Je ne serre pas la main d'un tueur », a lancé une femme à l'adresse du Premier ministre britannique, Tony Blair, qui lui tendait sa main lors d'un bain de foule électoral dans le centre du pays, à quelques jours des législatives du 5 mai. Des millions de téléspectateurs ont vu cette scène qui montre à quel point la guerre contre l'Irak suit le locataire du 10, Downing Street comme son ombre et pèse de tout son poids sur le prochain scrutin. Tony Blair a beau exhorter les électeurs à « regarder vers l'avant » et à se concentrer sur les questions économiques et sociales, rien n'y fait. L'opposition conservatrice - pour des raisons purement électorales, car elle était pour la guerre contre l'Irak - et une bonne partie de l'opinion publique - pour des raisons morales - estiment tout simplement que Tony Blair a menti à la nation sur les véritables raisons de la guerre. Il a menti sur tout. L'importance des armes de destruction massive détenues par le régime de Saddam Hussein, la légalité de la guerre et la fameuse déclaration selon laquelle l'Irak était en mesure de lancer ses missiles contre les bases britanniques à Chypre quarante-cinq minutes après un quelconque ordre du gouvernement de Baghdad. Pourtant, selon les sondages d'opinion, l'Irak importe peu aux électeurs, même si quelque 7500 soldats britanniques y sont toujours stationnés, et seulement 3% des Britanniques affirmaient, dans un récent sondage, que c'était pour eux le facteur déterminant dans le scrutin. « Cette hypothèse ne semble pas tenir la route face à la vérité sur le terrain », écrit à ce propos le journal The Guardian. En effet, selon les journalistes des différentes chaînes de télévision et des quotidiens dits sérieux, en comparaison avec les journaux de caniveau, The Sun et The Daily Mail, et les candidats des différents partis politiques, la guerre contre l'Irak demeure un élément majeur dans les facteurs qui détermineront le vote des électeurs. Les villes à forte concentration universitaire, les villes où habitent de larges communautés musulmanes, une bonne partie de la classe moyenne, les « guardianistas » (lecteurs de journal The Guardian) et d'autres pacifistes en tous genres veulent punir Tony Blair pour son aventure irakienne sans pour autant punir le Parti travailliste. Comment ? En votant pour les députés verts ou démocrates libéraux dans les circonscriptions où le candidat travailliste sortant a voté pour la guerre contre l'Irak lors du vote au Parlement à la veille de l'offensive militaire contre Baghdad, mais seulement après s'être assurés que ce vote-sanction ne permettra pas au candidat conservateur de gagner. Cette possibilité de punir Tony Blair sans permettre au chef des conservateurs, Michael Howard, de s'installer au 10, Downing Street, a obligé la direction du Parti travailliste à lancer un véritable SOS en direction de ses supporters, en les mettant en garde que le vote-sanction risque justement d'aboutir à la concrétisation de ce scénario catastrophe. Ces mises en garde, cependant, ne semblent pas avoir d'effet sur les électeurs du Parti travailliste comme le résume si bien, pour le journal The Independent, un citoyen ayant voté pour le parti lors des trois dernières élections, George Desmonds : « J'ai beau me remettre en cause, analyser toutes les possibilités, j'arrive toujours à la conclusion qu'il m'est impossible de voter pour Blair. Il a menti. Il doit partir. »