Cultivant depuis toujours un terroir reclus, reculé et très accidenté, les paysans de la commune de Tamokra, sur la rive droite de la Soummam, comptent sur la paire de bœufs pour perpétuer un métier et un savoir-faire ancestraux, dont d'aucuns ne cessent de conjecturer l'extinction inéluctable. Ne dit-on pas que «le monde tient sur la corne du bœuf ?» Une maxime qui a valeur d'école et qui illustre à quel point cet allié infatigable à quatre pattes est indispensable pour labourer les champs dont la topographie accidentée ne permet pas d'entrevoir une quelconque mécanisation. Même si les profondes mutations socioéconomiques se sont traduites par un délaissement progressif de l'activité agropastorale, il n'en demeure pas moins qu'une poignée de paysans irréductibles s'échinent encore à travailler leur terre à l'ancienne et à la dure. «Ces bovidés dociles nous accompagnent dans les champs depuis l'arrière-saison jusqu'à la fin du printemps. L'idée ne m'a jamais traversé l'esprit d'abandonner ce métier légué par mes aïeux. D'ailleurs, depuis que mon défunt père m'avait mis le pied à l'étrier, je ne me suis plus essayé à autre chose», confie un paysan du village Boukerdous, pour qui cette activité est «plus qu'un métier, une identité». A bien y regarder, son histoire tient du «laboureur et ses enfants». «Notre père a toujours insisté pour que l'on n'abandonne pas le travail de la terre, avec laquelle on est lié par une espèce de cordon ombilical. Ne serait-ce que par respect à sa mémoire, on se doit de continuer à honorer ce serment tacite, même si le métier ne nourrit plus son homme», dira-t-il. Alors que jadis, pratiquement chaque famille possédait une paire de bœufs dans son écurie, de nos jours, on peut les compter sur les doigts d'une seule main, confie-t-on. «La paire de bœufs est devenue si rare qu'on est sollicité de partout, y compris des villages les plus éloignés des communes limitrophes d'Amalou et de Bouhamza. Les gens sont souvent astreints à plusieurs semaines d'attente pour pouvoir s'attacher nos services», atteste notre paysan. Transmis de père en fils et de génération en génération, ce métier perd de plus en plus de son attrait. Depuis quelques années, il est même frappé d'une véritable désaffection, constate-t-on. «Les gens, notamment les nouvelles générations, ne s'y intéressent plus. Elles préfèrent s'investir dans le commerce et les services, réputés pour être plus gratifiants et plus rémunérateurs. Beaucoup choisissent de faire carrière dans la Fonction publique ou le secteur industriel», souligne-t-il. Un autre paysan du village Tizi Aidel confesse qu'il exerce ce métier traditionnel «avec amour et passion», même s'il est souvent «pénible et ingrat». Il fait contre mauvaise fortune bon cœur. «Il est vrai que l'on ne gagne pas des fortunes à retourner le sol et à bichonner ses arbres, mais il n'y a rien de tel que de se retrouver chaque matin dans un écrin de verdure, au milieu d'une nature luxuriante. Cela entretient en nous le bonheur d'appartenir à cette terre nourricière qui a fait vivre nos ancêtres», déclare-t-il. Avec un esprit de clocher aussi manifeste, ces paysans ne céderaient sans nul doute pas si facilement aux sirènes de l'exode. Un mouvement qui a vidé bien des villages de cette commune rurale de leur substance humaine. Advertisements