L'agriculture du sud de l'Italie a besoin de main-d'œuvre disponible et de préférence à moindre coût. En majorité originaires d'Afrique et plus récemment de Roumanie et de Bulgarie, ils sont entrés pour la plupart illégalement en Italie et acceptent de prêter leurs bras aux propriétaires des champs et vergers sans aucune couverture sociale. Plus de 96% sont employés dans les pénibles tâches de la récolte sans aucun contrat de travail. Ils sont sous-payés, ne bénéficient d'aucune couverture sanitaire, vivent dans des espaces abandonnés et insalubres et gagnent juste de quoi survire. Plus de 53,7% affirment être incapables d'envoyer de l'argent à leur famille restée au pays. Dans son rapport, « Les fruits de l'hypocrisie. Histoire de qui pratique clandestinement l'agriculture », l'organisation humanitaire Médecins sans frontières (MSF) pointe un doigt accusateur vers le gouvernement italien qu'elle accuse de ne rien faire pour améliorer le quotidien de ces damnés de la terre. De plus, selon Msf, le système des quotas à l'immigration institué par le gouvernement a démontré sa faillite totale et favoriserait plutôt le travail au noir des immigrés. Les syndicats, les autorités locales et les associations de producteurs sont également accusés de maintenir une hypocrisie générale qui bénéficie à tous. « Ces personnes fuient les guerres et la misère pour venir ici, croyant trouver une vie faite de dignité. Au contraire, ils trouvent une situation pire que celle qu'ils ont laissée dans leur pays d'origine. » L'enquête menée par Msf entre mai et décembre 2004, dans cinq régions méridionales de l'Italie (la Campanie, la Sicile, les Pouilles, la Basilicata, la Calabre), a permis de voir de près les dures conditions de vie de ces Africains clandestins ou demandeurs d'asile politique, rejoints depuis peu par des citoyens des pays de l'Europe de l'Est. Dès leur arrivée en Italie, ces derniers tombent dans les filets d'une exploitation sauvage « qui les prive de leurs moindres droits », affirme le rapport de Msf. Ils seraient plus de 12 000, dans le sud de la péninsule, à répondre à une pressante demande en main-d'œuvre, surtout durant les saisons des cueillettes, notamment des tomates et des oranges. Soumis à un rythme de vie insoutenable, les saisonniers ne peuvent dénoncer ni les abus, ni les diverses agressions dont ils sont victimes, ni le traitement inhumain que leurs employeurs leur font subir. Les plus expérimentés d'entre eux gagnent au maximum 25 euros par journée et dépensent plus de la moitié pour le transport, la nourriture et le loyer des hangars dans lesquels ils sont parqués à plusieurs, sans électricité ni services sanitaires. Des femmes marocaines doivent éplucher debout et pendant plus de dix heures des oranges à raison de quinze centimes par kilo. La posture incommode et l'absence d'hygiène leur procure toute sorte de maladies. Les tendinites, les dermatites, les maladies respiratoires et les gastroentérites sont leur lot quotidien et des maladies éradiquées comme la tuberculose ont refait leur apparition parmi ces saisonniers. Selon Msf, au bout de six mois, un immigré, arrivé sain en Italie, contracte une maladie infectieuse qui devient vite chronique. « Sans documents, ils sont invisibles dans la société italienne. Ils n'existent tout simplement pas », affirme un responsable de Msf. Même le retour vers le pays d'origine s'éloigne chaque jour davantage, comme le cas de ce Marocain qui appelle sa mère au pays, la suppliant de lui permettre de rentrer. Cette dernière le console et lui demande de tenir le coup, lui rappelant qu'il n'a pas encore payé les 8000 euros qu'il doit aux passeurs qui l'ont porté en Italie.