Samedi, 14h. Direction, les Aiguades. Le parking de la placette ombragée affiche complet. Les voitures et microbus sont garés pare-choc contre pare-choc jusque là-haut, le long de la corniche, presque jusqu'à Sidi Yahia. En tout cas, le moindre centimètre est rentabilisé par les « parking-men » jusqu'au passage de Meftah. Affluence max. On est venu de partout, cela se perçoit à travers tous les immatriculations et les accents entendus au cours de notre visite. la route à flanc de montagne, qui a subi visiblement un réaménagement (on a élargi la voie comme on a pu), est elle-même de la villégiature. A une altitude appréciable, elle longe la falaise surplombant le port pétrolier et configure de la sorte un balcon qui vous livre une belle carte postale de la jetée en contrebas. En vue « aérienne », la Brise de Mer et la Promenade de Sidi Abdelkader n'en sont que plus féériques. Les fourgons déversent sans discontinuer un flot d'habitués. Ces derniers, pour la plupart, habitent les vieux quartiers de la haute ville de Béjaïa. Il fait très chaud et humide aujourd'hui en ville. La vanne posée contre l'escarpement délimitant la placette est un passage obligé. Tout le monde se jette sur la vanne qui laisse couler une eau pure et savoureuse puisée des entrailles de Sbaâ Djebilet, les sept éminences qui dessinent de manière jurassienne le dernier contrefort du mont Gouraya finissant dans la mer. Une armée d'inoffensifs macaques s'attribuent le parapet ceignant la placette. Le golf des Aiguades est une suite auguste de criques, dont les eaux sont protégées de la grande houle, car prises entre un isthme à l'Est, le Cap Bouak et un autre à l'Ouest, le Cap Carbon. ça grouille de monde. Beauté rupestre Paradoxalement, c'est calme. Pas le moindre bruit ne vient troubler le concert de cigales. Même les oiselets restent étrangement silencieux ; ici, exit les bendirs et derboukas. L'imaginaire communie sans doute avec la beauté rupestre des lieux. Des grappes d'heureux excursionnistes remontent de la plage, d'autres les relaient et descendent vers le plan d'eau à travers un chemin pédestre dallé et coupé, par endroits, par des escaliers. Le chemin est bordé d'une muraille de pierres et serpente sous l'ombre généreuse d'arbres séculaires. Des dallages d'anciennes guinguettes, de l'époque coloniale, façonnent en amphithéâtre le relief. Avant même d'arriver en bas, on prend son pied déjà dans l'envoûtement. Les lieux foisonnent de gargotes de fortune où nombre de familles sont attablées. Des odeurs alléchantes de brochettes et poulet rôti emplissent l'air. Une belle invite : la terrasse Zaouche dominant la crique. Glaces, pizzas et grillades y sont proposées aux estivants. Ils sont aussi nombreux à pique-niquer sous un arbre ou à contempler du haut de la balustrade une mer d'huile percée par des rochers « surpeuplés » de baigneurs. Djamel, un inconditionnel des Aiguades depuis plus de 40 ans, dira, en désignant la plage d'un seul mouvement de la main, que c'est celle qui détient, en matière d'occupation, la densité « la plus élevée » du monde. Mais sur cette petite plage de galets, les baigneurs se partagent tranquillement le territoire. Les maîtres- nageurs veillent et les gendarmes aussi. Mustapha « rouget » est adossé au mur de confortement bordant la plage. Il a l'air rêveur, un coup de nostalgie, apparemment. Il n'a rien contre le rush, lui qui autrefois avait pourtant un « rocher » à lui tout seul. Il n'a rien contre la proximité, il regrette plutôt la disparition de plusieurs douches. Il n'en reste maintenant que deux, celle de la “piscine” et celle du “bassin”, à l'extrémité ouest de la plage. Notre ami Djamel, lui, trouvera les lieux un peu délaissés, question d'entretien. Pourtant, une association de sauvegarde du site y est à pied d'œuvre depuis trois ou quatre ans. Elle s'active comme elle peut, les soutiens n'étant pas de mise. Djamel se rappelle des galets tout blanc, luisant naguère au soleil. Yazid un quinquagénaire, qui a ramené une ribambelle de gosses, les siens et ceux des voisins, évoque des histoires et des légendes qui collent à la terre ferme, au rivage et à chaque écueil. Des premières prouesses de plongeurs du haut du petit rocher du Darbouze qui, il y a encore peu de temps, luttait contre le travail des éléments, jusqu'à sa disparition, ce qui semblait être vestige de l'antique port romain. Des plongeons plus intrépides du Septième, un pic à l'extrémité de la crique, au plus spectaculaire, le légendaire saut du haut de la corniche, à plus de 50 m du plan d'eau. Un beau vol plané dénommé « plongeon départ », racontent les anciens. Le torse bombé, les reins cambrés, les pieds joints et légèrement arc-boutés, les bras étendus devant et écartés en V, ce périlleux plongeon porte le seau de Tahar dit « Tarzan ». C'est Icare ou en plus vrai, L'idole d'Acapulco alias Elvis Presley. Yazid nous fera voyager dans l'antiquité avec des légendes de cérémonies d'enterrement de marins phéniciens. Le comptoir d'échanges avec des négociants affluant de toute la méditerranée. Le port romain, à l'origine de l'appellation aux consonances exotiques : les Aiguades ou tout simplement l'eau… Nous abrégeons avec notre ami Yazid. Nous comprenons. Les joyeux lutins qu'il accompagne sont pressés de faire une piquette dans l'eau limpide où le fond rocheux fait scintiller mille pépites de soleil.