Chaque saison de transfert alimente l'idée que l'argent coule à flot sur les footballeurs. Petite enquête dans une intersaison pas comme les autres.Deux téléphones portables en alerte sur la table, l'allure ronde et joviale ; les affaires ont l'air de marcher pour Abdellah Cherchar, l'un des 13 agents FIFA algériens. Normal, la saison des transferts bat son plein. Et ce n'est pas du tout une intersaison comme les autres. Une directive de la FIFA qui fait obligation aux clubs employeurs de déposer les contrats de leurs joueurs auprès de leur fédération nationale (ou la ligue nationale) va entrer en vigueur le 1er juillet prochain, faute de quoi leurs joueurs sont considérés comme amateurs et donc libres de toute attache. C'est un séisme dans la gestion des comptes des clubs, car un nombre inhabituel de joueurs et même de très bons joueurs vont se retrouver ainsi subitement sur le marché, obligeant leurs employeurs à des dépenses imprévues pour les garder. « Le volet financier venait toujours en annexe des contrats entre les joueurs et les clubs lorsqu'il y avait contrat. Tout était donc tenu au secret sur les revenus des joueurs », explique Cherchar. C'est cela qui est d'ailleurs à la source des éternels conflits d'argent de milieu ou de fin saison lorsque les clubs ne tiennent plus leurs engagements de payer une deuxième ou une troisième tranche de la prime de signature. Une pratique qui amène les joueurs à exiger, depuis deux saisons, des chèques de garantie dès le début de saison, qu'ils remettent une fois leur dû touché. « Tout va devenir transparent, pas seulement la durée du contrat mais aussi le montant de la prime de signature, celui du salaire et même, le cas échéant, celui des primes de matchs. » C'est une bonne nouvelle parce que les droits des joueurs ont plus de chances d'être respectés. « En cas de non- paiement, ce qui est une pratique très courante, ils peuvent recourir à l'arbitrage de la FAF, voire ensuite celui de la FIFA. » Les conséquences de la directive FIFA - dont l'application a été retardée plusieurs fois par la FAF durant la saison écoulée - vont au-delà du marché du transfert qui menace d'exploser car de très nombreux joueurs n'ont signé - jusque-là - que des demandes de licence. « Les clubs vont être contraints de négocier au plus près avec leurs joueurs et ne plus faire des offres financières qu'ils ne pourront respecter durant la saison. Ils devront tenir compte de la fiscalisation des revenus de leurs joueurs et de la nécessité de leur assurer une couverture sociale », autant de choses qui n'existent pas aujourd'hui. De même que l'assurance-vie qui couvre le risque d'indisponibilité, une police que le MCA « a oublié » de prendre pour Fayçal Badji, sa recrue phare, sérieusement blessé en début de saison. Plus haut salaire ? dix millions... Tout le monde ou presque pense que les dépenses se sont envolées dans le football à cause des revenus exorbitants exigés par les joueurs. La vérité est plus en nuance. La majeure partie des clubs ne donne pas de salaires aux joueurs. Et lorsque les salaires sont prévus, ils n'ont rien de faramineux comparés à ce qui se fait en Tunisie ou en Egypte. Ainsi une vedette consacrée comme Bilal Dziri, 12 buts et meilleur passeur de son club l'USMA cette saison, toucherait dix millions de centimes par mois. Il se dit en plus que c'est le salaire le plus élevé du championnat. Il est vrai que chez le champion d'Algérie 2004-2005 les primes de matches peuvent être copieuses (21 matches de championnat gagnés). Pour avoir battu le MCA à l'aller et la JSK au retour, les joueurs de Allik ont touché à chaque fois 11 millions. Pour comparaison, un joueur du MCO, équipe du milieu de tableau en butte à des problèmes financiers récurrents, n'a pas de salaire et touchera trois fois moins fréquemment sa prime de match, sachant en plus qu'elle est moins conséquente que chez les ténors du championnat. L'argent en coule pas à flot sur les joueurs assurément. Les indemnités de transfert souvent importantes ont beaucoup contribué à alimenter la légende des footballeurs surpayés. Ainsi un large public pense encore que le 1,2 milliard de centimes déboursé par Zahaf, le président de l'USM Blida, pour s'offrir, durant le mercato de milieu de saison, les services de Tahraoui, l'attaquant de Chlef, a été dans la poche du joueur, alors que c'est le prix de sa libération de son club d'origine. Même une star confirmée comme Hocine Achiou ne pouvait encore négocier une prime de signature d'un milliard l'été dernier après son retour à l'USMA suite à l'impasse des pourparlers avec Sedan (D2 française). Il aurait rempilé pour une saison supplémentaire contre 7 millions de dinars dont il n'avait encore touché qu'une tranche, inférieure à la moitié, à la fin de cette saison. C'est dire la précarité des joueurs si les revenus des meilleurs d'entre eux dans les clubs les plus riches sont ainsi décaissés au gré des situations de trésorerie. A l'USMA, personne ne se plaint car la tradition de la maison est tout de même de régler « tôt ou tard » tout le monde. Ce ne sont donc pas les revenus réels des joueurs qui sont en train d'entraîner les clubs vers les gouffres de déficit. Les entraîneurs par exemple sont nettement mieux payés. L'obligation de déposer les contrats auprès des instances du football va faire le ménage dans les relations de travail entre clubs et joueurs. Ceux-ci devraient recourir un peu plus à des agents agréés pour défendre leurs intérêts, de même que les clubs se doteront plus souvent d'agents pour s'occuper de leur recrutement. Dans le premier cas, les agents perçoivent en moyenne 10% des primes de signature ou du revenu annuel global qu'ils auront obtenu à leur joueur. Cela fait encore hésiter de nombreux joueurs « qui ne voient pas loin et se font souvent avoir », déplore Abdellah Cherchar qui parle de la nécessité d'une prise en charge complète du plan de carrière du joueur par leurs agents. « Actuellement, les joueurs pensent protégés leurs intérêts en ne signant que pour une année afin de renégocier une nouvelle prime de signature à l'intersaison. Cela crée une instabilité sportive, nuisible au club et au joueur. Les Africains qui viennent dans le championnat d'Algérie ont des contrats de 3 ans parce qu'ils ont des agents qui les conseillent. Ils peuvent se concentrer sur leur performance. Et l'ont voit leur progrès en cours de saison. » L'assainissement des relations professionnelles clubs-joueurs est cependant menacé par la tentation de la fraude. En effet, les contrats déposés à Ligue nationale de football serviront de base pour fiscaliser les revenus des footballeurs. La tendance à sous-déclarer les revenus versés aux joueurs et créer des caisses noires pour assurer un complément en dessous de table n'est pas une vue de l'esprit. « Nous, les agents, nous conseillons à nos joueurs de tout déclarer. De toute façon, la partie non déclarée peut ne pas être versée par le club puisqu'elle n'est pas contractualisée. » Les revenus des joueurs ne ruinent pas encore les clubs, mais leurs transferts peuvent les enrichir diablement. Ainsi, le transfert du Malien Diallo au FC Nantes a rapporté - officiellement- 700 000 euros à l'USMA. De quoi couvrir la masse salariale de plusieurs saisons. L'ère des footballeurs très chers va commencer maintenant.