Maître Jacques Vergès a, lors du colloque sur les massacres du 8 Mai 1945 à Guelma, dans une conférence, fait le procès du colonialisme. Pour lui, « le caractère exceptionnel du martyre juif ne s'explique pas sans le martyre, lui aussi exceptionnel, des peuples colonisés, car c'est le colonialisme qui a le premier fait du racisme la base de son organisation sociale, et réservé à un groupe restreint le privilège de l'humanité, et refusé en conséquence aux autres les droits de l'homme ». Et comment qualifier le colonialisme en termes juridiques ? « La première manipulation que nous devons dénoncer est celle qui fait des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité contre les colonisés de simples bavures, alors qu'il s'agit de crimes d'Etat », a-t-il expliqué. Qu'est-ce qu'un crime d'Etat ? « Le crime d'Etat est la violation de la loi par l'Etat lui-même, oublieux de ses principes, en vacance de sa propre légalité », a-t-il ajouté. Il montrera comment Darwin a fini par se résigner au génocide des Indiens d'Argentine et celui des Tasmaniens, dont il a été témoin. Il citera aussi certains « théoriciens de la barbarie en Algérie », tel le colonel De Montagnac, qui dans ses Lettres d'un soldat, écrit ceci : « Toutes les populations qui n'acceptent pas nos conditions doivent être rasées. » Maître Nicole Dreyfus, avocate du FLN lors de la guerre de Libération, insiste, pour sa part, sur le fait que, lors des manifestations pacifiques du 8 mai 45, « la répression fut immédiate et d'une sauvagerie sans précédent ; les blindés et les canons furent utilisés, l'aviation pilonna la zone, le Dugay Drouin, navire de guerre basé dans la rade de Béjaïa, bombarda la côte ». Aussi, ajoutera-t-elle, qu'« il est scandaleux que l'odieux massacre de Sétif, Guelma et Kherrata, organisé par les représentants de l'Etat français, n'ait jamais donné lieu à une poursuite pour crimes contre l'humanité ». « L'ampleur du phénomène, le nombre de victimes, le fait que celles-ci appartenaient toutes à un même groupe ethnique et religieux en lutte contre l'autorité politique, permettaient de faire application de la qualification de crime contre l'humanité », poursuivra-t-elle. Elle rappelle aussi que « ces crimes sont imprescriptibles et peuvent donc être invoqués sans limitation dans le temps ». Cependant, la poursuite judiciaire en France serait vaine, selon la juriste, car, « la Cour de cassation se relie pour la qualification de crimes contre l'humanité à la jurisprudence du Tribunal international de Nuremberg qui fait application de ce type d'infraction aux nazis et à leurs complices ». Maître Nicole Dreyfus en vient à parler de la torture, qui est devenue systématique lors de la guerre de Libération, et elle sait de quoi elle parle. Elle citera, cependant, « des hommes de cœur et d'intelligence, tel François Mauriac, qui dénonça ces méthodes, ou Vercors, écrivain et héros de la Résistance, qui renvoya sa Légion d'honneur au chef de l'Etat pour protester contre l'ignominie ». Comme « il n'est pas facile de faire taire la mémoire, et que celle-ci finit toujours par se réveiller », « à l'initiative de 12 intellectuels, en 2002, le gouvernement et le chef de l'Etat furent saisis d'une exigence : que le gouvernement et le chef de l'Etat reconnaissent la responsabilité de la France dans l'usage systématique de la torture pendant la guerre d'Algérie ». Evidemment, « les autorités n'accédèrent pas à cette demande, mais l'opinion se réveilla », dira-t-elle. De son côté, Mohamed El Korso, faisant la lecture du livre de Marcel Mahmoud Regui, paru en mars 2006 aux éditions La découverte, qui, en véritable témoignage vivant, relate les massacres de Guelma, restituant l'horrible atmosphère de cette époque, rétablissant la vérité sur d'innommables tueries commises contre des innocents par la milice, dont les chefs étaient les membres d'une certaine caisse régionale agricole de Guelma ; un livre-document d'une importance capitale, qu'il faudrait d'urgence publier et diffuser en Algérie ! Il faut savoir que ce 4e colloque international, organisé les 7 et 8 mai par l'université du 8 Mai 45 de Guelma avec le concours de la Fondation nationale du 8 Mai 45, avait pour thème « Les massacres du 8 Mai 45, l'incrimination du colonialisme français ». Autre chose à relever lors de la commémoration officielle du 61e anniversaire de ce triste jour, l'inauguration du buste de Souidani Boudjemaâ, précisément une tête de statue érigée à l'entrée du boulevard portant le nom de ce géant de la guerre de Libération, et la deuxième inauguration de la statue de Houari Boumediene, dont le piédestal a été surélevé. Il ne faut pas oublier de dire qu'invitées à assister à la commémoration, plusieurs personnalités n'ont pas fait le déplacement à Guelma, à commencer par les anciens chefs de l'Etat, Ben Bella, Chadli, Kafi et Zeroual. Pourquoi ? Seuls deux généraux à la retraite ont répondu à l'invitation, Hachemi Hadjerès et Mohamed Ataïlia.