Cet article va analyser les vulnérabilités actuelles des comptes extérieurs (CE) et proposer des pistes de réformes (car la résolution de ces défis ne peut se faire qu'à moyen et long terme) dans le cadre d'une stratégie nationale de développement. Seule cette approche peut transformer les CE en outil de relance économique du pays et de redéploiement incontournable sur le marché international. Les L'importance des comptes extérieurs (CE) Les CE de l'Algérie sont un point focal économique important en raison d'une part de la prépondérance des hydrocarbures qui contribuent de façon significative à la croissance économique (21%), aux recettes budgétaires (40% en 2019 et une projection de 28,5% en 2020) et aux exportations totales (92,8%) et, d'autre part, de notre dépendance des importations pour satisfaire une grande partie de nos besoins en nourriture, matières premières et équipements essentiels au fonctionnement du pays. Cette situation affaiblit la capacité de résilience du pays face aux chocs comme l'illustrent les coûts économiques, financiers et sociaux causés par la répétition des chocs pétroliers (1986, 2014 et 2020) et la crise sanitaire causée par la pandémie de la Covid-19. En conséquence, parmi les graves problèmes auxquels doivent faire face les autorités, ceux qui concernent les CE n'en sont pas les moins importants d'autant plus qu'ils sont à la confluence de nombreux leviers endogènes (politiques publiques macroéconomiques, structurelles et sectorielles) mais également de facteurs exogènes (marchés internationaux, facteurs géostratégiques) sur lesquels le pays n'a aucune influence. La bonne compréhension des mécanismes à la base des déséquilibres actuels des CE est importante pour formuler des politiques appropriées pour peser sur les leviers endogènes et sortir le pays de ses grandes difficultés actuelles et lui tracer un meilleur avenir. Les facteurs explicatifs des déséquilibres extérieurs Ils sont multiples : (1)- un recours à l'épargne étrangère comme source importante de financement du développement pour les pays à faible revenu ; (2)- le besoin de financer un choc extérieur négatif temporaire (chute des prix de produits de base, mauvaise récolte, pandémie) ; (3)- l'existence de facteurs structurels à long terme, tels que ceux liés au vieillissement de la population ou à l'épuisement des ressources naturelles; (4)- l'émergence de déséquilibres macroéconomiques à court terme, tels que des pressions excessives de la demande intérieure (privée et/ou publique) qui conduisent à une hausse des importations sans augmentation correspondante des exportations. Lorsque la demande intérieure excessive est causée par une expansion budgétaire, des déficits jumeaux peuvent apparaître (un déficit budgétaire accompagné d'un déficit du compte courant) ; et (5)– une variation du taux de change réel (taux de change nominal pondéré par l'inflation du pays). Ainsi, si son taux de change réel est trop élevé, un pays peut perdre sa compétitivité extérieure et connaître un déficit de sa balance courante et une détérioration progressive de sa position extérieure globale nette. À l'inverse, les pays où le taux de change réel est trop bas peuvent être trop compétitifs, enregistrer d'importants excédents courants et accumuler des avoirs extérieurs nets à un rythme rapide. Analyse macroéconomique des CE de l'Algérie – Deux points : (1)- le niveau des déficits de la balance courante ; (2)- la surévaluation du taux de change du dinar algérien et les distorsions au niveau du marché des changes. Pour le premier point, entre 2014 et 2019, le compte courant de la balance des paiements a doublé pour se situer à environ 10,4 % du PIB à fin 2019. En conséquence, compte tenu d'un niveau d'investissement directs étrangers d'environ 1 milliard de dollars, le niveau du déficit global de la balance des paiements pour 2019 est estimé à 9,9 % du PIB, couvert par un tirage sur les RIC de 16,6 milliards $ et portant ainsi le stock à 63,8 milliards $ à fin 2019. Pour 2020, du fait des chocs sanitaire et pétrolier de mars 2020, le déficit du compte courant devrait se creuser de façon significative pour atteindre 13,8 % du PIB, en dépit de l'annonce de mesures de restriction sur les importations. Le déficit de la balance globale devrait atteindre 13,2 % du PIB devant être financé par un nouveau tirage sur les RIC de 20 milliards $, ce qui porterait le stock des RIC à environ 43,8 milliards $ à fin 2020. Pour le second point, entre 2014 et 2019, le dinar s'est déprécié en termes nominaux de 37% par rapport au dollar, contribuant à amortir l'impact de la baisse des prix de pétrole. En outre, le taux de change effectif réel (TCER) qui mesure le degré de compétitivité de l'économie du pays ne s'est déprécié que de 7% en raison d'une inflation plus élevée en Algérie par rapport aux partenaires commerciaux. A fin juin 2020, les taux de change effectifs nominaux et réels se sont dépréciés de 20,7 % et 11,6 %, respectivement, reflétant principalement les mouvements du dollar par rapport aux devises des principaux partenaires commerciaux. En dépit de la dépréciation, le taux de change du dinar reste surévalué et le déficit de compte courant est loin de sa norme en 2019 et davantage plus loin en 2020, indiquant une surévaluation significative du TCER d'environ 40-50%. Pour ce qui est du marché des changes, l'écart entre les taux officiel et parallèle est d'environ 50%. Le stock des RIC est d'environ $45 milliards à fin septembre 2020 (soit environ 15 mois d'importations). De cette analyse, nous tirons trois conclusions importantes : (1)- Première conclusion, le déficit de la balance courante est très élevé et le pays doit le couvrir intégralement avec ses propres RIC car il ne sait pas encore attirer et faire travailler l'épargne étrangère à son avantage. En tout état de cause, ces déséquilibres prendront des années à être maîtrisés à condition que les politiques appropriées soient mises en place rapidement ; (2)– Deuxième conclusion : le dinar algérien est surévalué et cela nuit à la compétitivité extérieure du pays ; (3)– troisième conclusion : l'existence d'un marché des changes dual pose de sérieux problèmes de gestion macroéconomique et représente un obstacle majeur à une meilleure gouvernance économique et à une relance de l'économie sur des bases saines et inclusives. Analyse structurelle des CE de l'Algérie Sur la base des données de l'administration douanière à fin 2019, la structure des biens échangés et des partenaires se présente comme suit : (1) Pour ce qui est des biens : (i)- Les importations sont dominées par les biens de consommation (34,7 % dont 19,3 % pour l'alimentation), suivis des biens d'équipements (32,5 %), des biens intermédiaires (29,4 %) et des produits énergétiques (3,4 %). A titre de comparaison par rapport à 1964 (1re année postindépendante stable), la part des biens de consommation est pratiquement identique (33%) mais celle des biens d'équipement s'élevait à 24 % (8 points de pourcentage de moins) ; (ii)– Quant aux exportations, à fin 2019, elles portent essentiellement sur des produits énergétiques (92,8 %), suivis des biens intermédiaires (5,8 %), des biens de consommation (1,2 %) et des biens d'équipements (0,2 %). En 1964, les produits énergétiques ne représentaient que 56 %, suivis des produits agricoles à concurrence de 33%. (2)- Pour ce qui est du partenariat sur le plan global, et par rapport à un total de 195 pays, l'Algérie importe des biens de 185 pays, avec 15 pays représentant toutefois 76 % des importations totales. Sur ces 15 pays, six d'entre eux (Chine, France, Italie, Espagne, Allemagne et Turquie) fournissent 55 % des importations de l'Algérie. Pour ce qui est des exportations, 15 pays (dont la composition est légèrement différente de celle relatives aux importations) ont une part de 86,5 % des ventes du pays. De nouveau, 6 pays (France, Italie, Espagne, Grande Bretagne, Turquie et Etats-Unis) concentrent 57 % des exportations du pays. (3)– Pour ce qui est du partenariat régional, en matière d'importations, la part de l'Europe est de 53,4% (dont 44,3 % pour l'Union Européenne), suivie de l'Asie (29% dont 18,2 % pour la Chine), l'Amérique (13,4 %), l'Afrique (3,1 % dont 1,3 % pour le Maghreb) et l'Océanie (0,9%). Pour les exportations, l'Europe est également le premier client (63,7 %, dont 57,2 % pour l'Union Européenne), suivie de l'Asie (17,9 % dont 4,6 % avec la Chine), l'Amérique (10,8%), l'Afrique (6,1 % dont 5,9 % pour la Tunisie et le Maroc) et l'Océanie (1,5 %). En conclusion, les données sur les CE du pays suggèrent une économie très peu diversifiée ce qui entraîne ipso facto une orientation concentrée de ses échanges internationaux sur les plans géographique et en produits (situation insoutenable à terme). Par ailleurs, si les relations commerciales semblent favorables à l'Algérie avec l'Europe et l'Union Européenne et l'Afrique (qui est un partenaire modeste), elles sont déséquilibrées avec la Chine. Toutefois, notons que les échanges commerciaux au titre des accords préférentiels (AAUE, GZALE et Tunisie) coûtent au contribuable algérien un montant estimé d'environ 110 millions de dollars au titre des exonérations sur les droits de douane et de la TVA à l'importation. Quelle est la feuille de route pour faire face à ces défis ? Deux types d'actions : (1)– les actions à titre d'urgence pour contenir autant que faire se peut l'hémorragie des RIC ; et (2)- les autres actions à long et moyen terme visant à stabiliser le déficit de la balance courante et le ramener à un niveau soutenable, diversifier l'économie et les exportations et éliminer le marché parallèle. (1)- Pour l'étape d'urgence, face à la chute drastique des recettes pétrolières au cours du second trimestre de 2020, et à titre d'urgence, les autorités ont annoncé qu'elles comptaient couper les importations d'environ 10 milliards $. Dans l'immédiat, c'est la seule marge de manœuvre dont dispose les autorités eu égard à la rigidité structurelle de la balance des paiements du pays. (2)- Pour le long et moyen terme, vu que l'évolution des CE est liée à la capacité de production du pays, son degré d'ouverture, sa résilience vis- à-vis des chocs extérieurs, son système de change et in fine ses politiques macroéconomiques et structurelles, et dans le contexte d'une stratégie globale à long terme devant baliser la conduite de réformes cruciales, le pays doit donc développer et mettre en œuvre une approche à 3 volets, comprenant : (1)- l'adoption d'un cadre macroéconomique à moyen terme pour entamer la première phase (2021-2023) du long processus de réduction du déficit de la balance courante (et du déficit budgétaire) et de relance économique ; (2)– la mise en place d'un programme important de diversification des exportations au niveau des produits et des destinations ; et (3)– l'exécution d'un plan d'action destiné à éliminer à terme la dualité du marché des changes. Premier volet : la réduction progressive du déficit de la balance courante et la relance économique Deux questions : (1)- l'ampleur de l'ajustement extérieur ; et (2)- le mix des politiques macroéconomiques à mettre en place. Pour le premier point, compte tenu d'un compte courant normatif de 5% (estime sur la base de la durée de vie des ressources pétrolières du pays) et un déficit du compte courant devant atteindre 13,8 % du PIB à fin 2020, l'ajustement extérieur est donc de 8,8 points de pourcentage du PIB. En conséquence, il devra être étalé dans le temps pour éviter des coûts énormes sociaux et économiques. Mais il demeure incontournable. Pour le second point, il s'agira de : (i)– resserrer la politique budgétaire pour réduire la consommation et l'investissement (absorption intérieure) ; (ii)– calibrer la politique monétaire pour contenir les pressions inflationnistes tout en réduisant l'impact sur la croissance; (iii)– mener une politique de change appropriée pour éliminer la surévaluation du dinar (30-40% de surévaluation), réduire la consommation extérieure, améliorer la compétitivité, booster les exportations hors hydrocarbures et réduire in fine le déficit de la balance des paiements. Les principaux objectifs macroéconomiques à fin 2023 sont les suivants : Sur le plan du budget, il faudrait ramener le déficit hors pétrole à environ 19% du PIB hors pétrole par le biais de mesures sur les recettes (portant sur la politique fiscale, l'administration fiscale et douanière et la baisse des avantages fiscaux), les dépenses courantes (grâce à une rationalisation de la masse salariale et les subventions et transferts) et les dépenses en capital (renforcer la chaîne de gestion de gestion des dépenses en capital pour améliorer l'efficience des projets). Sur le plan extérieur, il faudra cibler un déficit du compte courant de la balance des paiements de 8% du PIB en 2023. En matière de politique de change, il faudra cibler un glissement de la valeur du dinar pour atteindre un taux de change de 150DA/1 dollar en 2023, toutes choses étant égales par ailleurs. Second volet : la diversification des exportations au niveau des produits et des destinations Est liée elle-même à la diversification économique, processus complexe et long qui ne peut résulter que d'une transformation structurelle de l'économie tirée par de hauts niveaux de productivité provenant d'une réallocation intra et inter sectorielle des ressources. En appui de cet objectif stratégique et sur la base de nombreuses études internationales, il serait souhaitable d'engager un véritable programme de réformes visant à : (1)- renforcer la qualité du capital humain par le biais d'une amélioration de la qualité des enseignements primaire, secondaire et supérieur pour rehausser la qualité du marché du travail, favoriser la création et in fine soutenir la croissance et les exportations; (2)– favoriser l'ouverture commerciale qui permet de s'exposer à la concurrence et d'acquérir un savoir-faire ; (3)- améliorer la qualité des institutions, mesurée par la qualité de la gouvernance (respect des contrats, arbitrage etc.) et le niveau de corruption pour inspirer confiance dans le label Algérie; (4)- disposer d'infrastructures de qualité, notamment en matière de transports, téléphonie et pénétration internet incontournable pour s'insérer dans le circuit du commerce international électronique ; (5)- œuvrer à l'ouverture du compte de capital à terme pour mobiliser l'épargne étrangère, notamment sous la forme d'investissements directs étrangers (IDE) même si ils tendent à se diriger vers des secteurs où les pays ont un avantage comparatif, notamment le secteur minier ; (6)- développer le secteur financier pour améliorer à la fois l'accès financier et l'allocation du crédit entre les secteurs (et entre les entreprises au sein des secteurs) ; (7)– mettre en place une politique industrielle qui s'appuie sur des instruments directs et indirects d'intervention pour renforcer la compétitivité des entreprises à l'exportation et placer l'économie du pays sur le marché mondial. Troisième volet : plan d'action destiné à éliminer à terme la dualité du marché des changes Une œuvre de longue haleine qui serait étalée sur le long terme et qui s'articulerait autour de 4 grands axes : (1)– un premier axe à court terme (12 mois) visant la réduction de l'écart entre le taux officiel et le taux parallèle ; (2)– un second axe (moyen terme) pour renforcer le fonctionnement du marché officiel de change ; (3)– un troisième axe (moyen terme) est d'assécher les sources d'offre du marché parallèle ; et (4)- un quatrième axe (long terme) visant à l'unification à terme des deux marchés par le biais d'une libéralisation du compte capital de la balance des paiements pour faire bénéficier le pays d'entrées de ressources extérieures. Les conditions pour un programme de réformes couronné de succès : (1)- un étalement des réformes : qui sont complexes et interdépendantes et ne manqueront pas de créer des résistances de la part d'intérêts bien enracinés dans le pays ; (2)– une bonne conception et conduite des réformes avec calibrage constant pour les adapter aux changements des circonstances ; (3)– une politique de communication portant sur les objectifs des reformes, les contraintes rencontrées mais aussi les progrès accomplis. Le prolongement international de cette communication régulière doit être assuré par le réseau diplomatique du pays qui devrait désormais inclure des missions économiques.
Par Abdelrahmi Bessaha Macroéconomiste,spécialiste des pays en post-conflits et fragilités Advertisements