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Cette épreuve du siècle (3e partie et fin)
Le pétrole
Publié dans El Watan le 14 - 06 - 2005

En général, une flambée des prix du baril est suivie, tôt ou tard, par un retour à la normale, voire une drastique dégringolade, et vice-versa. Les raisons sont diverses. Par exemple, une flambée comme celle de 2004 qui, pour certains spécialistes, pourrait gagner aussi l'année 2005, encourage les majors à hisser leurs budgets d'investissement, notamment dans la recherche et la production. Ces budgets dépasseraient les prévisions si les prix se maintiennent. Du coup, l'abondance du pétrole, exhortée par des demandes grandissantes, risque d'atteindre, un jour, un niveau qui pousserait les prix à la baisse avec un retour possible, mais graduel, à 25-30 dollars le baril, d'autant que des circonstances favorables semblent se profiler à l'horizon. Le niveau actuel des prix peut être fondamentalement lié, entre autres, à un « antichoc » pétrolier en termes de capacités de production. La remarquable croissance économique chinoise et la consommation américaine ont « raflé » près du tiers de la demande mondiale en 2004 et l'appétit chinois aurait été plus ouvert s'il y avait plus de brut sur le marché. Il n'y a pas de pénurie à l'échelle mondiale, mais elle semble l'être à l'échelle chinoise, tout au moins. C'est cette « pénurie » à la chinoise qui aurait empêché une croissance « incontrôlable », effrayant même les dirigeants du pays. Si en 1981, par exemple, le baril avait dépassé la barre des 32 dollars, et pour cause une sous-utilisation des capacités existantes, en 2004, c'est plutôt le manque de capacités excédentaires qui semble être à l'origine de la situation du marché. Tous les pays de l'OPEP, exceptée l'Arabie Saoudite, ont atteint leurs capacités maximales, mais les prix sont restés très élevés (les capacités OPEP ont atteint un taux d'utilisation de 98,3% en octobre 2004). Sur d'autres plans, le déséquilibre entre l'offre et la demande tire un peu ses origines dans l'« incompatibilité » des politiques monétaire, étrangère et énergétique des Etats-Unis qui consomment, à eux seuls, pas moins de 20 millions de barils/jour (tous produits pétroliers confondus). Si la dépréciation stratégique ou « politique » du dollar, monnaie de référence des transactions pétrolières, n'a qu'un effet relativement épisodique sur la chute de l'offre, le programme Iran & Libya Sanction Actions (ILSA) , pénalisant les investisseurs en Iran et en Libye, le climat d'insécurité installé par les guerres en Afghanistan et en Irak... ont freiné des années durant le développement des activités pétrolières, notamment les projets d'extension des capacités de production des pays de l'OPEP du Moyen-Orient. La libération des contraintes en matières de différends, d'insécurité et d'instabilité politique ne fera qu'autoriser la reprise des intentions d'investissements et un retournement durable du marché vers celui de l'acheteur : En Iran, où gisent 9% des réserves mondiales de pétrole et 15% des réserves de gaz, le programme ILSA, qui est au désavantage des compagnies américaines devant celles européennes ou asiatiques, ne pouvait s'éterniser. Après une vingtaine d'années de claustration internationale et depuis la victoire des réformistes aux législatives de février 2000, le pays a décidé de dérouler son tapis persan aux investisseurs étrangers. Malgré le dossier du « programme d'armes nucléaires » iranien, Washington ne peut indéfiniment empêcher l'investissement pétrolier dans ce pays. La production attendue pour 2015 est estimée à 7 mbj, soit près du double du plateau actuel (3,9 mbj). Le retour des compagnies américaines en Libye ouvre le champ à l'investissement E&P dans ce pays qui dispose de plus de 3% des réserves mondiales, d'autant que les derniers rounds promouvant le domaine pétrolier libyen ont connu une compétition très intense. La guerre contre le régime des talibans en Afghanistan aura pour retombée une redistribution des cartes en Asie centrale et la réhabilitation des activités pétrolières en matière d'exploitation et d'infrastructures de transport. L'implication des Etats-Unis dans cette région s'inscrit dans leur politique énergétique nationale à moyen et long termes, pour la sécurisation de leurs approvisionnements. En mer Caspienne, bien que la question du mode de partage des eaux par les cinq pays riverains demeure en suspens, le volume des investissements risqués entre 1990 et 2020 était estimé à environ 120 milliards de dollars, rien que dans l'activité exploration-développement. Ces investissements, non ajoutés au risque politique, avoisinent 180 milliards de dollars. Les pays caspiens étant pauvres et à technologie limitée, cette région est appelée à se développer avec l'apport technologique et financier des compagnies étrangères. Les dernières estimations font état d'un potentiel de 40 milliards de barils de pétrole et pas moins de 600 milliards de mètres cubes de gaz. Les marchés européen et asiatique étaient les plus ciblés par les projets d'exportation en 2010 (90 milliards de mètres cubes de gaz et 120 millions de tonnes de pétrole étaient prévus à l'exportation). Si l'Irak réintègre sa véritable place au sein de l'OPEP, son quota pourrait probablement dépasser celui d'avant-guerre (3.2 mbj). La reconstruction du pays et le redressement de ce qui reste de son économie, ruinée par l'embargo et les guerres, passent par une véritable relance de l'activité pétrolière, en quête de réhabilitation. Les autorités irakiennes ont avancé l'objectif de 6 mbj. La stratégie énergétique américaine, « Irak contre Arabie », s'inscrit dans la diversification des sources plutôt que dans leur substitution. Le Moyen-Orient qui contrôle près de 45% des exportations mondiales, notamment l'Arabie Saoudite, qui couvre 17% des importations américaines, demeurent des sources d'approvisionnement très privilégiées durant les prochaines décennies. L'Arabie Saoudite envisage d'ailleurs de développer six nouveaux champs pétroliers et d'augmenter sa production de 30% dans les trois années à venir pour mieux satisfaire les besoins des gros consommateurs. La politique générale de diversification des sources d'approvisionnement par les gros consommateurs engage ces derniers dans la revalorisation des réserves et le développement des capacités de production dans le pays ou la région ciblés. Dans le même temps, la limitation progressive de la consommation des énergies fossiles dans des pays industrialisés, la lutte contre la pollution, la garantie et la sécurité des approvisionnements ne seront pas sans effets sur les prix du pétrole. Tout semble augurer une tendance « moyen-long termes » vers un marché de moins en moins fiévreux et un écoulement à flot d'un brut à prix modéré sous des conditions économiques plus incitantes et géopolitiques plus favorables. Au fond, une flambée durable des prix n'est pas un couronnement en soi. Le gaz étant indexé au pétrole, elle mettra le nucléaire en compétition. Il y avait peu de pétrole, il y en a beaucop, il y en aura peu et il n'y en aura plus, sans que les « années pétrole » soient nécessairement les plus prospères. En « années pétrole », l'incertaine et fluctuante « richesse » coule au rythme du fragile baril, au rythme du capricieux marché dont l'avenir peut être dépeint de toutes les couleurs. Ce marché fixe le budget annuel et le PIB des Etats rentiers et décide de la qualité de la vie des populations. Si sa déprime nourrit les contestations sociales, sa manne peut transmettre la « dutch disease », épidémie hollandaise des années 1960, réduisant la motivation des gouvernements dans la diversification économique. Même ceux qui baignent dans le pétrole risque de s'y noyer. Un pays comme l'Arabie Saoudite, qui a enregistré une perte de 12 milliards de dollars lors de la crise économique sud-asiatique de 1997-1998, ne peut hisser son PIB (actuellement proche de 8700 dollars/tête) à celui d'un non-pétrolier, l'Espagne, par exemple, que si le prix du baril se maintient durablement à 50 dollars. Quant au PIB moyen de l'ensemble des pays de l'OPEP (1600 dollars/tête), et qui ont perdu une soixantaine de milliards de dollars durant la même crise, il n'atteindra celui de l'Espagne (15 000 dollars/tête) que si le baril coûtera 140 dollars. Il est beaucoup plus facile d'atteindre le PIB espagnol par le développement d'une économie de production que d'imaginer un prix durable du baril à 140 dollars. Plus de 150 milliards de dollars étaient alloués, en 2001, par l'Administration américaine au plan de relance économique, dont 40 milliards de dollars pour la réfection des seuls lieux de l'attentat du 11 septembre. C'est vrai que les USA sont riches mais une question s'impose : pourquoi le sont-ils alors qu'ils importent du pétrole ? En ce qui nous concerne, la bataille que nous menons vise, certes, le profilage d'une croissance économique rapide et durable, mais elle ne peut être gagnée avec comme unique aubaine la luxuriante mais incertaine manne pétrolière. Les exportations hors hydrocarbures étant toujours une vision de l'esprit, la manne pétrolière, seule et se heurtant déjà à des impondérables, ne peut, indéfiniment, venir à bout des besoins sociaux et économiques, toujours croissants, du pays. Ce dernier se doit de promouvoir activement ses secteurs économiques hors hydrocarbures, au moment où les investisseurs, européens notamment, braquent prioritairement leurs projecteurs sur les « pays de l'Est » du fait de l'élargissement de l'Union européenne à 25 Etats ou plus. Il est clair qu'il y a une relation directe entre l'ouverture à l'internationale et la croissance hors hydrocarbures. La clef de la réussite « économique » de la Corée du Sud, pourtant pauvre en ressources minérales, réside dans son orientation toute récente (en 1996) vers une mondialisation accrue. Son PIB avoisine les 500 milliards de dollars pendant que celui de la Corée du Nord, dont l'économie côtoie l'asphyxie, serait de l'ordre de 25 à 30 milliards de dollars seulement. L'écart économique entre les deux Corée est indiscutablement lié à des
flux incomparables en matière d'IDE. A l'échelle mondiale, le niveau des investissements directs étrangers, qui n'étati que de 70 milliards de dollars il y a 30 ans, a atteint aujourd'hui plus de 3000 milliards de dollars. Le protectionnisme, la politique d'autosuffisance et le « compter sur soi » idéologiques ont souvent constitué une cause de l'inflation et du chômage, même dans les pays les plus avancés. Dans les années 1980, la limitation des importations des véhicules japonais par les USA a généré une augmentation des prix de 30 à 40 % et une baisse des ventes causant de nombreuses suppressions d'emplois. Néanmoins, la mondialisation n'a rien d'une systématique compassion économique ou commerciale et la sauvegarde des principes de souveraineté des Etats engagés est plus que jamais une condition sine qua non pour sa prouesse. L'anti-dumping et le recours aux clauses sociales constituent d'ailleurs les sujets les plus préoccupants tant pour les organisation antimondialistes que pour les pays pauvres ou à économie de transition. Le pétrole algérien, qui coulera encore à flots pendant une période de deux ou trois décennies (voire plus, si nos réserves dormantes s'éveillent), est en mesure d'accompagner à terme les mutations économiques engagées par le pays. Il faut, en effet, plus d'une vingtaine d'années pour épuiser nos réserves (prouvées) à raison de 1,4 million de barils par jour. Mais en terme de vie d'une nation cette période est courte. Un enfant né aujourd'hui aura déjà 20 à 30 ans à cette échéance et beaucoup d'adultes parmi nous, aux commandes aujourd'hui, ne joueront que très peu ou plus leur rôle de l'heure. L'avenir de cet enfant, qui se décide maintenant, doit être décrypté du système pétro-rentier. La préparation des hommes de demain mérite une sensibilisation (pourquoi pas dans les écoles) visant à extirper des jeunes mentalités ce mythe de la « vie aisée » du fait de disposer de l'or noir ; organiser pour nos enfants des portes ouvertes sur l'importance du pétrole c'est bien, mais des portes ouvertes sur ses limites serait mieux. Bien entendu, dans les années 1970, alors que le domaine minier algérien était exploré à moins de 5%, on disait que l'Algérie importera du pétrole vers l'an 2000. Il n'en est rien et il n'en sera très vraisemblablement rien. Nos vastes bassins sédimentaires explorés aujourd'hui à 40 ou 50 % seulement viennent de « cracher » l'équivalent de tout ce que nous avons produit depuis les années 1970. En l'espace de quelques petites années, la synergie de partenariat a fait céder à nos bassins leur « froideur » d'antan à la chaleur d'eldorado et la « surchauffe » actuelle ne fera que susciter un regain d'intérêt en termes de longévité de nos réserves. Mais la question est ailleurs : il y a lieu, dans tous les cas, de prendre progressivement du recul envers la rente pétrolière comme moteur unique de l'économie nationale à même, pourquoi pas, d'envisager d'exporter de moins en moins, non pour « assurer une rente aux générations futures », mais pour constituer des « réserves stratégiques » leur évitant, le cas échéant, le recours aux importations éventuelles du brut, étant donné que, toutes choses égales par ailleurs, nos réserves prouvées actuelles - ne représentant en fait que 1,2% des réserves mondiales -risquent de s'épuiser bien avant celles-ci. En plus, la demande interne, d'environ 230 000 à 240 000 barils par jour, a un taux de croissance annuel qui peut atteindre 6 à 7%, ou plus dans les années à venir. Que les réductions stratégiques de la production algérienne ne se limiteraient pas uniquement aux seuls engagements vis-à-vis de l'OPEP (les durées des réductions sont généralement épisodiques dans ce cas), mais méritent d'être opérées opportunément à mesure que la croissance économique hors hydrocarbures prend le relais, sachant que jusqu'ici le pétrole est le seul parrain du développement économique du pays. Si nous n'avons que peu d'influence sur le marché pétrolier actuel, que nous connaissons bien (?), il n'est que vrai que nous ne pouvons rien sur sa situation future, dont nous ne savons que si peu de choses. C'est à l'enfant d'aujourd'hui de perpétuer, demain, l'édification et la croissance de son économie mais qu'il ne feigne d'ignorer que ce sera avec moins d'assistance de la généreuse nature. Peut-être, cela le remplira d'être plus fort que... nous. Nous qui aurons juste concouru à cette épreuve du siècle.

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