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Effets du réchauffement climatique : Le Djurdjura face au stress hydrique
Publié dans El Watan le 03 - 06 - 2021

La saison pluvieuse a connu un rétrécissement laissant place à de longues périodes de sécheresse. Le massif de Djurdjura en souffre. Sa richesse et son potentiel hydrique sont menacés par les chamboulements climatiques. Point sur la situation.

La nature karstique de la roche du Djurdjura permet l'infiltration des eaux pluviales dans les entrailles de la terre pour constituer tout un réseau de lacs et rivières souterrains. C'est un véritable château d'eau.
Avant les années 1990, l'année pluvieuse s'étalait sur 6 mois avec des précipitations atteignant des pics de 2000 millimètres sur les hautes altitudes. Les mois secs n'étaient que deux, à savoir juillet et août. Quant aux températures maximales, elles n'excédaient pas les 30° en été.
La fonte définitive des neiges sur les sommets et les coins ombragés n'est observée qu'en début du mois de juillet. Les eaux de la fusion nivale emmagasinées ressortent sous forme de résurgences. Des dizaines, voire des centaines de sources jaillissent durant presque toute l'année. Les plus abondantes sont Lainsar Aberkane, Tinzert, avec un important débit dépassant les 400 litres par seconde.
Il y a 21 oueds alimentés par les eaux du Djurdjura, dont 13 permanents. Or, toute cette richesse et ce potentiel hydrique sont menacés par les chamboulements climatiques ayant caractérisé ces dernières années. La saison pluvieuse a connu un rétrécissement laissant place à de longues périodes de sécheresse. Le lac Agoulmim qui, d'habitude, se remplit d'eau jusqu'au début du mois d'août, a vu son niveau réduit comme une peau de chagrin alors qu'on est début juin. En outre, les irrégularités pluviométriques et l'absence des neiges en plein hiver sont devenus un phénomène courant et inquiétant.
Durant le mois de mai, plusieurs sources au niveau de la station climatique de Tikjda ont vu leur débit s'amenuiser, tandis que d'autres ont connu un tarissement précoce. «En plus du changement climatique caractérisé par le manque de précipitations, la plupart des grandes sources ont été captées pour l'alimentation des populations locales et à des fins touristiques par les structures hôtelières. Certaines sources ont été polluées par les rejets des eaux usées émanant de ces mêmes structures touristiques.
Si cette situation perdure, elle causera des pertes sur tous les plans. Socioéconomique, agricole, pastoral, écologique, touristique, etc.», dira Ahmed Alilèche, conservateur principal et chargé de l'animation au niveau de la direction du Parc National du Djurdjura (PND). En l'absence d'une station météorologique sur les lieux, l'évaluation de la situation devient difficile. L'ensemble des équipements installés durant les années 1980 ont été récupérés durant la décennie noire.
Faune et flore ont soif
Les conséquences néfastes des bouleversements climatiques à grande échelle sur le monde animal et la végétation commencent à se faire sentir. L'assèchement de la végétation fait craindre le pire, notamment l'augmentation du risque d'incendie. Et dans les zones escarpées comme ceux de la chaîne du Djurdjura, l'intervention des éléments de la Protection civile et ceux des forêts et du PND pour l'extinction des flammes s'avère très difficile et même risquée. Durant les années 1990, d'importants incendies ont ravagé plusieurs forêts de cédraie et ont même touché l'espèce endémique du pin noir. Le couvert végétal a fortement diminué.
De vaste zones, jadis verdoyantes, ont été réduites à des collines désertes. «Les espèces faunistiques du Djurjura sont mises à rude épreuve. Il leur sera même difficile de trouver des abreuvoirs en période estivale. L'assèchement des oueds contraindra des espèces, tel le seigle plongeur à quitter les lieux. Idem pour la tortue terrestre, le triton, la salamandre tacheté et autres.
Quant aux espèces végétales hygrophiles, elles sont tout simplement menacées de disparition. Comme il y a un fort risque d'assister à une migration de certaines espèces vers d'autres endroits, à l'instar du singe Magot qui descendra en aval à la recherche d'eau et de la nourriture dans les vergers. Ce qui causera des dommages aux agriculteurs et populations locales», explique M. Alileche, et d'ajouter qu'à cause des températures élevées, des espèces ripicoles vivant là où se trouvent les masses d'eau, comme le canard colvert, a fait son apparition au lac Agoulmim qui culmine pourtant à plus de 1700 m d'altitude. «Les températures élevées ont aussi pour conséquence le dérèglement de l'étagement des végétations.
A titre d'exemple, certaines espèces étrangères au PND, comme le pin d'Alep qui est pyrophile, a gagné en altitude au détriment du chêne vert et du cèdre et menace d'envahir leur espace. Ainsi, tout le fonctionnement de l'écosystème se retrouve chamboulé», déplore notre interlocuteur.
L'impact du stress hydrique et le tarissement des sources touchera également les populations des villages et localités du Djurdjura. Celles-ci risquent de subir des perturbations dans l'alimentation en eau potable. Ce qui pourrait engendrer des tensions. La menace pèse aussi sur les barrages hydrauliques des deux wilayas de Bouira et Tizi Ouzou, dont les eaux proviennent essentiellement de la chaîne du Djurdjura.
D'ailleurs, le barrage de Taksebt a connu un assèchement sans précédent. Même les structures hôtelières implantées dans le Djurdjura n'échapperont pas à la règle.
Elles feront certainement face à une rareté de la ressource hydrique. En l'absence des neiges, même en hiver, le nombre des touristes et visiteurs risquerait de chuter. Un coup dur pour le secteur touristique déjà confronté à d'autres problèmes. Les randonneurs, quant à eux, auront de la peine à trouver une source pour étancher la soif. Par ailleurs, même l'activité pastorale est impactée par le manque de précipitations. Les alpages d'autrefois commencent à se raréfier. Le cheptel de bovin, constitué essentiellement par la race locale appelée communément la Brune de l'Atlas, doit parcourir des kilomètres pour trouver de quoi se nourrir en montagne.
Le manque de précipitation en montagne affecte aussi la production mellifère. «J'ai été contraint à transhumer mes ruches en montagne, car au niveau de la plaine, tout est asséché. Malheureusement, cette année, même en altitude, la floraison n'est pas aussi abondante», déplore Hamza, un apiculteur. «Nous pouvons juste multiplier les actions de reboisement qui, au fil des années, peuvent créer un microclimat», préconise Ahmed Alileche.
Nous sommes tous responsables
De son côté, Ahmed Toumi, doctorant en foresterie à l'université Mouloud Mammeri de Tizi Ouzou, estime que la nature avec ses mécanisme de défense résiste et s'adapte. En outre, il insiste sur la mise en place d'une démarche participative pour sauver le Djurdjura et les autres sites naturels algériens. «Nous sommes face à un dilemme planétaire. Même si l'Algérie ne dispose pas d'une grande industrie, elle subit les conséquences du réchauffement climatique. A l'échelle mondiale, il faut un consensus qui conduira vers une réduction des émissions des gaz à effet de serre.
Au niveau local, et en ce qui concerne le Djurdjura, nous devons insister sur la communication et la sensibilisation des populations riveraines et faire participer les organismes étatiques, les associations et les APC afin de préserver la nature. Nous sommes tous responsables», dira-t-il. « En plus des campagnes de reboisement, il faut renforcer la surveillance pour lutter contre les feux de forêts et le défrichement en vue de permettre une reconstitution de nos forêts.
Pour ce faire, les pouvoirs publics doivent renforcer l'effectif du PND et du secteur des forêts en général, et les doter avec du matériel suffisant. Il faut aussi repenser l'idée du barrage vert», rajoute M. Toumi.
Afin d'aider un tant soit peu la faune sauvage, une association des chasseurs à Haizer, dans la wilaya de Bouira, a procédé, la semaine écoulée, à l'installation et le remplissage d'abreuvoirs. De telles actions, aussi minimes soient-elles, redonnent de l'espoir.
Bouira . Omar Arbane
[email protected]

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