Jacques Vergès : « Le procès est toujours possible » Organisé par l'université du 8 Mai 45 de Guelma, en collaboration avec la Fondation du 8 Mai 45, en cette occasion de la commémoration du 60e anniversaire des massacres perpétrés en ce temps-là, et portant le titre « Le génocide de Mai 1945, Algérie-France : mémoire et mémoire », le colloque international s'est ouvert hier avec la conférence de Me Jacques Vergès intitulée « Le crime contre l'humanité ». D'emblée, le célèbre avocat donnera la définition, selon le code pénal français, des crimes contre l'humanité, en citant l'article 211-1 parlant du génocide et l'article 212-1 des autres crimes contre l'humanité, déportation, réduction en esclavage, pratique massive et systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes, etc. « Ce fut pourtant la pratique constante de l'Occident à l'égard du reste du monde au cours des deux derniers siècles », ajoutera-t-il. Puis il citera certains écrivains et autres chercheurs scientifiques qui catégorisaient les races déjà au XIXe siècle. Il y a un certain Cuvier en 1817, Darwin, en 1871, Herbert Spencer, philosophe libéral, qui se félicitait dans son essai La statistique sociale en 1850 en disant : « Les forces qui font aboutir le projet grandiose du bonheur parfait ne tiennent nullement compte de la souffrance d'ordre secondaire et exterminent ces sections de l'humanité qui leur barrent la route. Qu'il soit être humain ou brute, l'obstacle doit être éliminé. » A partir de là, tout est permis. Et le conférencier d'énumérer tant de massacres. Le nombre des Peaux rouges passera de 8 millions, à l'arrivée des Européens, à 250 000 en 1900. La tragédie de la Tasmanie en 1803, causée par une poignée d'Anglais, constitue un génocide parfait. Cette île à l'est de l'Australie, « où Darwin débarqua en 1836, ne comptera en 1859, date où il publie son De l'origine des espèces que 9 femmes, trop âgées pour avoir des enfants. La dernière femme meurt en 1876 ; sa dépouille, empaillée, est conservée au Tasmanian Museum, à Hobart, entre un loup de Tasmanie et un ornithorynque ». D'autres exemples non moins effroyables trufferont son intervention. Il relèvera aussi des noms de criminels justifiant leurs forfaits commis en Algérie au nom d'une certaine race supérieure : le colonel de Montagnac, le comte d'Herisson, le général Saint Arnaud, le maréchal Bugeaud. Même Alexis de Tocqueville, le libéral, l'observateur de la démocratie américaine, est du même avis que ces derniers. « Les événements de Sétif s'inscrivent parfaitement dans cette tradition avec ce piment qu'en Europe, on se prépare à poursuivre les dirigeants nazis pour crime contre l'humanité », déclare-t-il. Et de donner des statistiques : « Il y a eu plus de morts algériens pour la France au cours de la Seconde Guerre mondiale que de résistants français recensés au cours de la même période. » Parlant des massacres ayant eu lieu à Guelma, il dira ceci : « Tout est entre les mains du sous-préfet Achiary. Avec lui, pas de demi-mesures. Il ordonne l'arrestation des centaines d'Algériens ; les colons, armés, lui prêtent main-forte. Les prisonniers sont transportés par camions en dehors de la ville, à Kef El Boumba, où on les abat à la chaîne. Le sous-préfet invite les Européens à participer aux massacres ainsi : "Messieurs les colons, vengez-vous !" Une sauvagerie comme aux premiers temps de la conquête. Blindés, artillerie, aviation... » A propos de ce crime contre l'humanité, Me Vergès dira aussi ceci : « Le crime du 8 Mai 1945 est imprescriptible. Il n'a pas été amnistié, puisqu'il n'a pas été reconnu. Seules les victimes ont été poursuivies. Un procès est toujours possible. » Concernant l'attitude de la France face à ces crimes, il a été on ne peut plus clair : « La France, non pas celle qui ordonne de glorifier la colonisation dans les livres scolaires, mais celle du discours de Pnom Penh, celle qui a reconnu sa responsabilité envers les juifs livrés aux nazis, fût-ce par un gouvernement illégitime, celle qui s'est opposée à la guerre contre l'Irak, cette France-là s'honorerait en reconnaissant sa responsabilité dans les massacres du 8 Mai et sa dette envers le peuple algérien. » Tahar Boumedra, secrétaire général de l'Association africaine de droit international et de droit comparé, dans sa conférence, lui, se demande pourquoi il y a deux poids, deux mesures quant à ce qui s'est passé en 1915 en Arménie et ce qu'elle a commis le 8 Mai 1945 en Algérie. Là, elle accuse la Turquie de crime contre l'humanité et de génocide et le reconnaît en tant que tel, et ici ...