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Les populations des zones rurales
SUD DE SÉTIF « Nous n'avons pas de quoi manger »
Publié dans El Watan le 23 - 05 - 2005

Ici, quand vous tombez malade, vous ne pouvez compter que sur la volonté de Dieu pour espérer guérir », c'est ainsi que répond un citoyen de la zaouïa Sidi Ali Lebaâtiche, commune d'Ouled Tebben, située au sud de la wilaya de Sétif.
La curiosité nous a poussés à lui demander, en observant l'endroit terriblement isolé, comment ils faisaient dans le cas où quelqu'un tomberait malade. « La mort happe souvent celui-ci avant qu'il n'arrive dans une structure de santé qui est trop loin en général », s'empresse-t-il d'ajouter. La maison qu'il partage avec son frère est nichée dans une sorte de cuvette au creux d'une montagne. Son seul et unique voisin, lui, habite à une centaine de mètres de chez lui. « Son habitation faisait office d'hôpital durant la guerre de Libération », c'est dire la léthargie qui a prévalu pendant longtemps dans cette région rurale qui a souffert des affres du terrorisme. Actuellement, la sécurité semble avoir repris son droit de cité. D'ailleurs, notre interlocuteur affirme tout sourire « avoir restitué aux autorités le Kalachnikov » dont il a bénéficié pour résister aux attaques des groupes armés et n'avoir gardé que son arme personnelle. « Nous n'avons plus peur », assure-t-il, avant d'enchaîner : « On n'est plus en 1994. » Reste que ces familles, qui vivent dans ces montagnes couvertes de maquis, sont particulièrement isolées. Autant dire qu'une visite d'un ministre ou d'un tout autre officiel est inespérée, voire inimaginable. Pourtant, le ministre délégué auprès de la chefferie du gouvernement chargé du Développement rural, Rachid Benaïssa, l'a fait un 16 mai par une belle journée ensoleillée. Accompagné du wali de Sétif et de différents cadres de son département, le ministre est venu s'enquérir de l'état d'avancement d'un projet de proximité pour le développement rural (PPDR) qui consiste en la réalisation d'un forage. L'eau se fait rare dans cette bourgade qui manque de tout et ce projet, une fois achevé, sera salutaire pour ces familles qui ont choisi de rester dans ce no man's land. « Nous nous approvisionnons de certaines sources situées dans les environs », nous raconte l'un de ces téméraires montagnards qui précise toutefois que celles-ci tarissent bien vite et c'est à celui qui viendra le premier remplir sa tasse avec le liquide précieux. L'accès à l'eau est l'une des plus grandes contraintes dans le monde rural. Dans une localité située dans la commune d'Ouled Tebben, un citoyen nous a révélé que lui et ses congénères achètent l'eau à raison de 500 DA la citerne. Dans la commune de Boutaleb où le ministre a fait une halte pour inspecter un autre PPDR dans la localité de Dar El Beïdha, on constate que le spectre de la terreur, qui a sévi durant la décennie noire, n'est pas totalement éloigné. Le bénéficiaire, qui a choisi de se lancer dans l'arboriculture, vient pendant la journée pour travailler ses terres, mais s'en va à la tombée de la nuit. La dizaine de maisonnettes éparpillées dans ce village ont été abandonnées par leurs propriétaires qui ont gagné la ville où ils espéraient des conditions de vie meilleures.
Isolement
Depuis, elles sont occupées par les patriotes qui s'y sont installés. « C'était une zone noire. Avant 2000, on ne pouvait pas circuler dans ce circuit », dira le conservateur des forêts de la wilaya de Sétif, Lazhar Rahal. D'après lui, les quelques âmes qui occupaient ces logements modestes et qui ont été chassées malgré elles par les hordes sanguinaires s'approprient à nouveau et de manière progressive les lieux qui étaient conquis par les terroristes, et ce, depuis 2002 soit après le retour remarqué de l'Etat. C'est justement pour renouer ce lien entre l'Etat et la population rurale que le programme pour le développement rural a été initié. Le but principal en est de maintenir les populations dans ces zones en mettant un terme à leur isolement. Mais les concepteurs de ce plan, qui vise en premier lieu à amortir l'exode rural, ne veulent pas verser dans l'assistanat, mais privilégient une approche participative. Dans cette logique, les bénéficiaires de ces projets proposent eux-mêmes le type d'initiatives qu'ils souhaitent voir se concrétiser et c'est aux autorités compétentes d'accompagner sa réalisation. Parfois, ce n'est pas le cas comme dans ce PPDR dont le bénéficiaire confie n'avoir fait que suivre les instructions données par les services chargés du développement rural dans cette zone. Ça lui a valu d'être gentiment admonesté par le ministre délégué qui aurait souhaité que l'idée vienne du concerné. « Et puis, pourquoi ne pas avoir fait de l'élevage ? », interroge Rachid Benaïssa qui estime que cette activité est plus adaptée à la région semi-aride. Pas de réponse. Dans la localité d'Oum Amor, la population aux allures paysannes est en effervescence. Et pour cause, M. Benaïssa s'y est arrêté pour inaugurer un autre PPDR portant réalisation d'un petit barrage. Une grande foule s'agglutine autour de l'endroit où tout a été préparé pour que le ministre accomplisse l'habituel rituel d'inauguration. Elle se tient tout de même à une bonne distance traduisant la méfiance mêlée à de la crainte qui existe encore à l'égard de l'Etat. Une jeune femme, qui se tenait à l'écart, attira notre attention. Dans toutes les localités où le ministre est passé, l'élément féminin était absent. Aussi, avions-nous profité de la présence de cette dame, qui s'est présentée comme étant la représentante de l'Union nationale des femmes algériennes (UNFA), pour évoquer la situation de la femme rurale. « Aucune femme n'a bénéficié de tels projets », déclarera-t-elle d'emblée. Elle qui nous affirme ne pas avoir osé approcher le ministre délégué nous fera savoir que les populations ici vivent dans le dénuement le plus total. « Parfois ils n'ont même pas quoi manger », assurera-t-elle. La gent féminine est la première victime de cette paupérisation. « Les filles sont retirées de l'école dès qu'elles atteignent la sixième année fondamentale. Le taux d'analphabétisme est très élevé », soulignera-t-elle. Son association tente d'en atténuer un tant soit peu l'ampleur en dispensant des cours à l'intention des adultes femmes surtout les plus âgées. Elle essaye également de faire connaître les produits artisanaux fabriqués par ces femmes qui s'adonnent au métier à tisser l'alfa et à la poterie en prenant part à des expositions, mais sans jamais sortir des frontières de Aïn El Fouara. Mais ces activités tendent à disparaître, regrettera-t-elle. Pour elle, il faudrait penser à ces femmes en mettant en place des ateliers où elles pourront travailler et léguer leur savoir-faire aux nouvelles générations. Un cri qui ne devrait pas tomber dans l'oreille d'un sourd. Le département de l'Artisanat traditionnel devrait y penser pour éviter le risque de voir disparaître tout un pan de l'identité culturelle de cette région. C'est justement le caractère intersectoriel de cette démarche qui semble faire défaut. « Initialement, il était prévu que le programme soit multisectoriel. Or sa mise en œuvre est uniquement à la charge du secteur agro-sylvo-pastoral », fera remarquer le conservateur des forêts. Et de poursuivre : « Le développement rural durable, c'est l'affaire de tous. Il faut que la santé suive. Il faut que l'éducation suive, etc. Il ne suffit pas de construire des routes. Si dans quatre ans, ces services n'arrivent pas, les ruraux seront à nouveaux tentés par l'exode. Car il ne s'agit pas seulement de ramener les populations chez elles. Ça, ce n'est qu'un premier acquis. Le deuxième, c'est de leur offrir des conditions de vie meilleures et le troisième, c'est de les maintenir en place. » Pour ce faire, 14 PPDR ont été réalisés à titre expérimental en attendant que le programme atteigne sa vitesse de croisière et touche beaucoup plus de monde.
Retour
Pour l'instant, environ 12 à 15% des populations qui avaient fui ces régions rurales ont repris le chemin du retour. Selon M. Hamdaoui, le directeur des services agricoles (DSA) de la wilaya de Sétif qui a présenté un exposé sur la stratégie de développement rural de la wilaya, « 45 communes de Sétif sont considérées comme rurales et c'est dans ces régions que se concentrent 46% des habitants de la wilaya. Le flux migratoire est très important dans 7 communes au point qu'un dépeuplement a été constaté. Sur 600 000 personnes environ, 39 739 sont ciblées par les PPDR ». Cette dernière indication a pour effet de surprendre le ministre délégué, Rachid Benaïssa, qui ne cachera pas son étonnement. « Vous avez dû oublier un zéro », s'exclame-t-il à l'intention du DSA. L'exposé a eu lieu dans une école à Ouled Tebben qui a été fermée aux élèves pour la circonstance. Un réflexe que les organisateurs auraient pu éviter pour ne pas priver de cours les écoliers dont la scolarité est déjà aléatoire. Il convient tout de même de relever que l'école en question a été ouverte il y a une année grâce au programme de développement rural. Rachid Benaïssa n'a nullement été complaisant avec l'administration locale et avec les bénéficiaires des projets. L'un de ces derniers en fera les frais dans la commune de Aïn Lahdjar, plus précisément dans la ferme pilote Sersoub Salah. Après avoir terminé d'expliquer au ministre délégué qu'il a effectué une reconversion de 54 ha de céréales aléatoires par l'arboriculture en raison notamment « d'un climat capricieux », il soutient : « Si nous ramenons de l'eau par ici, ça sera la Californie. » Réplique sèche du ministre délégué : « Arrête de rêver. » « Il faut que ça soit réfléchi et non mécanique. C'est une question de capacités », a-t-il observé. « Il nous est arrivé de dépenser un milliard de centimes et de ne pas avoir de rendement du tout quand nous faisions la céréaliculture. Nous avons par la suite opté pour les oliviers. Comme ça, on produit de l'huile, des olives mais aussi le grignon d'olives qui sera utilisé dans l'alimentation du bétail », se défend l'agriculteur qui possède un effectif total de bétail de 1730 têtes dont 660 reproductrices et une superficie de 1791 ha. « Pourquoi ne pas se lancer dans les légumes secs », suggère le ministre visiblement peu convaincu. « On y pensera », rétorque l'exploitant, désabusé. Le ministre délégué conclura sa visite dans la wilaya des Babors par une escale chez une vieille fermière de 75 ans à Aïn El Hamra, dans la commune de Salah Bey. Celle-ci lui fera goûter de délicieuses cerises cueillies dans ses vergers. La vieille El Kamla Kaabache, qui s'est faite belle pour la circonstance, n'a pas bénéficié du programme pour le développement rural, mais du plan national pour le développement agricole. Comme quoi, l'agriculture va de pair avec le développement rural.


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