Alphonse Daudet (1840-1897) connaissait l'Algérie. Il y avait séjourné, avec son cousin Henri Reynaud entre l'automne 1861 et fin février de l'année suivante (1862). On ignore s'il avait visité l'actuel Bouchaoui, l'ex-domaine de la communauté religieuse de l'ordre des Trappistes puis de la famille Borgeaud. Mais il avait certainement eu une idée sur le fameux vin La Trappe produit par les Trappistes installés dans cette région aux premières années de la colonisation. Est-ce à ce vin qu'il faisait allusion dans “L'élixir du révérend père Gaucher” contenu dans “Les lettres de mon moulin” ? Jugez-en : “Il y a belles années de cela ; mais je pense qu'avec l'aide de saint Augustin et la permission de notre père abbé je pourrai – en cherchant bien – retrouver la composition de ce mystérieux élixir. Nous n'aurions plus alors qu'à le mettre en bouteilles et à le vendre un peu plus cher, ce qui permettrait à la communauté de s'enrichir doucettement, comme ont fait nos frères de la Trappe”. Alphonse Daudet avait écrit “L'élixir du révérend père Gaucher” lors de son voyage en Algérie, selon une association fondée en sa mémoire en France. “Le vin de Staoueli, justement renommé, étant la principale exportation de La Trappe”, écrivait en 1887 Paul Margueritte dans un livre intitulé Pascal Defosse : mœurs du jour . Les Trappistes sont arrivés en Algérie dans le sillage de la colonisation. Ils avaient construit, dès 1843, leur couvent sur les lieux mêmes de la première bataille entre les forces coloniales et la résistance algérienne. Ils avaient, dans le même temps, accaparé les terres agricoles du secteur de Staouéli, sous forme de donation des autorités militaires coloniales, pour agrandir leur propriété qui sera connue, plus tard, sous le nom de domaine de La Trappe. Au début, il y avait 40 trappistes qui avaient fondé le couvent. Moins de 3 ou 4 ans après, leur nombre a atteint 120. Leur domaine comptait plus d'un millier d'hectares dont 500 de vigne, 15 de géranium, 60 domestiques, 400 travailleurs, 200 défricheurs, 35 à 40 paires de bœufs, des chevaux, 400 moutons, 500 ruches, rapportait Auguste Besset dans À travers l'Algérie d'aujourd'hui (1896).“On cultive le géranium, la verveine, le citronnier, le laurier-rose et beaucoup d'autres plantes aromatiques. On cultive ces plantes à la Trappe de Staouéli, sur une étendue considérable et ces cultures réalisent un bénéfice net de 600 Fr. à l'hectare”, peut-on lire dans une conférence intitulée La concurrence étrangère. Industries parisiennes, politique coloniale… de Paul Vibert datant de 1887. “À La Trappe, on cultive également sur une grande échelle les abeilles et on obtient un rapport de 25%, c'est-à-dire que 400 ruches y produisaient de 500 à 1.000 kg de miel à 2,25 Fr. le kilo”, selon le même auteur. Un bien mal acquis ne profite jamais, dit le dicton. Les Trappistes avaient été “nationalisés”, dépossédés de leurs “biens” en 1904. Leur gigantesque “propriété” était passée… à la trappe. Elle avait été cédée à la famille Borgeaud. Le domaine est ensuite nationalisé et récupéré par l'Etat algérien en 1963, moins d'une année après l'accession du pays à l'indépendance. M. A. Himeur