Il faut sortir de l'immobilisme actuel et se doter d'une vision à long terme et d'une stratégie de sortie de cette crise profonde : Avec la phase d'urgence arrivant à son terme, se pose le problème crucial de la relance économique, ce que de nombreux pays dans le monde sont en train de préparer. Toutefois, une sortie de la super crise dans laquelle est plongée l'Algérie exigera du temps vu les profonds déséquilibres macroéconomiques actuels, les rigidités structurelles contraignant l'économie nationale et l'absence de diversification. Cette sortie de crise passera par la seule voie de réformes profondes inscrites dans une nouvelle vision à long terme servant de socle à un nouveau modèle de développement d'une économie dynamique, diversifiée, moderne, inclusive et ouverte sur l'extérieur. En effet, la sévérité de la crise et l'énormité des défis ne peuvent plus s'accommoder du volontarisme qui a marqué la démarche économique depuis la faillite en 1984 du précédent modèle de développement autocentré en place depuis le début de l'indépendance. Vu l'urgence à reprendre le contrôle de l'économie, la rupture avec le passé doit être imminente et elle doit être consacrée par une première vague de réformes macroéconomiques et structurelles et de nouvelles politiques sectorielles novatrices dès le début 2021. Les grands défis économiques et financiers de l'Algérie La mauvaise gestion du choc pétrolier de 2014 et les chocs sanitaire et pétrolier de mars 2020 ont considérablement endommagé l'économie du pays. Une projection à fin 2020 des principaux indicateurs macroéconomiques fait apparaître quatre défis : (1)- L'extrême détérioration des finances publiques (déficit global de 16,3% du PIB) et des comptes extérieurs (déficit de 15,6% du PIB) ; (2)- une croissance en déclin depuis 2014 et qui enregistrera un recul significatif de 5%; (3)- un chômage très élevé qui va faire un bond considérable pour affecter environ 5 millions de personnes en raison des nombreuses fermetures d'entreprises suite à la pandémie ; et (4)- la détérioration continue de nos réserves de change sans lesquelles nous ne pourrons pas faire fonctionner le pays et nourrir la population. De plus, pour 2021 et 2022, les perspectives économiques et financières continueront d'être défavorables en l'absence de politiques publiques correctives fortes. Même dans ce cas, la reprise sera lente (en forme de L) vu la profondeur des déséquilibres macroéconomiques, les rigidités structurelles inhibant la croissance et l'emploi, l'absence d'une économie hors pétrole, la raréfaction des financements et la récession mondiale. Quelle vision à long terme ? La vision à fin 2050 est de hisser le pays au rang de pays émergents de première catégorie et de puissant acteur économique régional (avec une croissance de l'ordre de 7%/l'an par comparaison aux taux anémiques enregistrés à ce jour). Cette vision ciblera la construction d'une économie hors pétrole dont les moteurs de la croissance seront l'agriculture, y compris l'agriculture saharienne, l'industrie et les services articulés autour du numérique, des activités climatiques et de la mer. Sur la question du climat, la vision est de décarboniser l'économie, et ce, faisant, il faudra évaluer les risques climatiques, fournir des incitations à des investissements résilients au changement climatique et intégrer les risques climatiques et les dépenses d'adaptation dans les plans économiques et budgétaires. Quelle stratégie de développement ? Elle sera, pour la décade 2020-2030 cohérente avec les ODD 2030. Les principes directeurs de la construction de la nouvelle économie sont les suivants : (1)- L'inclusivité et la participation active de tous les citoyens dans tout l'espace géographique du pays ; (2)- l'intégration à l'économie mondiale par un tissu d'échanges économiques et financiers, y compris le développement d'un hub régional en matière de services à haute valeur ajoutée ; par ailleurs, l'économie sera plus résiliente aux chocs de la mondialisation par la voie d'une politique industrielle autour de certains axes stratégiques prioritaires et d'une évaluation constante du contexte international pour opérer les ajustements nécessaires; (3)- la propriété privée comme source de création de valeur ajoutée; (4)- le recours à l'épargne étrangère (investissements directs étrangers et investissements en portefeuille) jouant un triple rôle de vecteur de modernisation, d'ajustement à la concurrence internationale et de financement de l'économie ; (5)- un Etat activant dans un rôle de développeur dans certains secteurs-clés en cohérence avec la politique industrielle du pays et également un rôle de régulateur par le biais d'une politique budgétaire, une politique monétaire, une politique de change et une politique de développement d'équipements publics ; (6)- la bonne gouvernance économique à tous les niveaux et la lutte contre la corruption ; et (7)- un système d'information statistique solide comme vecteur de renforcement de la gestion de l'économie et de diffusion des données à la population pour assurer son adhésion au processus de relance et développement du pays. Les objectifs stratégiques à moyen terme et les réformes Conformément à la vision 2050 et aux grandes lignes de la stratégie de développement ci-dessus, les objectifs stratégiques pour la période 2021-2025 seront de réduire le déficit budgétaire hors hydrocarbures, contenir le déficit du compte courant de la balance de paiements, stabiliser la dette publique à moyen terme, relancer la croissance économique, créer des emplois et moderniser l'économie du pays. Ces objectifs impliqueront de nombreuses réformes dont la mise en œuvre s'étalera dans le temps et exigera un sequencing approprié et un suivi constant et rigoureux. En appui de ces objectifs, les politiques publiques doivent s'articuler autour de 3 grands axes complémentaires et cohérents : macroéconomique, structurel et sectoriel. Axe macroéconomique : Il est crucial car il a pour objectif d'assainir les fondamentaux économiques. Cet assainissement est incontournable et implique un budget sous contrôle, une inflation maîtrisée et un déficit de la balance des paiements raisonnable, éléments nécessaires pour favoriser l'investissement, ouvrir la voie à la croissance, créer des emplois et réduire les inégalités. Le mix des politiques macroéconomiques est une consolidation budgétaire (en cohérence avec la politique monétaire) qui prend en compte la nécessité de préserver la croissance économique tout en contrôlant l'inflation. Au centre de ce mix, la politique budgétaire jouera un rôle central. Il s'agira de procéder à une réduction progressive du déficit budgétaire, accompagnée d'une dépréciation du taux de change (fondamental pour une meilleure gestion des ressources extérieures et de la demande globale) et d'une gestion rigoureuse de la liquidité créée par la monétisation du déficit budgétaire pour contenir l'inflation. Ce mix est seul en mesure d'assurer la viabilité des finances publiques, créer les conditions d'une relance de la croissance et contrôler l'inflation. Pour le financement du déficit budgétaire, diverses options devront être envisagées afin d'établir un équilibre entre le besoin de réduction du déficit budgétaire et la préservation de la croissance. Il est clair que le financement monétaire va se poursuivre en tout cas en 2021 à charge pour les autorités de se donner les moyens de contenir les risques associés à ce genre de financement (plafonds quantitatifs limités dans le temps, application du taux du marché et stérilisation adéquate). La Banque d'Algérie (BA) doit se tenir prête à ajuster le taux des réserves obligatoires, action dont elle s'en acquitte avec justesse. Alternativement au financement monétaire, les autorités pourraient émettre du papier public (ce qui impliquerait la mise en place d'un marché obligataire souverain) et lever des ressources extérieures (à condition que le pays se donne les instruments nécessaires a cet égard). Le volet macroéconomique est donc incontournable pour que les réformes puissent faire une différence. Axe structurel : Un axe structurel complémentaire et cohérent qui comprend les réformes macro structurelles visant à renforcer la qualité de la politique macroéconomique et les reformes ciblant les structures du système économique. Pour la partie macro structurelle, les réformes viseront : (1)- le budget : à ce stade, les reformes toucheront les recettes (niveau de recouvrement des recettes, prolifération des avantages fiscaux et douaniers, faiblesse de l'administration fiscale et douanière, faiblesse et incohérence de certains impôts), les dépenses (structure et efficacité des dépenses publiques courantes et en capital), le processus budgétaire (cadre budgétaire pour réhabiliter le budget en tant qu'outil de la gestion macroéconomique) et les statistiques macroéconomiques ; (2)- la politique monétaire et de change (levée du blocage du canal de transmission compliquant la gestion du niveau de liquidité et le développement du secteur financier et rend le signal de la politique monétaire indéchiffrable), renforcer la coordination entre la politique budgétaire et la politique monétaire, pallier à l'absence de communication sur le rôle de la politique monétaire et des objectifs et améliorer la supervision bancaire. Dans le domaine des changes, il s'agira de réduire l'écart entre les marchés officiel et parallèle des changes par des réformes au niveau du marché des changes lui-même mais également au niveau des politiques macroéconomiques. Pour la partie des réformes de structures du système économique, l'objectif est de relancer l'investissement privé productif (simplification des formalités administratives et la transparence) pour stimuler l'activité du secteur privé), inclure les femmes dans le marché de l'emploi, améliorer l'accès au financement, mettre en place un système financier moderne et lutter contre la corruption pour rétablir la confiance de la population vis-à-vis des pouvoirs publics et s'approprier les réformes. Axe sectoriel : Il visera à moderniser et diversifier l'économie algérienne en pariant sur le développant de stratégies sectorielles cohérentes ambitieuses prenant appui sur le numérique et le vert afin d'accroître la productivité et la valeur ajoutée. Il s'agira de profiter pleinement du boom technologique du vert et du numérique. Deux voies qui permettront au pays de bénéficier du génie créateur de sa jeunesse. Un autre facteur en faveur des réformes sectorielles est de renforcer la résilience de l'économie aux chocs extérieurs et intérieurs. La quantification de la stratégie Prenant en considération les réformes ci-dessus, notre petit modèle de base nous donne les principaux indicateurs macroéconomiques à moyen terme suivants : Un taux de croissance qui passera d'un recul de 5% en 2020 à 1% en 2021, 3% en 2022 et 4% en 2023. Une reprise lente. Un taux d'inflation qui restera aux alentours de 5% en moyenne au cours de la période 2020-2023. Ceci reflète la faiblesse de la demande et aussi une offre en reprise lente. Les recettes fiscales devraient atteindre 18,5% du PIB hors pétrole en 2023 contre 16,3% en 2019, en considération de la mise en œuvre de mesures en matière de politique fiscale, de réduction des avantages fiscaux et d'amélioration de l'administration fiscale et douanière. Les dépenses totales passeront de 45,3% du PIB hors pétrole en 2020 à 39,6% du PIB hors pétrole en 2023 du fait de la rationalisation des dépenses courantes et de l'amélioration de la gestion et de la qualité des projets. Les dépenses courantes passeront de 30,6% du PIB hors pétrole à 23,3% du PIB hors pétrole en 2023. Les dépenses d'investissement se situeront aux environs de 16,2% du PIB hors pétrole pendant la période 2020-2023. Le déficit budgétaire primaire hors hydrocarbures va diminuer pour se situer à 19,1% du PIB hors pétrole en 2023 par rapport à 25,9% du PIB hors pétrole en 2020. Loin du déficit soutenable de 11% du PIB hors pétrole. Il sera financé par un mix de ressources banque centrale et émission de papier public (emprunts sur le marché intérieur). Les efforts de diversification et de libéralisation de l'économie se traduiront par une très légère augmentation des exportations hors hydrocarbures, des IDE et des recettes touristique vers la fin de la période de projection. En attendant la définition d'une vision et d'une stratégie de développement, les autorités peuvent d'ores et déjà initier une sortie de crise dans le contexte de la loi de finances initiale (LFI) pour 2021 qui devra être inscrite dans un cadre budgétaire à moyen terme conforme à un document provisoire de stratégie que le gouvernement pourrait adopter au cours des prochaines semaines. Par Bessaha Abdelrahmi Macro-économiste, spécialiste des pays en post-conflits et fragilités.