur vrai sens, si les besoins ne sont pas définis par les vrais acteurs et utilisateurs. Il faudrait reconnaître que le chercheur a le savoir (mais pas le savoir-faire) qui pourrait être utilisé pour apporter des éléments de solutions aux différents besoins de ces filières énergétiques. Par contre, ce chercheur est loin de connaître les vrais besoins en recherche et développement. Les centres de recherches vont développer des projets pour soutenir le déploiement des trois filières énergétiques selon un plan bien défini. Ces projets pourraient êtres ainsi co-financés par l'Etat et le privé à la lumière de ce qui se fait dans les pays développés sur une base gagnante pour toutes les parties. Encore une fois, une concertation préalable industrie-université est primordiale, sous la houlette d'un Etat régulateur, bienfaiteur et jouantmême au père Fouettard, si cela est nécessaire. Malheureusement, plusieurs intervenants actuels et potentiels travaillent présentement en vase clos, voir même d'une façon conflictuelle. F. B. (*) Professeur associé – Université de York (Toronto)