Le refus des dogmes et la dénonciation des injustices sont comme cette pyramide inversée que la société algérienne tente de grimper, s'appuyant trop fort sur les journaux privés de seulement une quinzaine d'années d'existence. Ce chantier républicain permanent, qui devrait associer en particulier les magistrats, les avocats et les journalistes, subit de graves parasitages. Réduisant les capacités des trois cercles professionnels à s'inscrire positivement dans le combat pour la démocratie. Ce que l'on a appelé « l'affaire Frik », du nom d'un ancien wali d'Oran en procès de justice, a révélé cette semaine des signes frappants des interférences concurrentielles entre les trois sources revendiquant l'expression de l'intérêt public. La tentation du sensationnalisme adoptée en nouvelle religion -facile et juteuse d'argent - par nombre de nos journaux a parfois des pics indignes de la profession et attentatoires au droit à l'information des citoyens. Le tir groupé d'avocats contre des journaux, voire contre « la presse », comme un sac magma, dans l'enceinte du tribunal d'Alger, a poussé la présidente à la question : « Faut-il faire le procès de la presse ? » Terrible ironie, à la veille d'un 3 mai, Journée internationale de la liberté de la presse, écorchée par l'emprisonnement du journaliste Mohamed Benchicou. A laquelle question, toujours dans le registre de la vénalité qui pousse à brader l'éthique des professions, il faudrait peut-être ajouter celle-ci : l'obligation de morale professionnelle de l'avocat de défendre « à tout prix son client » doit-elle primer sur celle du journaliste de « révéler » au grand public des dessous d'une affaire de justice ? Chacun assumant bien sûr ses responsabilités. Ces questions, et bien d'autres, mériteraient d'être débattues, pour que magistrats, avocats et journalistes sauvegardent leurs identités professionnelles respectives face aux dogmes, anciens et nouveaux. Et de préférence pas dans un tribunal. Tout cela sans oublier que la globalisation qui nous happe consolide les nouveaux, en Amérique même, si l'on en croit Cornel West, professeur à Princeton. « Tout le suc démocratique de la société, dit-il au quotidien Le Monde, est en train d'être aspiré par plusieurs dogmes. D'abord l'intégrisme de l'économie de marché, tout aussi dangereux que les intégrismes religieux, anéantit le souci de l'intérêt public. L'alliance entre élites financières et politiques fait passer la loi du profit avant la défense du bien commun. »