« La tension artérielle des visiteurs varie entre 14,8 et 14,9, même pour les jeunes », s'inquiète Saïda, première ambulancière d'Afrique et animatrice de l'infirmerie du Croissant-Rouge algérien (CRA) aux confins du pavillon central de la Foire internationale d'Alger (FIA). « Trop de stress », explique-t-elle sur fond d'envolées lyriques de Tchaïkovski, habillage sonore de l'espace d'exposition nationale. L'infirmerie du CRA a procédé, les deux premiers jours de la foire, à 75 interventions, des injections d'insuline et des renouvellements de pansements en majorité, et à deux évacuations par ambulance pour problème de vessie et une légère intoxication. Moins stressés, les policiers constatent l'absence de vols et d'agression avec soulagement. « El hala moudaâma » (la situation est soutenue), disent-ils sans évoquer ouvertement l'omniprésence des sociétés de sécurité privées quadrillant la plupart des stands. Les plus sourcilleux gardent le stand des Etats-Unis. Là, l'entrée des hommes et des femmes se fait séparément pour se faire inspecter devant des vigiles des deux sexes. L'objectif serait de respecter l'apparente intégrité corporelle des visiteurs et visiteuses en cas de fouille. Aux abords du pavillon central, deux jeunes vendeurs de m'hadjeb et de chips sont interpellés avec peu de civilité par un agent de sécurité de la Safex et un civil tiré à quatre épingles au badge nationaliste. « Si je te revois ici j'explose tes sachets de chips », lance l'élégant taciturne en confisquant les couffins de marchandise informelle. Du côté du stand canadien, des vendeurs de roses rouges jouent au chat et à la souris avec des policiers en bleu assommés par la chaleur. Les parkings sauvages, ceinturant les alentours du site des Pins Maritimes sont exclusivement gérés par les gourdins des gardiens improvisés sous le regard noir d'exacerbation des tenues bleues. « Je gagne ma baguette de pain en évitant d'énerver les policiers. Eux aussi ils font leur travail », explique un vieux armé d'un bout de bois peu persuasif. « Les voleurs ne sont que l'invention de ses gardiens », estime un chef de famille rageant contre les parkings sauvages et le manque de vision des organisateurs de la foire. « On devrait gagner des places de parking avec la tombola qu'ils organisent et non encore des voitures. Où est-ce qu'on va les mettre ? », ironise-t-il. Sur le bord de la route face à l'entrée principale du site, cinq jeunes affalés sur des cartons gardent les cartons et des gros sachets noirs sous le ciel découpé par les drapeaux de la quarantaine de pays présents à la FIA. Ils viennent de Aïn Fgaâ, daïra de Had Esshari, à Djelfa. Ils lui ont fui plutôt. « Cela fait sept ans qu'on vit à Alger. La nuit nous dormons dans les marchés, quand la police nous tolère, le jour nous vendons des cacahuètes, des cigarettes, des bonbons », raconte Othmane. La foule de la FIA les attire. Mais les policiers tentent de les repousser. A l'ombre d'un panneau publicitaire marbré de la FIA des années 1970, Kaddour, les yeux rouges, raconte qu'il n'a pas vu sa famille depuis 15 mois et se demande bien à quoi sert qu'il aille visiter les stands. Il n'a pas vingt ans. Djida, Othmane, Kaddour, Benazzouz et Mohamed n'ont pas joué à la tombola, n'ont pas de souci de parking et voudraient bien travailler chez eux. « Le village est mangé par la poussière. Wallou ! », lâchent-ils en chœur en y mettant tout leur cœur.