C'est au siège du Centre d'accueil de la presse étrangère (CAPE ), à la Maison de la radio à Paris, que le tout jeune Club des journalistes algériens en France a inauguré son cycle de conférences en conviant trois intervenants autour du rôle des médias lors de la journée du 17 octobre 1961, dont tous les observateurs ont établi, depuis, le chiffre des morts et des disparus à plus de 300 personnes. Paris. De notre bureau A la tribune avaient pris place Mehdi Lallaoui, écrivain et cinéaste et par ailleurs président de l'association Au nom de la mémoire, le très connu journaliste de France-Inter Daniel Mermet qui produit et anime l'émission « Là-bas si j'y suis », et Michel Reynaud, fondateur des éditions Terisias et de l'association Mémoire partagée. Même s'il a eu à rappeler la censure politique qui s'exerçait sévèrement sur les journaux et médias, M. Lallaoui a défini d'emblée l'inacceptable. « L'inacceptable, dira-t-il, c'est que 46 ans après les faits, aucune reconnaissance officielle des massacres n'est venue de la part de l'Etat français, et ce, malgré les nombreux ouvrages, livres, films, témoignages de policiers et l'ouverture des archives qui établissent l'existence d'une répression massive d'une manifestation populaire à caractère pacifique, qui protestait contre le couvre-feu discriminatoire du sinistre Maurice Papon, alors préfet de Paris. » La presse parisienne avait parlé de cinq morts. Et hormis L'Humanité et Libération, les autres organes de presse ont relayé les informations manipulées de la préfecture de police. Seul, un certain Hervé Bourges, nommera les lieux et les actes barbares commis dans Témoignage chrétien du 21 octobre (le Temps des tartuffes), qui sera immédiatement saisi tandis que d'autres journaux paraîtront avec des « blancs ». C'est ensuite la chape de plomb et l'occultation qui vont caractériser le rôle des médias. M. Lallaoui remarque que la France a trop tendance à ne pas reconnaître ou à différer dans le temps (presque un demi-siècle pour la responsabilité de l'Etat dans la déportation des juifs), la responsabilité reconnue dans certains massacres ou exactions. En conclusion, il considérera octobre 1961 comme un événement de l'histoire de France, tandis que le sociologue Ahcène Zehraoui, présent dans l'assistance, définira pour sa part l'événement comme à caractère franco-algérien. Daniel Mermet, alors jeune étudiant engagé dans les combats citoyens, a vécu l'événement du 17 octobre 1961 en temps réel. Il se trouvait au pont Saint-Michel d'où il assistera à une scène qui le marquera à vie : un manifestant accroché au parapet du pont est projeté volontairement dans la Seine par les forces de l'ordre. Il se souvient également d'une ambiance de haine contre ceux que la presse nommait « les musulmans » se gardant bien de leur reconnaître leur identité d'Algériens. Il faudra attendre l'indépendance pour cela. Il a, au passage, rendu hommage au photographe Elie Kagan, le seul à avoir témoigné des exactions avec l'objectif de son appareil (couverture de Paris Match), et aujourd'hui condamné à l'oubli et au dénuement matériel. A quand une rue Elie Kagan à Alger ? Ce ne sera que justice et reconnaissance. Michel Reynaud mettra lui, scandalisé, en parallèle la réhabilitation de l'OAS d'un côté, et l'absence d'indemnisation des victimes de l'autre par la loi du 23 février 2005. Il en appelle même à une comparution de l'Etat devant une jurisprudence internationale. Il rappellera la tuerie de Château-Royal où a péri le grand Mouloud Feraoun et dont les auteurs, identifiés, n'ont jamais été condamnés. En conclusion, il rendra hommage à l'écrivain enquêteur Jean-Luc Einaudi « grâce auquel on a désormais une mémoire de cette tragique journée d'octobre 1961 ». Le sentiment général des intervenants se résume dans une phrase de M. Lallaoui : « Ni vengeance ni repentance, simplement reconnaissance de la vérité historique ! »