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Il était habité de la passion de savoir et de partager
Zahir Ihaddaden (1929/2018), Moudjahid, professeur, historien
Publié dans El Watan le 20 - 01 - 2021

Si on devait résumer son itinéraire, on dira : «Une vie au service de la nation.» D'une grande humilité, réservé et bienveillant, Si Zahir était toujours disponible, aussi bien pour son pays que pour ses étudiants, qui lui sont reconnaissants à jamais. Si Zahir a été membre fondateur de l'Ecole normale supérieure et parmi les premiers enseignants de l'Ecole supérieure de journalisme.
Personnellement, je l'ai connu, quand j'étais jeune journaliste à El Moudjahid, au milieu des années 1970. Si Zahir était cadre au ministère et enseignant. Comme moi, il était médersien, puisqu'il a fait la médersa de Constantine au début des années 1950.
Moi, bien après, dès l'indépendance au lycée franco-musulman d'El Biar, continuation de la thaalibya qui prodigue... un enseignement bilingue arabe-français, qui englobe aussi bien El Moutanabi que les classiques français.
Que retenir de Si Zahir, sinon sa vaste culture et son souci de la partager. Il avait une grande sensibilité. Il vouait une respectueuse estime à deux personnalités de sa famille, son frère Abdelhafid, premier ingénieur atomicien, tué lors du crash d'avion saboté par les services spéciaux français qui le transportait avec sept de ses camarades ingénieurs.
L'avion, un Illyouchine de la compagnie tchécoslovaque, s'est écrasé au-dessus de Casablanca le 11 juillet 1961, alors qu'il était neuf et les conditions climatiques idéales. L'enquête n'a jamais abouti. Abdelhafid avait 29 ans. Depuis, ses cendres reposent au Carré des martyrs d'El Alia...
Pour perpétuer son souvenir, Si Zahir a fait graver son portrait, sur le marbre, à l'entrée de son domicile. Si Zahir me disait, avec désolation, que Abdelhafid et ses compagnons n'ont pas eu la considération et la reconnaissance de la patrie qu'ils méritaient. Leurs noms n'ont jamais eu les faveurs de l'histoire, ni du récit national.
La deuxième personnalité est son parent, le grand penseur et philosophe, diplomate, historien Sahli Mohamed Cherif, qu'il cite régulièrement dans ses propos.
Sahli, en plus de ses travaux de recherches sur l'histoire de notre pays et ses œuvres dont les plus notables sont Décoloniser l'histoire et l'Emir Abdelkader a été un brillant diplomate qui a représenté notre pays, notamment dans les pays scandinaves et en Chine.
Un éveil précoce
Philosophe de formation, il devient historien par patriotisme, journaliste par vocation et écrivain par devoir. Sans doute, Si Zahir s'est-il inspiré de Mohamed Sahli, puisque lui aussi n'a pas démerité, en nous proposant des livres sur l'histoire de Béjaïa, à l'époque de sa splendeur, sur la presse en Algérie et un regard incisif sur l'histoire de l'Algérie.
Alors qu'il était à l'article de la mort, il a couronné son œuvre par un livre-testament, Itinéraire d'un militant. Son intérêt pour Sahli a amené Zahir, avec d'autres, dont son neveu Djamel Sahli et l'éditrice Asia, à rééditer, dans un joli coffret, une partie des œuvres du célèbre penseur. Si Zahir insistait souvent pour dire que sans le passé, on ne peut entrevoir l'avenir.
Aussi, s'insurgeait-il contre le fait que l'histoire de notre pays riche et plurielle a été amputée et souvent sélective. Elle ne commence pas en 1830, date de l'occupation française, parce qu'elle possède une histoire vieille de 5000 ans, dont on ne parle que très peu.
En raison de la pandémie et de ses terribles conséquences, nous ne pouvions, hélas, commémorer, en ce 20 janvier 2021, le 3e anniversaire de la mort de notre ami et frère Zahir, ravi à l'affection des siens et de la nôtre le 20 janvier 2018.
Aujourd'hui, nous commémorons le 3e anniversaire du décès de notre éminent professeur, moudjahid, dont la vie a été une succession de luttes, dans le recueillement et à travers des témoignages, dont l'émouvant hommage qui lui a été rendu, il y a deux ans, qui est toujours vivace dans nos mémoires.
Le lycée Frantz Fanon de Bab El Oued, qui a accueilli cet événement, s'y prêtait pour deux raisons : la première, le message qui y était émis par les différents intervenants s'adressait aux lycéennes, donc à la nouvelle génération, à laquelle le flambeau devrait être transmis, si tant est qu'on le veuille un jour.
La seconde, le nom de cet établissement est celui d'un combattant de la liberté, Fanon, qui était aussi compagnon de lutte de Si Zahir, ayant exercé tous les deux au sein d'El Moudjahid pendant la Révolution.
Organisée par la direction de l'établissement et l'Association de la Rampe Louni Arezki, cette rencontre a vu la participation, outre de la famille du défunt, des lycéennes, ainsi qu'une pléiade d'intervenants, qui n'ont pas tari d'éloges sur l'itinéraire flamboyant et militant du disparu.
Mais l'attention a été attirée par les mots justes et pleins de tendresse de l'épouse de Zahir, Yamna, qui a ému par sa sincérité et sa douleur. Tout autant que le message de sa fille Wafa, plein d'affection et de reconnaissance. Les autres discours, émanant des hommes qui ont connu Zahir de près, comme Lamine Bechichi, ancien ministre, Salih Benkobbi, ex-ambassadeur, ou encore Karim Younes, ancien président de l'APN, ont mis en avant les qualités tant humaines que professionnelles du disparu, dont une partie de l'œuvre a été résumée avec beaucoup de pédagogie par un de ses étudiants, le Dr Redouane Boudjemaâ, qui a rappelé le rôle précurseur de Si Zahir dans le développement de la presse algérienne, qu'il avait entamé, en pleine Révolution, en portant la voix de l'Algérie combattante et en le poursuivant, après l'indépendance, en qualité de professeur émérite et d'auteur reconnu, de plusieurs ouvrages ayant trait à l'histoire millénaire de notre pays.
Quant à l'autre docteur en communication, Youcef Agoune, il a détaillé la période où si Zahir préparait sa thèse en France : le docteur servant de trait d'union entre lui et Pierre Albert, historien de la presse, dont la réputation est bien établie.
Il y a eu aussi le témoignage du «fils du bled», notre ami Aïssa Kasmi, enfant de Toudja, dont la famille est à l'origine du «Musée de l'eau» érigé dans cette charmante contrée et que Zahir exhibait comme un trophée quand il évoquait sa ville de cœur et de ses racines. Kasmi a évoqué l'enfance et la jeunesse de Si Zahir, non sans s'enorgueillir de son riche passé militant, ainsi que celui de son frère martyr, Abdelhafid Ihaddaden.
Un flambeau confisqué, toujours en otage
Si Zahir, depuis 1962, n'était ni en retraite ni en retrait, il a continué à servir son pays avec la même ferveur, la même abnégation en formant des dizaines de cadres, en participant à faire connaître son pays, l'Algérie, depuis la nuit des temps.
C'est ce que j'ai essayé de mettre en évidence dans mon intervention, qui s'est terminée en apothéose grâce à l'ode chantée en tamazigh par mon ami, le poète Rachid Rezagui, dont le message, sans cesse renouvelé, appelle à la sauvegarde de notre cher pays, en le prémunissant de tous les maux.
Je rappellerai le geste inoubliable, plein de noblesse, dont Si Zahir m'a fait l'honneur en préfaçant merveilleusement mon beau livre Portraits et en cosignant à Kouba, peu avant sa disparition, la dédicace, relative à cet ouvrage, bien qu'amoindri par la maladie.
Si Zahir était empli d'un sentiment de fierté et de respect lorsqu'il évoquait son parent Mohamed Cherif Sahli. «Quelque part, je m'en suis inspiré», nous confiait-il, regrettant que son illustre parent n'ait pas eu la place qui est la sienne dans l'histographie algérienne.
Cet avis est partagé par un autre personnage du récit national, qui est scandalisé par la posture pleine de mépris et de condescendance du pouvoir à l'égard de l'élite intellectuelle. «L'honnêteté, c'est la meilleure politique, j'ai essayé les deux !», écrivait Mark Twin.
Cet adage pourrait très bien s'appliquer au regretté Abdelhamid Mehri, exemple de droiture, qui nous recevait chez lui il y a quelques années, évoquant les difficultés d'intégration des intellectuels dans le mouvement national, traversé par divers courants, mettant en avant la rigueur, voire la rugosité des dirigeants qui n'avaient pas généralement le même profil que ces militants sortis des universités.
Dans la foulée, il n'avait pas manqué de mettre en relief le parcours de Sahli. «Un homme de vaste culture qui a su se mouvoir dans la Révolution en la servant avec sincérité.
Vous devriez en parler, car j'estime que cette personnalité aux multiples facettes n'a pas eu la considération qu'il mérite», nous avait-il suggéré. Mehri eut à prononcer l'éloge funèbre de Sahli au cimetière El Alia, le 5 juillet 1989, précisant que cette date historique, pour un patriote comme Mohamed Cherif, «est un don du ciel, en tout cas une coïncidence heureuse». Il faut savoir, comme l'a écrit Abdelkader Djeghloul, que «lorsque le mouvement national algérien plébéien prend en charge les élites algériennes, c'est avec tous leurs stigmates, toutes les insuffisances de leur formation, autant intellectuelles que politiques, avec toutes leurs contradictions».
On en est arrivé à un phénomène de soumission, d'instrumentation et de marginalisation des intellectuels algériens. D'ailleurs, notre ami Aïssa Kadri, sociologue, ne dit pas autre chose : «Les lettrés n'étaient pas nombreux.
Si la colonisation et la conjoncture étaient les principaux freins au poids numérique, il faut ajouter leurs ambiguïtés d'identification, les contradictions qui les ont traversés et séparés et les difficultés qu'ils ne cesseront de rencontrer dans leur affirmation.
De plus, il y avait une relative distanciation envers l'action politique, et la jonction avec le mouvement national s'est toujours faite dans un rapport de subordination.»
Une élite méprisée
Zahir Ihaddaden a bien connu le regretté Sahli, pour l'avoir côtoyé. «Lorsqu'il a été prié de quitter Paris en 1940 où il enseignait la philo, Sahli est retourné à Toudja où il a prodigué des cours en qualité d'instituteur. Il y a vécu, et mon frère compte parmi ses disciples», se souvient Zahir, qui nous apprend que Sahli faisait le trajet reliant Toudja à Oued Ghir (12 km) à pied. «Là, il prenait le train pour joindre sa famille à Sidi Aïch. Au lendemain de l'indépendance, nous nous voyions souvent.
Un jour, alors que j'étais attablé au café Coq Hardi, près de la faculté d'Alger, Sahli, qui exerçait au ministère des Affaires étrangères, passait par là. Il me pria de transmettre un message à Ferhat Abbas qui résidait non loin de mon domicile. ‘‘Va et préviens-le qu'il va être incessamment arrêté !
Qu'il prenne ses dispositions.'' Je me suis présenté chez Abbas et lui fit part du message. La réponse du vieux politicien a été cinglante : ‘‘Ils veulent m'arrêter ; ils n'ont qu'à venir !'' Pour revenir à Sahli, je pense qu'il luttait pour une Algérie indivisible et son intérêt pour les héros nationaux à des époques différentes est un attachement sans équivoque à son pays et à ses cultures multidimensionnelles».
Pour Tahar Gaïd, syndicaliste, moudjahid et ancien ambassadeur, Sahli aura été de ces hommes qui ont marqué leur époque. «Etudiant, il passait ses vacances à Sidi Aïch, dans son village natal. Il aimait se retremper dans son milieu, aimant aller au marché hebdomadaire.
C'est ainsi qu'une fois, habillé d'une gandoura et portant un chapeau de paille, il s'était assis sur un trottoir un couffin entre les jambes. Une femme pied-noir l'a interpellé en ces termes : ‘‘Eh Mokhamed, qu'est-ce que tu vends ?'' ‘‘Je vends la politesse, madame...'', lui avait-il répondu.» C'est dire qu'il ne supportait pas cet esprit de supériorité que les colons affichaient.
Cette anecdote et bien d'autres peuplent le parcours de Mohand Cherif, humaniste, pacifiste, bon vivant, amateur de bons mots et qui n'hésitait pas, à l'instar du célèbre humoriste Francis Blanche, à sortir sa culture lorsqu'il entendait le mot revolver ! Ahmed Taleb Ibrahimi, qui a connu Sahli, en dresse un portrait touchant, fidèle à l'imposante personnalité de Moh Cherif.
«C'est en 1952, à la création du Jeune musulman, que je pris contact pour la première fois avec Sahli (en même temps qu'avec Malek Bennabi et Mostefa Lacheraf) que je considérais déjà comme l'un des théoriciens du nationalisme algérien.
Il avait déjà publié trois ouvrages», Le message de Jugurtha, L'Algérie accuse et Le complot contre les peuples africains, où il démontait avec lucidité la machinerie coloniale, dans sa double action de spoliation des terres et de destruction des âmes».
Ces écrits furent à la fois un appel à l'enracinement de la jeunesse algérienne dans son histoire et la démonstration que la lutte armée était préférable aux joutes électoralistes des factions.
Durant deux années, il assura une collaboration régulière au Jeune Musulman, qui dans ses colonnes lança le quatrième ouvrage de Sahli, consacré à Abdelkader Chevalier de la foi. «Après le déclenchement de la Révolution, Sahli, enseignant à Paris, fut toujours en compagnie de Lacheraf, le mentor des jeunes Algériens qui, à l'initiative du FLN, fondèrent l'Union générale des étudiants musulmans algériens.
Et lorsque un plus tard, à la demande de Abane Ramdane, la Fédération de France du FLN chargea un comité d'intellectuels algériens de ‘‘travailler'' l'opinion française, Sahli en fit partie. Et la fameuse Lettre du FLN aux Scandinaves est de sa plume.
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