Ce matin, et comme de coutume, je me suis levé très tôt, j'ai pris ma douche, je me suis rasé ; ensuite je suis sorti pour acheter le journal, j'en ai profité pour prendre des croissants chauds au passage. De retour à la maison et après un bon petit-déjeuner pour bien me préparer à la dure journée qui m'attend, je me suis habillé en prenant soin de bien nouer ma cravate et de faire attention à ce qu'aucun faux pli ne vienne gâcher l'harmonie globale de l'image qui doit être nécessairement donnée à voir aux autres. L'image d'un cadre dynamique, frais émoulu, bien dans sa peau et prêt à mordre dans la vie à pleines dents et je vous assure qu'il y a de quoi l'être. Ne sommes-nous pas la corporation de fonctionnaires la plus utile mais aussi la mieux assise socialement et surtout la mieux payée ? Ce statut, qui fait de nous des favorisés, vient du haut degré de conscience de nos responsables qui ont compris l'enjeu stratégique que représente l'enseignement universitaire mais aussi et surtout l'enseignement tous paliers confondus. En effet, de ce point de vue, l'Algérie est aujourd'hui l'un des rares pays à avoir accordé la priorité absolue au développement de son système éducatif en considérant que l'Algérie de demain se prépare aujourd'hui dans les écoles, les collèges, les lycées et les universités. C'est ainsi que de vastes réformes humaines et matérielles ont été opérées dans ce secteur. Humaines d'abord en intensifiant la formation des formateurs, parfois en collaboration avec de prestigieuses institutions internationales et ce, pour tous les paliers du système éducatif, matérielles ensuite en investissant massivement dans la construction d'infrastructures éducatives modernes où il fait bon étudier avec des classes aérées, climatisées l'été et bien chauffées l'hiver, des classes où le nombre d'étudiants ne doit pas dépasser impérativement la vingtaine. Par ailleurs, toutes les écoles sont maintenant dotées de l'outil informatique et de bibliothèques bien achalandées. Ce qui est remarquable dans cette nouvelle politique éducative, c'est la part laissée aux loisirs et aux activités culturelles et sportives. En effet, les programmes scolaires ne sont plus aussi lourds et indigestes comme ils l'étaient par le passé, ils ont été dépouillés de certains enseignements, surtout au niveau du primaire, qui n'étaient pas vraiment nécessaires à l'éveil de nos petits potaches, ce qui a considérablement réduit l'emploi du temps « présentiel » à l'école. En contrepartie, les élèves libérés de cette contrainte liée à l'emploi du temps, contrainte qui était le propre de l'ancienne école, sont maintenant astreints de pratiquer un sport dans les multiples disciplines de leur choix, sinon à s'orienter vers d'autres activités culturelles ou artistiques et ce, bien sûr, après consultation d'une équipe dynamique de psychologues et d'éducateurs qui détermine au mieux, après toute une série d'investigations avec l'enfant et sa famille sur la base de toute une batterie d'entretiens et de tests psychologiques, quel est le meilleurs profil de l'élève (artistique ou sportif). Mais, en tout état de cause et pour le bien-être de l'enfant, il est évident que, quel que soit le profil, les deux disciplines sont obligatoires sauf que les disciplines sportives sont plus renforcées pour les élèves à profil sportif et les disciplines artistiques plus renforcées pour les élèves à profil artistique. A cet effet, là aussi, les autorités n'ont pas lésiné sur les moyens et des infrastructures sportives et culturelles ont poussé comme des champignons à proximité de chaque école. Si bien que chaque grand quartier d'habitations s'est vu doté d'un centre culturel et d'un complexe sportif où tous les sports peuvent être pratiqués, même la natation. Comme on peut le voir, cette nouvelle politique en matière d'éducation a radicalement bouleversé nos quartiers. Depuis son application et depuis l'aménagement de ces complexes culturels et sportifs par quartier, on ne voit plus tellement ces bandes de gosses oisifs et désœuvrés errer dans les cités et livrés à eux-mêmes, ces « hitistes ». Les enfants éprouvent tellement de plaisir à apprendre ou à jouer dans un environnement adapté à leur besoin, un environnement qui a su canaliser leur agressivité naturelle vers des activités plus constructives et plus socialisées, que le visage-même de notre environnement s'est radicalement transformé. Les espaces verts ne sont plus saccagés, les cages d'escalier sont propres et bien tenues, les ascenseurs dans les immeubles fonctionnent... Bref, grâce à la clairvoyance de nos décideurs en matière de politique éducative l'Algérie est en train de changer radicalement de visage et de remporter une grande victoire sur le sous-développement intellectuel et culturel. Cela dit, revenons à notre propos initial. Je disais que je me devais donc tous les matins que Dieu fait d'être dans la meilleure forme possible, parce que la journée qui commence sera longue et éprouvante, mais ô combien gratifiante tant il est vrai que depuis l'entrée en vigueur de ces nouvelles réformes, depuis la valorisation de notre statut, plus aucun enseignant ne ménage plus ni ses efforts ni son temps qu'il consacre entièrement à l'enseignement et à la recherche, temps et effort qu'il consacrait dans un passé récent à la course aux heures supplémentaires et autres activités lucratives au détriment de sa vocation première. C'est ainsi que depuis un certain temps donc, chaque matin, je me rends à l'institut où je travaille. La matinée est généralement consacrée aux enseignements et en fonction de chaque spécialité, l'enseignant aménage son emploi du temps de manière à pouvoir mener à bien sa tâche d'enseignant et de chercheur. C'est ainsi qu'en ce qui me concerne, j'ai programmé mes enseignements dans la matinée, ce qui me laisse par la suite largement le temps de m'occuper de mes autres activités d'encadrement et de recherche. En effet, après chaque cours, je me rends à mon bureau pour y recevoir les doctorants qui travaillent sous ma direction. Il faut savoir, en effet, que chaque enseignant de rang magistral dispose maintenant d'un bureau équipé de tous les outils nécessaires à son travail de chercheur, c'est-à-dire l'outil informatique, l'accès à Internet haut débit, le téléphone, le fax et puis, grâce à un extraordinaire réseau d'échanges interuniversitaires, l'accès à toutes sortes d'informations scientifiques est devenu chose banale. C'est ainsi que si on a besoin d'un ouvrage qui vient d'être publié ou d'un article récent paru dans une revue internationale, tout peut être commandé sans avoir besoin de quitter son bureau, et le tout dans des délais défiant toute concurrence. Comment dans ces conditions ne pas être performant ? Si bien que l'enseignant universitaire algérien n'éprouve plus le besoin d'aller tirer le diable par la queue sous d'autres cieux ; il est bien rémunéré chez lui, son cadre de travail n'a plus rien à envier à aucune autre université de par le monde, son environnement social et culturel s'est nettement amélioré, si bien qu'il ne lui reste plus qu'à faire valoir ce dont il est capable. Dieu sait donc combien cette nouvelle politique a été payante puisque nous assistons depuis un certain temps à un retour massif des cadres algériens installés à l'étranger. Nos universités sont de plus en plus sollicitées par des demandes de formations toutes spécialités confondues. Nous assistons, en effet, à un afflux massif d'étudiants étrangers venus de tous les horizons en quête d'une formation de qualité. Ces nouvelles réformes ont non seulement redoré le blason de l'université algérienne, lui faisant retrouver ses performances d'antan, mais elles ont dépassé toutes les espérances. Chaque enseignant de rang magistral dispose donc d'un bureau parfaitement équipé. Il faut savoir aussi que même les chargés de cours et les maîtres assistants disposent de leurs propres bureaux, c'est pour dire dans quelle estime les pouvoirs publics tiennent le corps enseignant universitaire. Cela dit, et pour en revenir à notre propos, après avoir dispensé mes cours de la matinée, je me rends donc dans mon bureau pour y recevoir les doctorants qui travaillent sous ma direction et à qui je consacre, deux fois par semaine, des séances d'une heure et demie de travail pour voir l'état d'avancement de leurs thèses. Je ne peux que souligner ici la motivation de ces post-gradués, la pertinence des sujets abordés et le sérieux avec lequel ces travaux sont menés. Comme pour les activités d'encadrement, une fois par semaine, une réunion de deux heures de travail a lieu, cette fois-ci, avec l'équipe de recherche dont je suis le chef de projet, cette réunion nous permet de voir l'état d'avancement des projets de recherche, surtout astreints comme on est de présenter un bilan sur l'état d'avancement du projet chaque année. Les résultats de nos travaux sont d'ailleurs très attendus par la communauté universitaire nationale et même internationale tant les sujets abordés par notre équipe de recherche sont pertinents. D'ailleurs, pour l'année en cours, nous sommes invités à donner une série de conférences à l'étranger sur les résultats auxquels nous sommes arrivés. Ceci dit, et comme nous nous insérons dans le cadre d'un laboratoire, il est évident que le bilan de nos travaux soit aussi exposé dans ce cadre. A cet effet, des réunions des chefs de projet s'inscrivant dans le cadre du laboratoire se tiennent régulièrement, réunions de travail pour la coordination des différents projets de recherche qui permettent de voir si l'ensemble des travaux engagés par les différentes équipes de recherche vont dans le sens de la politique générale et de l'orientation du laboratoire. Pour mener à bien cette politique de synthèse des travaux des différentes équipes de recherche activant au sein du laboratoire, des colloques sont organisés tous les deux ans et une revue annuelle est mise à la disposition des chercheurs pour la publication de l'état d'avancement de leurs travaux, une revue très sérieuse avec un comité de lecture et un numéro ISSN. C'est pour souligner le sérieux de cette revue qui depuis quelque temps reçoit même des propositions de publication de la part de confrères étrangers, confrères avec qui nous avons des contacts et des échanges très intenses, puisque certains d'entre eux sont venus donner des conférences chez nous, de même que bon nombre de nos collègues ont été invités chez eux dans le cadre d'un échange de bons procédés et surtout pour l'enrichissement de notre enseignement et de nos activités de recherche réciproques. Hormis ces activités, somme toute normales, pour ne pas dire banales dans un cadre universitaire, le laboratoire organise aussi tous les trois ans un congrès international sur un thème déterminé et auquel assistent différents spécialistes de toutes nationalités. Comme on peut le constater, toutes ces activités font que l'enseignant-chercheur universitaire est devenu très actif et surtout très occupé. L'université algérienne est devenue une véritable ruche bourdonnante où il n'y a de place qu'au savoir et à la recherche, un environnement de saine émulation où seuls le rendement scientifique, les publications et autres activités de recherche sont pris en compte. Et pour encourager encore plus l'enseignant universitaire à produire davantage, tous les postes de responsabilité sont désormais attribués sur la base de ces critères, si bien que ne peuvent postuler aux postes de responsabilité, de chef de département, en passant par les doyens, les vice-recteurs et le recteur lui-même que les meilleurs d'entre nous. Par ailleurs, et comme ces postes de responsabilité, en plus des critères scientifiques, sont soumis à un vote démocratique dans le cadre d'un mandat limité, renouvelable tout au plus une seule fois, ceux qui arrivent à occuper ces postes abattent un travail colossal dans une transparence absolue. Sachant qu'ils ne peuvent être élus que sur la base de ce qu'ils peuvent apporter à l'université, ils ne lésinent ni sur leur temps ni sur l'effort à fournir. Que dire de plus, sinon que nous sommes heureux d'appartenir à ce corps d'élite, formateur d'élite qu'est l'enseignant universitaire. Ainsi, l'enseignant-chercheur universitaire est devenu très actif, et surtout très occupé. Entre les enseignements, la recherche, les directions de travaux de recherche, les séminaires et les conférences, les journées sont devenues très bien remplies. J'ajouterais, pour ce qui me concerne, qu'en dehors de toutes ces activités que je considère comme un devoir et même plus encore, comme un véritable sacerdoce compte tenu du salaire qui nous est versé en contrepartie, depuis quelque temps et cela grâce à la possibilité qui nous a été offerte d'exercer à mi-temps en dehors de l'université, décision que je considère comme hautement responsable et constructive, puisqu'elle permet à certaines spécialités de pouvoir affronter les réalités du terrain et de la pratique, chose qui leur permet d'enrichir leur enseignement en référence à une réalité pratique et à se référer dans le cadre de leur enseignement à des cas réels, des situations vraies et vécues et non plus à puiser des exemples dans des ouvrages, parfois en totale contradiction avec notre réalité socioculturelle. Cela est d'autant plus vrai pour nous, psychologues cliniciens qui, il n'y a pas si longtemps encore, basions tout notre enseignement sur des manuels et sur des cas et des pathologies que nous ne connaissions qu'en théorie, sans aucune expérience pratique. Il en est de même pour les différentes thérapies que nous enseignions à nos étudiants et dont jusque-là nous ne savions même pas si elles étaient valides ou non dans notre contexte socioculturel. Cette nouvelle mesure qui permet à certains enseignants dans certaines spécialités d'exercer à mi-temps, ce qui, rappelons le, n'était permis qu'aux juristes, aberration dont je n'ai jamais compris la portée, a permis la mise à l'épreuve du terrain de notre enseignement et par la même son enrichissement. C'est ainsi que depuis quelque temps donc, je me suis engagé dans une pratique clinique dans le cadre d'un cabinet privé en collaboration avec une équipe de psychologues praticiens et d'orthophonistes, un cabinet de groupe dans lequel nous mettons quotidiennement notre savoir à l'épreuve du terrain. Il faut ajouter à cela que nous accueillons aussi dans ce cabinet des étudiants en fin de cycle, des étudiants qui se destinent à la pratique psychologique pour des formations qui les préparent à affronter cette réalité qu'on ne peut apprendre à l'université : le terrain. (A suivre)