La chaîne montagneuse du Djurdjura, au nord de l'Algérie, ne cesse de nous émerveiller par les trésors qu'elle recèle. Ses nombreux gouffres sont de véritables châteaux d'eau souterrains. Au niveau du Parc national du Djurdjura (PND), 8 gouffres sur les 15 répertoriés ont été partiellement explorés par des équipes de spéléologues de différentes nationalités. Ces cavités naturelles karstiques, qui se sont formées à travers des millions d'années, sont aussi les plus profondes sur le continent africain. Il y a plusieurs millions d'années, le calcaire s'est déposé sous une lame d'eau marine. C'est le cas pour l'actuelle chaîne du Djurdjura qui s'est formée dans le paléo-océan Téthys. Après leur émergence, ces montagnes de calcaire ont subi les effets des conditions climatiques. C'est ce qu'on appelle la météorisation. Les gouffres sont donc le résultat de la dissolution de la roche causée par les fluides, notamment les eaux riches en CO², et ce, à travers des millions d'années. «A l'intérieur des ces gouffres, il y a tout un réseau de canalisations et de cavités résultant du passage des eaux», explique Lamia Abdoun, géologue à l'université Houari Boumediène. Les gouffres revêtent aussi une grande importance dans l'équilibre de l'écosystème du Djurdjura. Ce sont de véritables réceptacles des eaux pluviales et celles de la fonte des neiges. Les eaux sont stockées dans des lacs et des bassins souterrains. A leur tour, ces réservoirs alimentent plus de 332 sources d'eau naturelles recensées au niveau du PND, dont les plus célèbres sont Tinzert avec un débit de 424 litres/seconde et Lainsar Averkane 400 litres/seconde. Ces sources jaillissantes alimentent à leur tour de nombreux villages regroupant des milliers de personnes sur les deux versants (nord et sud) du Djurdjura. Même chose pour les espèces animales. Des chercheurs ont tenté une expérience pour le traçage des eaux des sources. Ils ont versé un colorant dans les eaux de l'un des gouffres. Après un bout de temps, le colorant est apparu dans les eaux de différentes sources. Le gouffre du léopard ou Anou Iffis ou Ifflis en tamazight, qui signifie gouffre de la hyène, culmine à 2150 m d'altitude au sommet de l'Akouker à Tikjda. Il est le gouffre le plus profond en Algérie et en Afrique. C'est dans les débuts des années 1980 qu'une équipe de spéléologues français découvre par hasard ce gouffre, alors qu'ils campaient à une cinquantaine de mètres des lieux. Les premières expéditions ont estimé la profondeur de cette merveille de la nature à 975 m de profondeur. Après de nombreuses tentatives, des spéléologues de différentes nationalités, dont des Algériens, ont pu descendre jusqu'à 1170 m de profondeur, tandis que son réseau souterrain s'étend sur des kilomètres. Les explorateurs décrivent le monde souterrain de ce gouffre comme étant spectaculaire, rempli de ruisseaux, de bassins profonds, etc. Le gouffre d'Aswel, à quelque 1700 m d'altitude, est l'un des plus accessibles et des plus importants du Djurdjura. Il se situe à 300 m au sud de la RN33, au niveau du PND. Sa profondeur est estimée à 975 m. Avec ses galeries internes, son développement total est estimé à 2400 m. Les débuts de son exploration remontent aux années 1930 par les spéléologues Fourastier et Belin. Ce gouffre a une particularité. En plein été, alors que le thermomètre explose au-dessus des 40° Celsius, la température à l'entrée horizontale assez large du gouffre d'Aswel n'atteint pas les 10°. C'est un véritable frigo à ciel ouvert. Cette particularité a fait de lui une destination très fréquentée par les touristes nationaux et étrangers et durant toutes les saisons. On trouve aussi d'autres gouffres au sein du PND, à l'instar d'Anou Inker Temda, Anou Bou Hadjar, Anou Achra Lemoun, etc. La menace de la pollution plane Par insouciance, certains visiteurs jettent des déchets dans les gouffres et les grottes. Le gouffre d'Aswel est le plus touché par cette pollution, du fait de son accessibilité. Même les déchets jetés à des dizaines de mètres de ce gouffre finissent toujours dans ses profondeurs. Les fortes pluies emportent toutes sortes de détritus laissés par les visiteurs vers le gouffre d'Aswel, qui ressemble à un entonnoir. En 2010, la dépouille d'un homme, en pleine décomposition, a été découverte par une équipe de spéléologues amateurs dans ce même gouffre, à 35 m de profondeur. Les différentes équipes de spéléologues ont repêché aussi des animaux morts. «Toute pollution des gouffres en amont provoquera systématiquement la pollution des eaux des sources en aval. Ce qui constitue une vraie menace pour la santé publique. Notre mission est de protéger l'écosystème du Djurdjura qui se fragilise de plus en plus. Cependant, à chaque fois qu'on dénonce les dépassements, on nous accuse de bloquer le développement touristique !», déplore Moussa Haddad, responsable de l'antenne du PND à Tikjda. L'arrivée des déchets solides dans le souterrain des gouffres peut facilement obstruer des canalisations. Ce qui provoque un tarissement inévitable des sources et avec elles les zones humides du Djurdjura qui totalisent une superficie de 93 ha. Des mesures pour protéger les trésors du Djurdjura «Il faut des mesures urgentes pour protéger la nature du Djurdjura, à travers une législation spécifique. Il y a une grotte qui a été transformée en gargote ! La menace est bien réelle», dira Ahmed Alileche, conservateur divisionnaire au PND. Cependant, la direction du PND est confrontée au problème du manque de personnel, notamment celui des équipes d'intervention en nombre suffisant pour couvrir les 18550 ha de la réserve naturelle du Djurdjura. Pis encore, le PND ne dispose d'aucun spéléologue. Toutes les explorations ont été menées par des clubs de spéléologie amateurs algériens et étrangers Notre interlocuteur estime qu'il est impératif de mobiliser et d'associer les habitants des villages riverains du PND dans la mission de la protection. «La sensibilisation doit se faire en partenariat avec les associations et les comités de village. Nous avons signé un accord avec la direction de l'éducation de Bouira, dont l'objectif est de sensibiliser les écoliers via des sorties sur le terrain». La direction du PND compte aussi impliquer les médias dans la sensibilisation, et ce, via la création d'un club de presse qui regroupera le maximum des journalistes de la wilaya de Bouira.