Le CCF accueillait mardi deux éminents historiens parmi les plus au fait de l'histoire contemporaine de l'Algérie. Dans le cadre du cycle de conférences, le CCF d'Alger a organisé mardi un débat sur le thème: «Ecrire l'Histoire», animé par Benjamin Stora et Mohamed Harbi et modéré par Ouanassa Siari Tengour, historienne et Abdelmadjid Merdaci, maître de conférences à l'université de Constantine. Considérés comme deux éminents historiens chercheurs pour leur contribution à l'écriture de l'histoire avec une approche scientifique novatrice, les régulateurs de la conférence, MM.Stora et Harbi ont marqué de leur empreinte l'écriture de l'histoire de l'Algérie contemporaine. Abdelmadjid Merdaci, a mis en exergue le parcours de Benjamin Stora, natif de Constantine, professeur d'Histoire du Maghreb à l'université de Villetaneuse (Paris XIII). M.Stora a publié une vingtaine d'ouvrages portant principalement sur l'histoire de l'Algérie. Le dernier en titre est intitulé Les guerres sans fin. Un historien, la France et l'Algérie. Mme Ouanassa Siari Tengour a présenté de son côté Mohamed Harbi, natif d'El Harrouch, aujourd'hui à la retraite, qui a été professeur de sociologie, et maître de conférences à l'université Paris VIII. Il est l'auteur de nombreux ouvrages de référence sur l'histoire de la Révolution algérienne, entre autres La Guerre d'Algérie, 2004 (en collaboration avec Benjamin Stora); Une vie debout: mémoires, 2001; Le FLN, mirage et réalité, 1993; Les Archives de la Révolution algérienne, 1981. Devant une affluence remarquable, Benjamin Stora, en tant que premier intervenant, a donné la réplique sur la question de «la guerre d'indépendance algérienne: usages de ce passé en France, entre histoire et mémoire». Le professeur Stora estime que «depuis une dizaine d'années, la connaissance de la séquence-guerre d'indépendance algérienne, s'est considérablement développée en France, notamment à la suite de travaux universitaires portant, par exemple, sur les images de cette guerre, les refus d'obéissance ou l'activité politique des immigrés algériens. Mais ce qui frappe, provoque l'interrogation, c'est que cette histoire savante n'arrive pas à freiner les usages abusifs du passé s'exprimant par la puissance des revendications mémorielles, quelquefois portées par des nostalgiques du temps colonial». Il a ajouté dans le même sens «qu'il s'agisse du passé lointain ou du passé proche, une série de débats se sont organisés autour des lois mémorielles, des conflits entre groupes porteurs de la mémoire de l'Algérie. Vingt ans après la rédaction de mon ouvrage La gangrène et l'oubli, la mémoire de la guerre d'Algérie, cette communication présente les divers aspects de ces conflits qui affectent le statut du travail historique». «Actuellement, les chercheurs et historiens ne travaillent pas seulement sur des entretiens de presse, mais ils accèdent au Centre français des archives où sont conservés les plus importants documents sur l'histoire de l'Algérie avant l'indépendance», a-t-il ajouté. Pour sa part, Mohamed Harbi est intervenu sur la question, «Connaissance de l'Algérie à l'épreuve de l'histoire contemporaine». Et M.Harbi de s'interroger: «Où en sommes-nous de l'écriture de l'histoire contemporaine de l'Algérie? Comment a été élaborée son historiographie? Comment mettre de l'ordre dans le commerce des idées usagées? Que faire du passé colonial? Comment affirmer et consolider l'émergence du métier d'historien?» Ainsi, Mohammed Harbi, spécialiste de la vie politique et de l'histoire de l'Algérie, estime qu'«il est temps de redéfinir la notion de vivre ensemble», expliquant que l'«On attend parfois de l'histoire qu'elle rassemble et mobilise une population et qu'elle enracine un sentiment national, comme l'a très vite perçu Joseph Desparmet. S'élabore alors, au prix d'effacements mémoriels et de déni de la diversité sociale et culturelle, un mythe national qui rejette toute possibilité de constructions plurielles et opposées au passé en même temps qu'il exclut toute forme alternative de récit identitaire». Et l'historien de préciser: «Il en résulte des visions unitaires et unanimistes qui, prenant appui sur la langue et la religion, enjambent des périodes telles que les périodes coloniales, nationalisme et histoire sont indissociables. Clio a pour mission de répondre à toutes les questions dictées par un présent qui ne cesse de changer. Dans les années 1980, les usages publics de l'histoire montrent leurs limites. Face au politique, on assiste au retour du refoulé et à la multiplication des controverses et polémiques sur l'élaboration du mythe national comme sur les trous de mémoire de l'historiographie nationaliste. C'est le moment du renouvellement de l'histoire par la mémoire, de ses apports et de ses abus.» Lors du débat, les deux modérateurs ont répondu aux questions des nombreux journalistes, lecteurs et étudiants présents au CCF. Chaque intervenant apportait sa lecture avec un regard et une sensibilité différentes.