La Trappe de Staouéli ou ferme Borgeauda été le centre d'intérêt de l'Association des amis du patrimoine qui, avec le concours de l'association El Ansar de Bouchaoui, a rendu une visite sur site de ce patrimoine et d'autres lieux considérés comme faisant partie de la mémoire et de l'histoire de notre pays. En collaboration avec l'association El Ansar (protection de l'environnement et de la sauvegarde du patrimoine historique) de Bouchaoui, une visite sur le terrain a eu lieu vendredi dernier dans le cadre du mois du patrimoine à l'ex-domaine Borgeaud (aujourd'hui Bouchaoui Amar), au cimetière trappiste où est enterré, entre autres, le colonel Marengo de triste mémoire pour les Algériens, au cimetière familial des Borgeaud, que l'archevêque d'Alger vient de récupérer, à la Croix blanche, qui symbolise l'œuvre des trappistes, et à la Croix noire, lieu de déroulement de la bataille de Staouéli le 19 juin 1830. Ce dernier lieu, point le plus culminant de la région, a connu une bataille féroce au cours de laquelle on enregistra environ 5000 morts, parmi lesquels Amédée de Bourbon, fils du maréchal de Bourbon, et qui a vu la participation des Hadjoutis, ces tribus guerrières très connues à l'époque et qui avaient donné du fil à retordre aux armées françaises. Pour ceux dont ce nom est peu évocateur, la Trappe désigne le monastère où vivent des trappistes, des religieux qui appartiennent à l'ordre cistercien né à Citeaux (France) en 1098. Ce sont des moines cloîtrés qui mènent une vie érémitique. Au XVIIe siècle, une réforme de l'ordre, issue d'une tentative de restauration née au monastère cistercien de la trappe leur donne le nom de trappistes. A cause de leur coule blanche, ils ont été souvent confondus en Afrique du Nord avec les pères blancs. Contrairement à ces derniers, créés par le cardinal Lavigerie en 1868, qui avaient comme mission l'évangélisation de l'Algérie, l'installation des trappistes à Staouéli a été sollicitée à des fins de colonisation pour leurs qualités agricoles et servir d'exemple. En 1998, on célébra d'ailleurs un peu partout en Europe le neuvième centenaire de la naissance des cisterciens. Quant au second titre de « ferme Borgeaud », c'est que les trappistes, arrivés en 1843 à Staouéli, avaient vendu en 1904 ce domaine à Lucien Borgeaud. Lui-même et ses descendants l'exploiteront selon la volonté des moines et ne le quitteront qu'à la date de sa nationalisation par le nouvel Etat algérien. En 1843, un arrêté du 11 juillet autorise les trappistes à fonder un établissement agricole en voie de consolider la colonisation française. Le maréchal Bugeaud, qui exerce la réalité du pouvoir sur place, est favorable à une politique coloniale en l'associant à la qualité agricole des moines. Les dix trappistes, en grande majorité originaire du monastère d'Aiguebelle, dans la Drôme, où ils sont conduits par dom François Régis, prennent officiellement possession du domaine le 20 août 1843, jour de la Saint-Bernard. C'est le maréchal Bugeaud qui posera la première pierre, avant que, les trappistes n'obtiennent, en 1850, le titre de propriété pour une concession de 990 hectares et 73 ares malgré la pression de quelques colons de Chéraga, Dély Ibrahim et Saint-Ferdinand. En 1846, la Trappe est érigée en abbaye par Mgr Louis-Antoine Augustin Pavy, évêque d'Alger. La visite de Napoléon III, en 1865, permet de connaître l'état de la concession : un mur de clôture de plusieurs kilomètres de long entoure les bâtiments et les jardins qui sont de 50 hectares. En dehors de ce mur, 500 hectares sont défrichés, ensemencés ou plantés. En 1882, on dénombre 110 trappistes, 60 domestiques logés à l'abbaye, 70 condamnés militaires également logés et près de 200 travailleurs. En 1904, lorsque les trappistes vendent la propriété à Lucien Borgeaud, le domaine comporte : 30 hectares de géraniums dont on tirait annuellement 600 kg d'essences, 348 hectares de vignes qui donnaient jusqu'à 16 000 hl de vin (on comptait une dizaine de vins sélectionnés), des caves d'une longueur de 130 m sur 18 de large, des cultures maraîchères où la patate douce (découverte par Christophe Colomb à Haïti et Saint-Domingue) fut introduite en Algérie par les moines. Il y avait également 120 hectares de blé, une centaine de ruches et 1800 arbres fruitiers.Craignant les lois antireligieuses de 1901 et un avenir incertain en raison du manque de recrutement local, dom Louis de Gonzague André, élu abbé en 1900, le domaine est vendu. Les trappistes partent alors à Manguzzano, en Italie (un seul d'entre eux, le père Jérôme, restera en Algérie). Lorsque le cisterciens reviennent en 1937, ils viennent de Yougoslavie et de France, où ils choisissent le site de Tibherine (à 6 km au nord-ouest de Médéa) et le vocable de Notre-Dame de l'Atlas, en référence à cette chaîne de montagnes qui traverse tout le Maghreb. A l'indépendance, le domaine Borgeaud a été le premier domaine nationalisé (en 1963) et vite soumis au système de l'autogestion prôné par l'Etat à l'époque. En 1976, la villa qu'a visitée l'Association des amis du patrimoine vendredi 22 avril 2005, a été le premier siège du Bureau national d'études pour le développement rural (BNEDER) puis du Centre national de documentation agricole (CNDA), devenu Institut national de vulgarisation agricole (INVA). En 1995, cette demeure est évacuée après le séisme qui a frappé la région d'Aïn Bénian et qui a endommagé plusieurs parties de l'édifice, et se trouve depuis fermée. Toutefois, on notera que la buanderie de la villa, se trouvant au sous-sol, a été illicitement squattée par des indus occupants. Enfin, une aile de la villa est utilisée, depuis quelques mois déjà, par le directeur de l'ENTV, Hamraoui Habib Chawki, pour l'enregistrement des émissions de « Wakafat », où plusieurs personnalités historiques ou du monde de la culture et des arts se sont succédé. Perpétuant ainsi le passage des personnalités accueillies à la Trappe entre 1843 et 1963, comme l'Emir Abdelkader, Horace Vemet, François Mitterrand, Aït Ali, le duc de Montpensier ou Mgrs Henri, Duval, Dupuch et Lavigerie. Ce qu'ils en pensent -M. Aït Sahlia « Il faut restaurer et réhabiliter ce site » Le président de l'Association nationale des amis du patrimoine, M. Aït Sahlia, a souligné, lors de sa visite, l'urgence et la nécessité de sauvegarder la Trappe, ce site qui renferme une partie importante de l'histoire coloniale de l'Algérie. « L'Association des amis du patrimoine s'intéresse à tout ce qui se rapporte au patrimoine national. Dans le cadre de nos activités, nous organisons des conférences et aussi des sorties sur site pour voir dans quel état se trouve notre patrimoine. Et ce domaine doit faire partie de notre patrimoine. Ce legs, il faut le sauvegarder pour la mémoire. Un endroit qui raconte son histoire fait partie de notre mémoire. Ce n'est pas par simple curiosité que nous sommes-là. La première impression qui se dégage de notre visite est celle d'une terrible désolation, car c'est malheureux de laisser partir en ruine ce qui aurait pu servir à pas mal de choses. Des suggestions, nous en avons comme ça, de but en blanc : nous pensons à un musée, par exemple. Un musée de la nature, de la colonisation et peut-être d'autres idées qui peuvent s'avérer encore plus intéressantes. Nous avons constaté l'état des lieux et cela donne envie de pleurer en tous les cas. » -Mme Anissa Boumediène « Dommage qu'il soit à l'abandon » En sa qualité de présidente d'honneur de l'Association des amis du patrimoine, Mme Anissa Boumediène, épouse du défunt président de la République, s'est dit désolée de la situation dans laquelle se trouve la Trappe : « C'est la première fois que je visite ce domaine et je souhaite qu'il soit mieux entretenu à l'avenir. C'est un beau domaine. Il fait partie du patrimoine de notre pays et c'est dommage qu'il soit complètement à l'abandon. J'espère que les autorités prendront en considération ce lieu historique. Et puis quelle que soit son origine ou son époque, tout patrimoine algérien appartient aux Algériens. Il est de notre devoir de réhabiliter la mémoire de notre pays. » -M. Boulardjem « Réhabiliter la Trappe à travers l'écomusée » Le très dynamique président de l'association El Ansar (Association de protection de l'environnement et de sauvegarde du patrimoine historique), Boulardjem Abdelkader, s'active avec ses amis pour tenter de sauver ce qui reste à sauver dans ce domaine à travers un certain nombre d'activités et de projets aussi ambitieux les uns que les autres. Il est d'ailleurs l'initiateur de la récente visite sur terrain des membres de l'Association des amis du patrimoine et des personnalités qui les accompagnaient. « De nombreux sites doivent être repris en charge et revalorisés à travers le concept d'écomusée que tente de développer l'association El Ansar. Rien qu'à Bouchaoui, on dénombre des sites religieux qui sont les plus imposants (monastère, cloître, Croix blanche, Croix noire, cimetière, muraille d'enceinte), des sites géographiques (batailles de Sidi Fredj et de Staouéli), des sites culturels (belle fontaine, forge, résidences somptuaires). Des sites qui doivent être identifiés puis proposés, pour certains et au plus vite avant leur disparition, pour un classement comme patrimoine national. Le but donc de cette visite est d'attirer l'attention des hauts responsables du pays pour la restauration et la réhabilitation de ce site avant de le destiner à quelque chose. A cet effet, un projet est en voie de finalisation qui comporte une série de propositions comme les ateliers d'art et métier, des chantiers écoles pour la restauration des sites historiques et des fouilles archéologiques ou une caravane du patrimoine sillonnant à chaque fois un lieu historique connu ou peu connu. »