Le Centre culturel français (CCF) d'Alger a organisé, jeudi, une conférence-débat animée par Dalila Cherif, chercheur au Centre de recherche et d'étude sur l'Algérie contemporaine (CREAC), basé en France, autour de l'immigration algérienne en France, histoire d'un centenaire. L'approche historique choisie par le chercheur a permis d'appréhender l'immigration comme phénomène sociologique évoluant entre la déstructuration de la société d'origine sous le régime colonial et la transition non sans violence de la paysannerie algérienne du système traditionnel vers le prolétariat de l'organisation capitaliste. L'industrialisation de la France de la fin du XIXe siècle, les besoins militaires de l'empire colonial, le séisme frappant les structures sociales anciennes ont précipité les mouvements migratoires vers la métropole. Tiraillé entre le statut discriminatoire de l'indigénat en Algérie et la découverte de l'action collective politique dans le militantisme syndical dans les foyers industriels en France, l'émigré politisa non seulement une conscience du refus, mais en plus rationalisa ses moyens de lutte et de contestation. L'identité de l'immigration trouve ici une de ses matrices. L'autre matrice reste sa capacité, a souligné le chercheur, à perpétuer ses liens avec la société d'origine créant une sorte de « contre-société » avec ses propres référents culturels, ses propres réseaux de solidarité (les cafés-hôtels-restaurants du début du XXe siècle), permettant l'intégration, mais luttant contre l'assimilation. Le CREAC, fondé en 1995 par l'historien Jacques Simon, fin connaisseur du mouvement ouvrier de l'immigration et du messalisme, travaille notamment sur l'historicité de cette « matrice algérienne » qui surpassa le schéma de la simple structure communautaire. Mais il fallait attendre les années 1950 et 1960 pour voir l'immigration du travail, étroitement dépendante de la société d'origine, se muer en immigration de peuplement qui inspira au sociologue Abdelmalek Sayad la notion de la « colonie algérienne », qui devint graduellement autonome, stratifiée et diverse. Transition fondatrice également de l'immigration algérienne qui, après la fin officielle de l'immigration du travail, commença à suivre la trajectoire des autres immigrations en France. Parler de « deuxième génération de l'immigration », expliqua Dalila Cherif, c'est reproduire de faux schémas. « Pourtant, ces jeunes n'ont pas émigrés, eux », lança-t-elle. L'amalgame renseigne sur le déficit en conscience historique dont l'écriture de l'histoire reste la pierre angulaire. L'immigration algérienne en France se trouve souvent otage des raccourcis du discours ambiant. Elle se cherche une identité dont le fondement ambigu a été résumé par Sayad, La double absence, titre de son ouvrage posthume assemblé et préfacé par Pierre Bourdieu. « La violence dans le discours sur l'immigration résulte des vérités non dites », indiqua le chercheur. Objectiver l'immigration à travers sa réalité historique permet de mieux recouvrir pleinement l'histoire de ce phénomène si intime. Le CREAC devra collaborer avec le CCF d'Alger pour rendre disponible aux chercheurs algériens sa base bibliographique. « Pour reconnaître l'histoire, pour reconnaître les hommes », est intervenu Aldo Herlot, le directeur du CCF.