En sa première journée déjà, la 4e semaine des universités a tenu ses promesses. Doublement. D'abord par la qualité des trois interventions au programme de la première séance du colloque. Ensuite par la pertinence du thème de celui-ci consacré entièrement aux défis qui s'imposent à l'université, une pertinence démontrée a contrario par une bien trop faible assistance par rapport à celle de la séance inaugurale. Cela explique a posteriori pourquoi, lors de cette dernière, le ministre de l'Enseignement supérieur avait appelé les universitaires à faire preuve de sérieux. C'est dire si l'université va mal et si le défi est immense. Mais pas insurmontable, selon le professeur Noria Benghabrit Remaoun, dans une intervention intitulée « L'enseignement supérieur et ses défis, particulièrement dans le monde arabe ». Pour la directrice du CRASC, la question reste de définir le type d'université voulue en fonction de quel besoin et de quelle grille d'évaluation. En ce sens, il s'agit de trouver réponse à trois équations essentielles. En premier lieu : « Comment amorcer le changement du système d'enseignement supérieur en vue d'améliorer la qualité de l'enseignement et de la recherche et de répondre à la demande croissante d'entrée à l'université ? » En deuxième lieu, il y a la gageure consistant à transformer la pression démograhique, et son corrolaire la pression financière sur l'enseignement, en facteur de changement. Enfin, il s'agit de répondre à une demande apparemment contradictoire, « celle de la nécessaire fabrication des élites à travers une sélection sévère et performante et celle de la nécessaire diffusion du savoir pour une population de plus en plus nombreuse ». Ces remarques amènent l'intervenante à poser que les réformes à engager sont conditionnées par « les défis de positionnement dans une société du savoir en pleine expansion », mais également par la perte par l'Etat d'un certain type de centralité dans la gestion économique, une perte qui s'est traduite par celle de l'approche stratégique dans la politique de l'enseignement supérieur, une politique qui s'est réduite à une pauvre alternative consistant à offrir une place pédagogique à chaque bachelier. Sous ces contraintes et d'autres encore, l'avenir se profile également sous une peu rassurante perspective par le fait que les négociateurs qui pilotent l'adhésion à l'OMC n'ont pas suffisamment fait preuve de vigilance vis-à-vis de l'accord général sur le commerce des services en émettant les réserves qui s'imposent en rapport avec la marchandisation du savoir. Développant sa réflexion, Noria Benghabrit Remaoun en vient à résumer à deux les défis à relever. D'abord « celui du passage à la modernité, plus spécifiquement celui du passage d'une société structurée aujourd'hui plus sur le mode du naql que celui du a'aql sur le plan intellectuel ». Ensuite « celui de se trouver une place dans la division mondiale du travail » dans un monde marqué par l'hégémonie absolue du marché. Dans une communication qui fait écho à la précédente, celui qui fut le président de la CNRSE se livre à quelques rappels sur l'histoire de l'université algérienne. En l'absence de son auteur, le professeur Benzaghou Benali, c'est son adjoint à l'USTHB qui présente cette communication. S'appuyant résolument sur le passé, le directeur de l'USTHB affiche sa volonté de contrer une attitude consistant à passer sous silence l'expérience de l'université algérienne. Aussi, il appelle à tempérer la tentation récurrente en Algérie de la table rase et de s'aventurer dans un mimétisme consistant à « télécharger les modèles des autres pays » avec pour argument le mépris de la revendication de la spécificité au prétexte qu'elle serait un alibi à la médiocrité. Subséquemment, Benzaghou estime que les défis des décennies prochaines ne sont pas seulement induits par les changements intervenus dans le monde ou dans notre pays. « Ils viennent aussi de l'extérieur du système universitaire national, de son histoire et de son état actuel ». En témoin actif de l'histoire de ce système qu'il a vécu depuis l'indépendance, Benali Benzaghou rappelle quelques étapes essentielles pour juger que « le défi majeur est celui qui vient de l'intérieur de notre société, des résistances internes, étayées bien sûr par tout un argumentaire populiste », un défi sous la contrainte d'un changement d'échelle qui fait que jusqu'aux années 1980, c'étaient seulement quelques dizaines de milliers de familles algériennes qui étaient concernées par les problèmes de l'université, alors qu'aujourd'hui c'est la société entière qui est impliquée. Dans le droit fil de ces considérations, deux autres défis sont identifiés. Ils ont trait à la qualité de l'encadrement et à la régionalisation noyée par de réducteurs concepts d'égalitarisme et d'uniformité. « Beaucoup craignent que différenciation soit synonyme de double vitesse, passe-droits, piston... Le risque est réel. C'est pour cela que nos universités doivent rester le bastion du respect de l'éthique et de la déontologie. » Avec la troisième intervention, celle du professeur Amr Helmey Ibrahim (Paris), l'assistance se délecta d'un propos, en son entame apparemment anodin, un propos gorgé de l'humour impertinent d'un fils du Grand Nil, d'une subversive subtilité et d'une succulente érudition. Le linguiste appuie sa démonstration en citant le contenu d'un avis municipal affiché sur une place en Tunisie, un avis interdisant aux mariniers d'ériger des tréteaux anarchiquement. Il en arrive à mettre en exergue la cocasserie et le tragique résultant des différentes déclinaisons de l'arabe standard dans le monde arabe et ainsi à signifier un défi d'une autre dimension. En effet, ce qui en arabe standard en Tunisie interdit d'ériger des tréteaux anarchiquement signifie en Egypte l'interdiction d'avoir une érection !