Si pour l'heure, l'Algérie subit les mêmes effets de la crise sanitaire que d'autres pays, à court terme il y aura à gérer, selon Sofiane Benadjila, expert agricole et consultant indépendant, des ruptures de stocks de manière à éviter des pénuries alimentaires. On parle de plus en plus de l'impact du COVID sur la sécurité alimentaire de certains pays notamment l'Algérie. Quelle est l'ampleur du risque pour le moment ? Le spectre de la pénurie alimentaire plane à travers la planète sur les populations les plus vulnérables, non pas en raison d'une tension sur les stocks mondiaux comme en 2008. Avec près de la moitié de la population terrienne confinée, il devient évident que des circuits alimentaires soient perturbés. C'est à la fois l'offre et la demande qui sont bouleversés, pour des raisons sanitaires, on a vu s'installer des boucles en rétroaction, des obstacles logistiques, un manque de main d'œuvre…. Signe de la gravité de la situation, trois organisations onusiennes, FAO, OMS et OMC ont publié un communiqué commun sur la crainte d'une pénurie qui affecte l'ensemble du système alimentaire. Pour l'instant, les perturbations sont minimes car les approvisionnements en produits alimentaires ont été adéquats et les marchés sont restés stables. Le niveau des stocks mondiaux de céréales est encore bon et les prévisions sur les récoltes du blé et les principales cultures sont optimistes pour 2020. Quand on sait que le contenu d'une assiette parcourt en moyenne 2500 km, on n'a aucun mal à imaginer le nombre d'intermédiaires et la complexité des chaînes d'approvisionnements existantes. C'est un réseau, qui inclut les producteurs, les consommateurs, les intrants agricoles, la transformation et le stockage, les chaînes de froid, les transports, la publicité, la distribution, etc. Qu'il s'agisse d'élevage ou de production végétale, c'est un domaine où on n'a pas les moyens de stopper la croissance d'animaux ou de végétaux, ni leur consommation…, à l'instar de l'industrie, l'homme a moins de maîtrise sur les processus de production. Les produits alimentaires sont généralement périssables, doivent être vendus, transformés ou stockés dans un espace de temps relativement restreint. Cette pandémie a le mérite de nous éveiller sur les politiques agricoles prônant le commerce international à travers des économies d'échelles…. Plusieurs organisations (UE, FAO, OCHA, UNICEF, USAID, PAM, FIDA, Banque mondiale) ont aussi alerté le 21 avril, d'un risque accru d'insécurité alimentaire. On voit que des pays qui se considéraient être en situation de sécurité alimentaire, se retrouvent confrontés à un problème d'autonomie et de souveraineté alimentaire. Les chaînes de distribution fonctionnant en flux tendu, révèlent toute la fragilité du commerce international. Les blocages affectent à la fois l'offre et la demande, y compris l'accès aux marchés, l'accès aux intrants et la possibilité de faire circuler les marchandises. Peut-on lier la situation aux mesures protectionnistes adoptées par certains pays ? Le fait que certains pays adoptent des politiques protectionnistes notamment en interdisant certaines exportations propage l'ombre de l'insécurité alimentaire du fait de la pression inflationniste et de la flambée des prix. La FAO estime que 50 à 60 millions de personnes pourraient basculer vers l'extrême pauvreté dans les prochains mois. C'est dans ce contexte que l'on doit admettre qu'il ne peut y avoir de sécurité alimentaire sans souveraineté alimentaire. L'Algérie fait partie des pays exportateurs de pétrole et importateurs nets de produits alimentaires. Le Covid surprend l'Algérie dans une situation de dépendance alimentaire extrême, puisqu'on importe 75% des calories consommées. Au même moment, il entraîne la dépréciation du pétrole qui est en quelque sorte l'unique moyen permettant de nourrir la population. Le niveau de dépendance alimentaire du pays, en produits de bases est depuis longtemps fort inquiétant. Plus grave est que ce niveau de dépendance ne cesse de croître, ce qui traduit une incapacité des programmes gouvernementaux à réduire la faille alimentaire. Un rapide état des lieux de notre capacité d'autonomie alimentaire, à l'échelon national n'a donc rien de rassurant. Le risque d'une crise alimentaire a des racines systémiques antérieures à la pandémie donc indépendant celle-ci. Dans l'immédiat, et globalement le pays subit les mêmes effets de la crise sanitaire que d'autres pays. A court terme il y aura à gérer des ruptures de stocks, …en gros à éviter des pénuries alimentaires. La crise sanitaire a entrainé la chute spectaculaire du prix du pétrole, réduisant ainsi la capacité du pays à importer les produits alimentaires. Par ailleurs on apprend par la voie officielle que les réserves financières couvrent une année d'importation. Dans ce cas, équilibrer une balance du commerce agricole déficitaire de près de 8 millibars de $ dans l'intervalle de temps imparti, une année, est certainement une illusion séduisante, mais complètement décalée de la réalité. Si les échanges commerciaux ne reprennent pas à court terme, quelles seront les conséquences ? La première conséquence semble-t-il est que l'on réalise à quel point il est dangereux de confier sa sécurité alimentaire à un monde globalisé, et à la finitude d'une ressource que l'on maîtrise partiellement. On sait que cette pandémie finira par s'affaiblir mais on ne sait pas combien de temps cela prendra. A moyens termes les conséquences pourraient être dramatiques, sur tous les plans, et particulièrement sur le plan alimentaire. Le niveau de la production agricole nationale peine à nourrir le quart de la population, il n'y a donc aucune souveraineté alimentaire. Le scénario devient clair, il y a risque de basculer immédiatement dans une économie de survie peut être même de survie négative avec des effets dévastateurs. On voit bien (graphe) que le niveau de vie de la population est nettement au-dessus du point d'équilibre (Autosuffisance). Au cas où il y a perte du matelas de la rente, comme cela risque d'être le cas, le niveau de vie de la population descendra au point d'équilibre. Dans le cas où la pandémie persistera, quelle stratégie adopter ? Si la pandémie ne faiblit pas, ses effets vont s'amplifier, la gestion des pénuries se transformera en gestion de crise alimentaire. Ils seront douloureux, mais sans tarder, il faut essayer de relocaliser autant que faire se peut, et construire des solidarités territoriales et interterritoriales. Se pose immédiatement la question de la relocalisation agroécologique de l'alimentation. Cette crise nous oblige à trancher sur la question de résilience alimentaire et de sécurité nationale. Ce qui exclue par exemple le développement dans le Sahara de mégafermes, fortes consommatrices d'eau…. Selon l'OMS, les besoins en eau pour une population de 1 million d'habitants, sont de 1 km3. Puisque la recharge des nappes albiennes est de l'ordre de 1km3. La population saharienne estimée à 5 millions d'habitants, aurait à elle seule un déficit de 4 km3. Ceci pour renseigner sur un seul aspect de la complexité des problèmes auxquels le pays sera confronté, sur la difficulté des solutions que l'on doit rechercher et le niveau de compétence que cela exige. Il faut construire des systèmes alimentaires plus résilients et durables. Il y a suffisamment de recul actuellement pour comprendre qu'il faut éviter de passer par l'agriculture industrielle. Il est plus impératif que jamais de s'orienter vers des systèmes agroécologiques diversifiés. Dont les résultats ont été reconnus par la FAO, le GIEC, l'IPBES ou encore la Banque Mondiale. « L'agroécologie renforce la résilience en combinant diverses plantes et différents animaux et exploite les synergies naturelles, et non les produits chimiques de synthèse, pour régénérer les sols, fertiliser les cultures et combattre les nuisibles », indique l'IPES-Food. Cette pandémie recentre le rôle premier de l'agriculture, qui est de nourrir la population et non pas les marchés financiers. En même temps elle interdit de penser que la nourriture est simplement une denrée commerciale tant que le droit à l'alimentation est droit universel.