Ahmed Azeggagh aurait sans doute aimé voir ces enfants et ces adolescents déclamer la poésie, pas forcément parce qu'elle est celle qui a fleuri dans ses rares publications. L'hommage rendu au poète, jeudi dernier, au théâtre régional de Béjaïa, grâce à l'élan de reconnaissance d'une association de son bled natal (juché à quelques encablures de Gouraya), et au coup de main de la Ligue des arts dramatiques de la wilaya, a été surtout émouvant parce que sentant franchement l'humilité et la générosité d'une génération qui avoue, les yeux baissés, qu'elle n'a commencé à vraiment connaître Ahmed qu'après sa mort. Deux amis du poète, Youcef Sayah et Samira Negrouche, respectivement animateur à la Chaîne III et poétesse, ont eu le privilège risqué de parler de lui. En puisant dans le texte rugueux et luxuriant de sa poésie qui, plus que tout, donne à comprendre et à apprécier l'homme et le militant intransigeant. Lui qui a de tout temps et, jusqu'à la fin, brandi son « refus d'obéissance » et « opposé l'harmonie insensée du rêve à la logique de l'angle droit ». Les nombreux anonymes dans la salle, jeunes pour la plupart, ont découvert au-delà de l'homme un verbe qui n'est pas aussi éloigné de leur entendement et de la substance de leurs rêves. Par bribes, des témoignages en éclats, des émotions reconstituées via le souvenir des rencontres et des issefras (poèmes) sporadiques osés par des jeunes inspirés par la trajectoire du poète disparu, la traduction lycéenne et militante, d'un quinquagénaire... l'hommage a tenu, même charmé, avec l'ambiance d'une fête sereine et sans chichis encenseurs. Un peu à l'image de l'homme dont les mots suffisent à dissuader les fastes et l'inflation des louanges. Pas permis, en effet, de « trahir » la mémoire d'un poète qui, au cœur de la fièvre glorificatrice qui a étreint le pays aux lendemains directs de l'indépendance, avait éructé : « Arrêtez de célébrer les massacres Arrêtez de célébrer des noms Arrêtez de célébrer les fantômes Arrêtez de célébrer des dates Arrêtez de célébrer l'Histoire (...) » Quatre belles jeunes filles et deux beaux garçons sont montés plus tard sur les planches du TRB pour un élégant montage poétique qui n'a que très peu souffert du trac des jeunots et sous les yeux attendris d'une assistance réconciliée le temps d'un hommage modeste avec la poésie. « Je ne veux plus/ Revoir cet autre moi natal /Où la poésie court les rues/ Sans daigner me reconnaître / Où le soleil berce la mer à l'extrême / A contre-jour des rochers/ Où le sable sent la forêt », avait écrit un Azeggagh dépité dans un poème dédié à sa Bougie natale. Jeudi dernier, la ville a su le reconnaître à travers une initiative humble mais démonstrative du besoin d'ériger le repère et se l'approprier. Ahmed Azeggagh est décédé des suites d'une longue maladie le 24 avril 2003 à Alger. Il a légué une œuvre dense et très méconnue du large public. Le vœu de son ami Youcef Sayeh de voir rééditer les textes dispersés du poète devra être vite exhaussé.