La dépouille du défunt a été rapatriée le vendredi 5 juin. Hocine Cherifi a été inhumé le lendemain, samedi 6 juin, à Oran. Mon cher papa, tu nous as quittés à l'âge de 91 ans, tendrement et discrètement hier après-midi (le samedi 30 mai, ndlr), aussi discrètement que l'homme que tu étais», annonçait douloureusement Ghezala Cherifi dans une publication sur Facebook datée du 31 mai 2020. Ghezala est la fille de Hocine Cherifi, un vaillant militant de la cause nationale qui activait en France puis en Belgique. C'est d'ailleurs à Bruxelles qu'il s'est éteint le 30 mai dernier. Il avait 91 ans. Il devait sûrement être très fier de sa fille Ghezala, diplômée en Sciences politiques de l'Université libre de Bruxelles, engagée sur plusieurs fronts, fondatrice et présidente de l'association «Les Amitiés belgo-algériennes». Feu Hocine Cherifi, Allah yerahmou, est l'un de ces militants de l'ombre dont l'activisme a permis à la Révolution de «s'exporter», d'élargir sa base et de se déployer sur d'autres fronts au cœur de l'Europe. A peine sorti de l'adolescence, Hocine Cherifi se met à fréquenter les cercles nationalistes et anticolonialistes dans sa région natale, à Nedroma, près de Tlemcen. «Il a 17 ans en 1945 lorsqu'il commence à suivre des meetings politiques sur l'avenir de l'Algérie. Dans son village natal de Nedroma, à un jet de pierre de la frontière marocaine, il assistait aux discours de penseurs qui osaient défier la police française», peut-on lire dans un article qui lui est consacré en juin 2012 dans une revue intitulée L'Agenda Interculturel, éditée par le Centre bruxellois d'action interculturelle (CBAI). «Jeune, orphelin, désargenté, il quitte le pays en septembre 1948 pour la métropole, où un oncle l'accueille. Hocine a 20 ans lorsqu'il est embauché dans les charbonnages de Lens (Pas-de-Calais)», poursuit l'article signé Nathalie Caprioli et Jamila Zekhnini. «Au départ, ils étaient 25 mineurs algériens qui manifestaient ouvertement leurs opinions politiques pour la libération de l'Algérie, peignant des slogans sur les murs et distribuant des tracts. Hocine se rappelle qu'il enfourchait son vélo avec un autre compagnon pour mobiliser la population algérienne, et pousser tous ceux qui servaient dans l'armée française à la quitter.» Son activisme militant vaudra au jeune émigré des démêlés avec la police : «Fiché par les autorités françaises, il perd son boulot ; il lui est interdit d'exercer tout autre activité pendant six mois. Peu intimidé, il poursuit son chemin et retrouve une place dans une autre mine, où il reconstitue une nouvelle section de militants. A nouveau fiché après une manifestation à Valenciennes, qui, cette fois, lui vaudra vingt-deux jours de prison – un souvenir qu'il évoque d'un léger revers de la main –, l'histoire se répète : perte du boulot et changement de cap géographique (il en profite pour rentrer trois mois en Algérie), mais également changement de cap politique. Car à sa sortie de prison, Hocine découvre les dissensions entre les pro-guerre contre la France et les anti. Il devra choisir son camp…» Allusion ici au conflit qui allait éclater entre les militants du FLN, qui ont choisi l'action armée, et les messalistes du MNA. Groupe de choc «Après son retour éclair au pays, il débarque à Paris, direct à la Fédération des Algériens de France. Hocine se souvient que le groupe se réunissait au casino du boulevard Saint-Michel», indique la même source. «Sans revenu, c'est la solidarité entre militants qui lui permet de vivre, le temps de décrocher un autre emploi, cette fois comme maçon à Lilles. Là, il s'engage dans la section du MNA, le Mouvement national algérien. Pourtant, il n'est pas convaincu. Il manque d'information pour orienter sa conduite politique. Entre temps, les arrestations se poursuivent. Après quatre contrôles serrés, le commissaire divisionnaire «l'encourage» à changer d'air. 1955 : Hocine arrive à Mons (ville francophone belge située en région wallonne, ndlr), recommandé par le responsable du MNA en France.» Le jeune militant est perplexe face au «climat de confusion qui semblait régner entre les positions du MNA et du FLN», notent les auteurs de l'article. «Un émissaire partira donc en Algérie pour recueillir les nouvelles fraîches à la source sur les positions des différents mouvements. Quand se confirme que le FLN porterait les armes, tout le groupe de résistants de Mons rejoint le Front. Hocine aussi. Il poursuit son travail de mineur et de résistant.» Parmi ses nombreuses actions, il était allé nombre de fois, au volant de sa voiture, la nuit, à la frontière franco-belge, et «il cueillait des responsables recherchés par les autorités françaises. Il les conduisait à Carnières où un autre résistant continuait la route jusqu'en Allemagne. Le travail ne se limitait plus à la propagande». Un peu plus tard, il devient responsable d'un groupe de choc du côté de Marchienne-au-Pont, près de Charleroi, en région wallonne. «Il ne cache pas qu'il conduisait le groupe de choc là où il fallait intervenir, avant de s'éclipser car il ne pouvait moralement pas prendre cette responsabilité : »C'était le grand responsable qui décidait du sort des traîtres, s'ils seraient battus ou tués ».» Et c'est à Marchienne-au-Pont que le mineur-résistant fêtera l'annonce de l'indépendance avec ses compagnons de lutte. Une fois la mission accomplie, Hocine se résout à fonder une famille, et «son seul souhait était qu'elle soit fille de chahid». Son vœu sera exaucé et, en 1964, il épouse Farida dont le père est tombé en martyr. La dépouille du défunt a été rapatriée le vendredi 5 juin. Hocine Cherifi a été inhumé le lendemain, samedi 6 juin, à Oran. Puisse son âme reposer en paix auprès de ses sœurs et ses frères de combat.