A El Hadaïek, une commune chef-lieu de daïra de 14 000 habitants, située à moins de quatre kilomètres au sud de Skikda, l'heure est aux enquêtes administratives et policières. Les habitants avancent que des dizaines d'hectares auraient été « donnés », d'autres vont jusqu'à divulguer les noms de plusieurs personnes qui seraient impliquées dans une véritable « filière » de dilapidation du patrimoine foncier public. Dans cette atmosphère quelquefois gonflée, la vox populi s'en donne à cœur joie. Les dépassements enregistrés couvaient en réalité depuis près de 10 années. Aucune instance n'a cherché à stopper à temps l'hémorragie. Depuis, le laisser-faire, imprégné de populisme et d'électoralisme, des responsables contribuera, volontairement ou non, à ériger l'« illégalisme » en mode de gestion de toute une cité. Il aura fallu que la daïra décide de réactiver les commissions de lutte contre les constructions illicites, en hibernation depuis plus de 10 ans, pour que le tout-El Hadaiek s'embrase. A ce jour, on recense plus de 100 attributions illégales de lots de terrain et le détournement de pas moins de 26 parcelles incluses dans des exploitations agricoles collectives et individuelles (EAC et EAI). Le travail de la commission de la daïra ne tardera pas à faire écho. S'en suivra alors un déferlement de personnes et de responsables qui, de peur de rater le train, sont venus emboîter le pas aux enquêteurs de la daïra en décidant, eux aussi, de saisir les services de sécurité. Pourquoi ne l'ont-ils pas fait avant ? Le président de l'APC d'El Hadaïek répond : « Depuis que nous avons pris nos fonctions d'élus (plus de deux années), nous avons pris conscience du problème légué par nos prédécesseurs. A chaque fois, des citoyens venaient réclamer leur lot de terrain en exhibant des attributions qui sont illégales. Par mesure préventive, j'ai décidé de collecter l'ensemble des pièces du dossier que je garde dans mon bureau. » Sans plus. Aujourd'hui, l'APC, à majorité FLN, vient de saisir la police pour l'ouverture d'une enquête. Au niveau de la sûreté de la daïra d'El Hadaïek, on confirme. Le commissaire dira : « C'est vrai que nous avons été saisis pour enquêter sur quelques dépassements relevés dans la cité Zaghdoud Majid, mais notre priorité à nous, service de sécurité, c'est de stopper toute nouvelle construction illicite, chose à laquelle nous nous attelons. Pour le reste, c'est l'enquête actuellement en cours qui aura à démontrer s'il y a eu réellement du faux et usage de faux. » Le maire raconte que la genèse du phénomène remonte au temps des délégations exécutives communales. « Nous avons trouvé les traces de plus de 100 attestations d'attribution de lot de terrain qui ne répondent nullement aux lois en vigueur. Des lots ont été attribués sans faire l'objet d'aucune délibération ni même d'enregistrement. » Et fait assez étrange, les attestations d'attribution que nous avons consultées sur place cèdent toutes la même surface : 120 m2. Certaines ne portent aucun numéro d'enregistrement et se limitent à mentionner que le lot attribué se situe dans la cité Zaghdoud sans autres considérations ni délimitation. Seulement, la DEC de l'époque est vite revenue à la charge pour demander, en date du 30 décembre 1995, aux bénéficiaires de s'abstenir de bâtir jusqu'à régularisation de la situation. Mais il n'y aura point de régularisation et les bénéficiaires, confortés par un simple bout de papier, n'en feront qu'à leur tête. On commença alors à bâtir n'importe quoi, n'importe comment et aussi n'importe où. La cité Zaghdoud, où vivent plus de 6000 habitants, sera la plus envahie en plus de quelques lots épars. Chacun choisissait lui-même ses 120 m2, faisait ses propres délimitations et bâtissait. Dans cette confusion et devant l'absence totale des autorités locales durant dix années, d'autres citoyens bâtiront, bien après 1995, en exhibant eux aussi d'autres attestations, totalement identiques aux premières. D'où détiennent-ils ces attestations ? Personne n'a été en mesure de répondre à cette question, bien que certaines personnes laissent supposer que les dernières attestations seraient fausses. Cette hypothèse trouvera certainement ses réponses dans l'enquête des services de sécurité ; néanmoins, il nous a été donné de relever l'existence de plusieurs anomalies dans les pièces rassemblées au niveau de l'APC. A titre d'exemple, on a remarqué que des attestations portent le même numéro et la même date, mais les noms des bénéficiaires diffèrent. Il y a même des attestations rédigées sur des feuilles de bloc-notes... Les habitants d'El Hadaïek témoignent par ailleurs que plusieurs citoyens sont allés jusqu'à acheter des attestations similaires croyant en leur authenticité et ce n'est qu'en se présentant devant la parcelle promise qu'ils se rendront compte qu'elle a déjà été bâtie. L'un d'eux vient d'ailleurs de porter plainte et l'enquête est actuellement menée par la brigade de gendarmerie d'El Hadaïek. Sans vouloir imputer la totale responsabilité à l'ancienne DEC, il demeure une question primordiale : où étaient donc les responsables locaux ces dix dernières années et pourquoi ont-ils refusé de réagir à temps ? Certaines personnes interprètent ce silence par des considérations sécuritaires en rappelant la dure réalité du temps des DEC et en mettant en filigrane la situation délicate des citoyens qui ont fui le terrorisme très présent dans la région à l'époque pour venir s'abriter à El Hadaïek. D'autres avancent des considérations politiciennes en faisant allusion à un certain « populisme » des élus du parti Ennahda qui avaient géré la commune avant les dernières élections locales. Une autre partie estime quant à elle que personne ne pouvait réagir en insinuant que tout le monde, responsables compris, serait impliqué dans cette razzia. Le chef de daïra d'El Hadaïek, tout en reconnaissant les graves dépassements occasionnés, tiendra en plus à signaler : « Nos commissions ont également permis de dénuder un phénomène tout aussi grave que celui qui concerne les attributions illégales de la cité Zaghdoud où on a trouvé une construction illicite à quelques mètres seulement de la station de gaz de Naftal. » Et d'expliquer : « L'enquête menée sur les EAC et les EAI a permis de mettre au jour plusieurs dépassements. En plus du fait que certaines exploitations étaient carrément abandonnées, il s'est trouvé que quelques bénéficiaires, qui devaient les exploiter, se sont permis de les louer ou de les revendre à de tierces personnes qui ne se sont nullement gênées de bâtir sur des terres à vocation purement agricole. » Il relèvera également que ses services ont déjà mis en demeure 8 exploitants et que 18 autres devraient incessamment être interpellés pour les mêmes motifs « Nous allons appliquer la loi dans toute sa rigueur que ce soit pour les terres agricoles ou pour les lots attribués et construits illicitement à la cité Zaghdoud. » Pour conclure, il restait à mentionner que l'ensemble des constructions illicites de la cité Zaghdoud dispose d'un raccordement totalement « légal » pour l'approvisionnement en énergie électrique. A se demander si quelque part, ce ne seraient pas plutôt les pouvoirs publics qui sont les seuls responsables de tant d'illégalisme et non ces dizaines de pauvres citoyens !