A quelque chose malheur est bon. Les inepties de Paris ont fait découvrir à Alger notre profondeur historique, on dirait. A Rome, le ministre des Affaires étrangères, Ramtane Lamamra, a fait un geste plus fort que tous les mots en visitant le lieu où, il y a deux mille ans, le roi numide Jugurtha avait été emprisonné avant de mourir en héros. Le chef de la diplomatie algérienne a reconnu sur place «une pièce de l'histoire de l'Algérie», éclairant rétrospectivement un pan majeur de l'histoire de notre peuple, jusque-là tenu en marge de l'histoire officielle. Cette première visite d'un officiel sur les traces de l'un des fondateurs de l'Etat algérien est assez symbolique pour que l'on distingue un besoin de restituer aux Algériens leur histoire complète, longtemps prise en otage par le déni politique, et réduite à une version minimaliste, arbitrairement épurée. Ce besoin, s'il n'est pas illusion ou simple manœuvre opportuniste, vient rejoindre une lame de fond – si bien exprimée lors des marches du hirak – qui traverse la société algérienne. La version officielle de notre histoire et de l'identité algérienne en général a été écrite à la hâte au lendemain de l'indépendance par le clan dominant, et dans laquelle tout est défini par opposition à l'ennemi colonialiste (croisé, laïque, occidental, capitaliste, francophone), à qui on a opposé un ensemble d'éléments faisant miroir inversé, éléments hypertrophiés par les idéologies dominantes (nationalisme arabe et islamisme), à l'exclusion de notre amazighité et notre universalité. La suite est connue : la limite identitaire et historique a vite fait de produire des crispations, des violences et des ruptures. Un désordre existentiel qu'il convient, aujourd'hui, de réparer, mais à l'abri des considérations actuelles. Il convient peut-être de s'accorder d'abord sur ce que nous ne sommes pas. Nous ne sommes pas une réaction chimique au colonialisme, encore moins une province lointaine abandonnée suite au naufrage ottoman, ni une succursale de Nasser ou de l'URSS. Nos racines sont aussi vieilles, sinon plus, que tous ces mondes auxquels nous avons été contraints de nous attacher à des moments de faiblesse. Que représentent d'ailleurs ces moments comparés à la profondeur de notre histoire ? La question est davantage adressée aux politiques et à l'élite qui ont formulé le déni identitaire et l'ont entretenu depuis l'Indépendance, offrant une cosmogonie en noir et blanc imprimée sur des manuels scolaires idéologiques devenus des prisons mentales. Ce déni historique et identitaire a induit chez l'Algérien un déficit de conscience de soi, et donc de respect de soi et de l'autre, qui peut produire le terroriste du GIA, le séparatiste du MAK ou encore des pontes nihilistes comme les Farid Bedjaoui et Chakib Khelil. Le chemin de la désintoxication identitaire et de la réconciliation avec notre histoire sera long, mais le voyage de Rome sonne, on l'espère, la fin de ce temps du reniement.