Dans les zones rurales du pays, tout reste à faire : construire des routes, ouvrir des écoles et des structures de santé, créer des activités économiques... L'absence de ces éléments à laquelle est venu se joindre le terrorisme, a été à l'origine de l'exode rural. Le pari du ministère délégué chargé du Développement rural est de maintenir les populations rurales en place et d'inciter ceux qui ont rejoint les villes à rentrer chez eux. Pour ce faire, une stratégie a été élaborée par le département du docteur Rachid Benaïssa qui nous en parle dans cet entretien. Quelles sont les grandes lignes de la stratégie pour le développement rural ? C'est une stratégie élaborée dans la concertation avec les populations rurales et les autorités locales, élus, administration et société civile avec également l'expertise des universitaires et de chercheurs nationaux et internationaux. Donc, c'est en tenant compte de notre histoire du développement rural dans notre pays d'une manière générale et de la réalité algérienne aujourd'hui que nous avons travaillé. Les sorties sur le terrain sont très importantes, car nous nous sommes rendus compte qu'il y a des espaces ruraux profonds, des populations plus ou moins isolées. S'il y a des zones rurales où l'agriculture est florissante, ce n'est pas le cas dans d'autres. Il y a une concurrence sur les ressources naturelles, surtout foncières. C'est vrai que les populations sont en train de revenir dans ces espaces ruraux mais dans des situations difficiles. Notre projet est de monter avec elles des projets de proximité de développement rural (PPDR). Ces projets cherchent l'intersectoralité à la base pour les mettre à la disposition de ces populations dans une logique de complémentarité en tenant compte des activités économiques et sociales. Tout cela dans le respect des équilibres écologiques. Ce sont là les grandes lignes de la stratégie du projet de proximité pour le développement rural qui fait appel à tous les secteurs et aux populations rurales. Ensuite, ces projets, à un niveau plus élevé, vont être intégrés dans un schéma d'aménagement régional, local dans des grandes zones naturelles. C'est un travail que l'on élabore et des outils qui sont développés pour un rapprochement des dispositifs et du processus de décision et de programmation dans le sens où nous cherchons la durabilité à tout ce que nous faisons. Avec le grand programme présidentiel de soutien à la relance économique, ces espaces auront une part importante. Quel en sera le montant ? Quand on intègre tous les secteurs, les activités sociales et économiques, le privé et le public, on aura environ 3 milliards de dollars par an pour l'ensemble du pays pendant les 5 années à venir. L'idée aujourd'hui est de gérer cet argent de la manière la plus rationnelle possible pour qu'on puisse toucher les populations, surtout les plus enclavées, de sorte à assurer leur stabilisation et contribuer au retour de ceux qui ont quitté ces zones-là. Avez-vous des indications sur l'impact des projets de proximité de développement rural qui ont été initiés jusqu'à présent ? Nous avons initié plus de 1000 projets pilote. Il fallait tester ces méthodes de travail avec les populations et les outils développés entre les administrations et les populations, mais également le processus de décision et de financement, l'encadrement technique et administratif et d'animation. Cela nous a permis de les corriger au fur et à mesure que l'on avançait. Ces outils sont acceptés par les populations. Deuxièmement, sur la base de la stratégie nationale, toutes les wilayas ont élaboré leur propre stratégie. Nous leur disons qu'il faut aborder la stratégie de manière spécifique, car chaque zone a ses spécificités qu'il faut prendre en considération. Vu de ce côté, l'impact de ces projets est plutôt positif. On a constaté que des activités économiques commencent. C'est vrai que c'est modeste, mais c'est intéressant pour les ménages. Nous avons aussi désenclavé et créé des relations entre les différents acteurs (...) Les populations sont en train de revenir dans des zones qui ont longtemps étaient désertées. Nous avons constaté ce phénomène dans plusieurs wilayas. Je peux vous citer Jijel, Sétif, Aïn Defla, M'sila... C'est vrai que beaucoup de projets ont été réalisés, notamment la construction de routes, mais en l'absence d'une couverture sanitaire et d'autres services tels que l'accès à l'eau, ne pensez-vous pas que ces populations seront tentées de nouveau par l'exode ? C'est un processus. On commence d'abord par assurer à ces populations des revenus. C'est ce qui retient les gens. Si on a une école mais pas de revenu, on quitte les lieux.Nous essayons de mettre en inter-sectoralité les dispositifs et, à travers la programmation locale, on réglera au fur et à mesure ces problèmes. Mais dans certaines zones des écoles ont été rouvertes et des centres de santé sont en activité. Nous consultons la population pour cerner leurs besoins afin que les interventions de l'Etat soient rationnelles mais aussi celles du privé. C'est pour cela que les discussions entre le public et le privé sont importantes. C'est pour cela aussi que nous avons donné les outils aux administrations locales afin qu'elles puissent réagir à ces dysfonctionnements constatés par le passé. Les communes rurales sont les plus pauvres d'Algérie. Comment comptez-vous procéder pour qu'elles puissent avoir des rentrées d'argent ? Cela rentre dans un cadre plus global. Il y a un dossier qui est ouvert sur le financement local dans le code communal qui touchera toutes les communes d'Algérie. C'est ce dossier qui créera la base légale et réglementaire pour renforcer le pouvoir des autorités locales. Cela dit, il existe des activités qui apportent des revenus aux communes rurales telles que la préservation des pâturages. Ces espaces sont protégés pendant un certain nombre d'années. Ensuite, ils sont loués aux éleveurs pour permettre aux communes d'avoir quelques rentrées d'argent. Ce sont de petites activités en attendant de véritables solutions. Est-il vrai que vous rencontrez des problèmes en matière de financement ? Il y a amélioration. Il y a de nouveaux dispositifs. Il a fallu le temps de l'élaboration. Pour 2005, la question est administrativement et techniquement résolue. Donc, cela devrait être beaucoup plus fluide pour les années à venir. Quand l'impact réel de votre programme se fera ressentir ? Pour les populations qui sont sur des projets, l'impact est réel. Mais pour avoir un impact de masse, il faut attendre que le nombre des projets soit beaucoup plus important. Pour les cinq années à venir, les wilayas ont identifié plus de 9000 projets. Donc, il faut les monter, les encadrer, les mettre en œuvre. Il y aura ainsi plus de transparence et cela encouragera le travail en commun. Il n'y a pas de gestionnaire de projet dans l'administration locale. Avez-vous pensé à cet aspect ? Nous avons un programme très important d'accompagnement et de formation. On a l'habitude de dire que pour cette stratégie de développement rural, une fois les outils mis en place, le véritable travail, c'est dans l'information et la formation. Nous sommes à la veille du lancement de plusieurs cycles de formation à tous les niveaux. Nous avons déjà commencé avec les populations et avec les encadreurs locaux qui seront chargés du suivi et de l'évaluation. C'est un programme que nous mettons en place graduellement. Comme vous l'avez déjà souligné, votre programme souffre d'un manque de communication et de sensibilisation. Comment comptez-vous y remédier ? Nos nombreuses visites sur le terrain ont pour objet d'expliquer. Nous demandons aux structures de wilaya de créer des animateurs ruraux au niveau de chaque commune, si ce n'est au niveau de chaque daïra. On compte également des animatrices qui peuvent accéder aux foyers et sensibiliser les familles. Pourquoi l'intégration de la femme rurale ne semble pas prendre une grande place dans le programme ? C'est vrai qu'il y a un travail à faire dans ce domaine. Nous allons apporter notre aide pour la formation d'animatrices dans toutes les wilayas pour qu'elles puissent accompagner tout ce mouvement et être les interlocutrices des femmes rurales. Nous avons lancé plusieurs enquêtes et les femmes rurales ont un rôle très important. Elles ne sont peut-être pas au-devant de la scène, étant l'apanage des hommes et des jeunes, mais ce sont elles qui sont derrière leurs idées. Pouvez-vous nous faire une présentation du monde rural. Quelles sont les populations concernées par votre programme ? Nous avons des wilayas où la population rurale est très importante. A Tizi Ouzou et Médéa, 70% de la population vivent dans un espace rural. Il y a aussi Béjaïa, Bouira, Aïn Defla et Jijel. Cela représente près de 1000 communes rurales sur les 1541 que compte le pays. La population rurale est estimée à 13 millions d'habitants. Il y a à peu près 5 millions qui vivent dans les territoires ruraux très profonds. Quelle a été la réaction des populations rurales par rapport à votre programme ? Personne n'a estimé que la démarche était mauvaise, seulement, il faut aller plus vite. Nous devons être organisés. En allant trop vite, nous risquons de faire n'importe quoi. Le fait que chaque wilaya ait élaboré sa propre stratégie, n'est-ce pas une façon de décentraliser ? Nous décentralisons mais dans le cadre d'une politique d'ensemble. On se concerte, cependant, la décision concernant les projets est décentralisée. Il faut être le plus près possible de ces populations.