Les étudiants étrangers en Algérie, notamment les Africains, qualifient la société algérienne de « difficile ». Qu'en pensez-vous ? Difficile, c'est un euphémisme, par pudeur, ils ne disent pas racistes et xénophobes. Racisme inconscient ? Dans les années 1960 et 1970, l'Algérie était la « Mecque des révolutionnaires ». Les militants étrangers étaient bien accueillis. Les valeurs étaient universelles. La couleur de la peau importait peu, seules les idées et le combat comptaient. Nés durant les années du terrorisme, les étudiants n'ont pratiquement pas connu d'étrangers. Ils relèvent de l'inconnu et l'inconnu fait peur. Par ailleurs, comment peut-on accepter des étrangers avec leurs traditions, leurs coutumes, leurs croyances, si nous ne nous acceptons pas nous-mêmes ? Depuis quelques décennies, les Algériens renient leurs propres traditions sous prétexte de « bidaâ » (de pratiques païennes). De là à accepter les autres…Ces étrangers doivent ressentir doublement cette xénophobie, car il y a un fond de racisme qui se manifeste, même contre les Algériens du Sud. Qui n'a pas entendu l'insulte méprisante « négro » ? La preuve ? Nous les désignons par « Africains » comme si nous n'en étions pas ! Nous restons divisés comme le territoire africain durant la colonisation : l'Afrique, l'Afrique du nord et le Maghreb. Pensez-vous que la société algérienne est devenue xénophobe ? Elle ne l'est pas devenue, elle l'a toujours été. L'esclavage est aboli depuis le XIXe siècle à peine. Dans le Sud algérien, on entend des noirs de peau qui traitent d'autres de « souadines », noirs, esclaves alors que nous, nous ne percevons pas la différence entre eux. Comment expliquez-vous l'engouement des Algériens pour les pays occidentaux (étrangers) ? La xénophobie se manifeste chez soi, contre l'étranger, c'est la définition même. En Occident, on ne reçoit pas. C'est le territoire de l'autre où l'on profite des libertés, notamment sexuelles interdites, en apparence, dans les sociétés où l'hypocrisie est soutenue par un discours qui se veut religieux. La xénophobie protège la société de toute évolution des pratiques et mœurs apportées par les étrangers. Par contre, quand on vit à l'étranger, on peut laisser ce mode de vie derrière soi et rentrer au bercail tel qu'on l'a laissé. Des étudiantes africaines rencontrées dénoncent unanimement les attitudes des hommes algériens à leur égard (embêtement, mots vulgaires...). Comment expliquez-vous cette attitude ? Les violences à l'égard des femmes sont généralisées. Les étrangères les ressentent davantage, car elles sont aggravées par la vulnérabilité de leur statut. Elles ne savent pas comment réagir, elles ignorent le code de fonctionnement des sociétés d'accueil. Les violences subies diffèrent également selon les pays d'origine. Selon qu'elles soient Allemandes, Malienne, Syrienne, Saoudienne, tunisienne, les hommes ne réagissent pas de la même manière. Ils les identifient à leur pays et se comportent en conséquence. Etant Africaines, ces étudiantes sont stéréotypées selon leurs coutumes, leur tenue vestimentaire et leurs mœurs. Elles sont jugées selon la religion et les pratiques de leurs pays. Non musulmanes, elles sont considérées comme païennes, primitives, arriérées. Si dans leurs pays l'Islam est pratiqué, elles sont considérées comme mécréantes, car leurs mœurs paraissent différentes des nôtres. Est-ce qu'une Mauritanienne est mieux considérée ? Rien n'est moins sûr, car vivant à l'étranger elle peut être aussi mal vue. Certains étudiants, notamment les chrétiens, pensent que ces difficultés sont inhérentes à la religion faisant allusion à l'Islam. Etes-vous de cet avis ? Il est vrai que l'Islam y est pour beaucoup. Les valeurs universelles ont cédé la place à la seule qui régisse les rapports entre individus : le prosélytisme religieux, à défaut de culture, de réflexions, de questionnements. L'Islam se distinguait par les qualités de ses pratiquants alors que maintenant, il justifie l'exclusion et le racisme non déclaré. On n'exclut pas les étrangers, on les isole. Car ils sont non musulmans, non pratiquants et leur rite est différent et ainsi de suite. Le religieux mal utilisé nuit davantage à la société que les pires problèmes que les étrangers rencontrent chez nous. Ils idéalisaient, peut-être les valeurs d'un pays « frère » pratiquant une religion qui se veut la meilleure.