On avait massacré à Paris sans que la population ni la presse trouvent véritablement à s'émouvoir. Mais que savait-on réellement du 17 octobre ? En fait, rien, ou quasiment. La préfecture de police reconnaissait une poignée de victimes. Mis à part certains cercles avertis, nous nous contentions dans une grande majorité de ce mensonge », écrit Fabrice de la Patellière, directeur de la Fiction française, dans le dossier de présentation de Nuit noire. Nuit noire est un film de fiction sur le 17 octobre 1961, réalisé par Alain Tasma, d'après un scénario original de Patrick Rotman. Il sera diffusé le 7 juin prochain sur Canal +. Le film est produit par Cipango, Thomas Anargyros et Edouard de Vésinne avec la participation de Canal + et de France 3. Le film a obtenu le Grand prix du scénario de télévision décerné lors du FIPA 2005. Fabrice de la Patellière rappelle qu'il était libraire au moment de la sortie du livre La bataille de Paris. Le 17 octobre 1961, de Jean-Luc Einaudi, en 1991. « Je me rappelle notre effarement devant ces pages qui décrivaient minutieusement les mécanismes et les responsabilités de cette tragédie », souligne le réalisateur de Nuit noire. Fabrice de la Patellière explique : « c'est au cours d'une conversation téléphonique avec Thomas Anagyros (responsable de Cipango) que l'idée d'une fiction sur cet épisode est apparue comme une évidence. Il s'inscrivait exactement dans la ligne éditoriale que nous mettions en place. Il était, c'est terrible à dire, le plus noir des moments noirs de notre passé. » La plus grande rafle de l'histoire depuis la rafle du Vel'd'Hiv « Aussi loin que je remonte dans mes souvenirs d'enfance, j'ai le sentiment d'avoir toujours connu cette ‘'nuit noire'' où des dizaines d'Algériens ont été tués en plein Paris », explique, pour sa part, Patrick Rotman, scénariste du film. Il ajoute : « Grâce aux ressources de la fiction, nous avons eu la chance de pouvoir plonger dans ce passé, de construire un récit à plusieurs voix où chaque personnage (Algérien, policier) suit son destin et défend sa vérité. Au spectateur de se bâtir la sienne. » Alain Tasma, le réalisateur, notera : « dans l'idée que je me fais de mon métier (mettre en scène, réaliser), l'effacement est une qualité majeure ; faire en sorte que le travail ne se voit pas... faire oublier la fiction, la fabrication, l'artifice... » Et « ce film, par son ampleur, par son ambition, par son souci de dignité, nous a tous fait peur. Aujourd'hui, sans recul, avec orgueil, je le regarde et j'en suis fier. » La trame du film est la suivante : le 17 octobre 1961, plus de 30 000 Algériens descendent en cortèges désarmés et pacifiques des banlieues vers le centre de Paris, répondant à l'appel du FLN pour protester contre le couvre-feu imposé par le préfet de police aux « Nord-Africains », le soir, à partir de 19 h. Cette mesure vise à « enrayer la guerre que se livrent dans les rues de Paris les commandos de choc du FLN et les forces de police ». Dans la nuit du 17 octobre, plus de 11 000 arrestations sont opérées, celles-ci vont se poursuivre les jours suivants. « Depuis la rafle du Vel'd'Hiv, presque vingt ans plus tôt, c'est la plus grande rafle de l'histoire. Les mêmes autobus de la RATP servent, comme en 1942, à transporter les Algériens au Parc des expositions où ils sont gardés dans des conditions épouvantables. » Le film a nécessité deux années de travail. Il a été tourné à Paris. Extraits Un policier frappe un ouvrier algérien. Le brigadier : « On ne frappe pas un homme à terre. » Le policier : « Ce n'est pas un homme, c'est un raton, brigadier. » « A partir de maintenant, pour un coup reçu, vous en donnerez dix. » Telle est la consigne de Maurice Papon, le préfet de police de Paris, aux forces de l'ordre après un attentat contre le commissariat de police du 18e arrondissement de Paris perpétré par des militants du FLN. Pour le couvre-feu qu'il décrétera, Maurice Papon dira : « J'ai le feu vert du gouvernement. » Une réunion de responsables du FLN en Allemagne : « Notre réponse doit être politique. Nous ne gagnerons pas en mettant la France à feu et à sang. » Et « Papon veut sa bataille de Paris, comme Massu a eu sa bataille d'Alger ». Le bruit court — une fausse rumeur que Maurice Papon refuse de démentir — que des coups de feu ont été tirés des rangs des manifestants algériens. La consigne du FLN était stricte et respectée : aucune arme, même pas un canif. « On va casser du bougnoule ce soir », disent, déterminés, des policiers. Maurice, responsable du FLN à Paris : « On a envoyé à l'abattoir des manifestants désarmés. » Le rapport de la police fait à Papon note 11 000 arrestations, 18 policiers blessés, mais aucun par balle. La version retenue par le préfet de police est : « Des coups de feu ont été tirés contre les forces de l'ordre qui ont riposté, 7500 arrestations, 2 morts. » Lors d'une rencontre avec la presse le 27 octobre, Papon persiste et signe : « Le FLN a tiré, la police s'est défendue. » Les personnages Sabine (Clotilde Courau), journaliste. Durant la nuit du 17 octobre, elle est témoin d'une fusillade qui la bouleverse. Martin (Jean-Michel Portal), flic de base affecté au commissariat de Nanterre dont dépend le bidonville. Tarek (Atmen Kelif), oncle d'Abde. Il sera raflé par des policiers, quelques jours avant la manifestation et assassiné. Maurice Papon (Thierry Fortineau). Préfet de police, précédemment secrétaire général de la Gironde pendant l'Occupation, préfet de Constantine en 1956. Abde (Ouassini Embarek), jeune ouvrier. Il sera blessé mortellement par un policier qui lui tire dessus à bout portant. C'est de cette scène qu'est témoin Sabine, la journaliste amie de Nathalie, la « porteuse de valises ». Nathalie (Florence Thomassin). Elle entraîne Sabine dans son combat. Marie-Hélène (Vahina Giocante). Une jeune institutrice qui donne des cours du soir à des Algériens. Elle découvre avec Abde la violence raciste de certains policiers. Albert Tierce (Serge Riaboukine). Policier syndicaliste de 45 ans, ancien résistant, opposé à la violence de ses collègues. Ali Saïd (Abdelhafid Metalsi). Un jeune militant du FLN. Il prépare et organise la manifestation dans le bidonville de Nanterre où il vit. Maurice (Jalil Naciri). Coordinateur de la Fédération de France du FLN. Il organise la manifestation, fait passer les ordres du comité fédéral. Pierre Somveille (Aurélien Recoing). Adjoint du préfet Papon. (1) - Nuit noire, mardi 7 juin 2005 à 20h55 sur Canal + (2) - Alain Tasma, le réalisateur, a été l'assistant de François Truffaut, Jean-Luc Godard, Arthur Penn, Barbet Schroder, Maurice Dugowson, Bob Swaim et Joris Ivens. Il a réalisé une vingtaine de films dont plusieurs ont été récompensés. (3) - Patrick Rotman est l'auteur d'une quinzaine de livras dont trois concernent la guerre d'indépendance de l'Algérie : « Les porteurs de valises » (1979), « La guerre sans nom » (1992) et « L'ennemi intime » (2002). Documentariste, Patrick Rtman a créé et animé un magazine d'histoire « Les brûlures de l'histoire » (1993-1997) et une soixantaine d'émissions dont « La bataille d'Alger », « La Toussaint rouge ». Il est coauteur avec Bertrand Tavernier du film La guerre sans nom (1992).