A l'instar de plusieurs communes de la wilaya de Mila, Tadjenanet, ex-Saint Donat, a eu beau s'étirer durant ces deux dernières décennies et tenter de faire sa mue, elle ne réussira hélas qu'un modeste saut vers le progrès socioéconomique et le développement urbanistique fondé principalement sur l'autoconstruction. La localité qui abrite à présent près de 50 000 âmes sortira laborieusement à l'orée de l'année 1990 de l'anonymat dans lequel elle végétait. Une évolution en dents de scie qui n'est pas le fait exclusif des timides projets de développement initiés par les pouvoirs publics, mais qui est lié à l'éclosion de son prestigieux marché hebdomadaire, d'envergure régionale, voire nationale, qui assure la pitance de milliers de pères de famille, de chômeurs ou de travailleurs ayant perdu leur emploi. L'onde de choc qu'a provoquée la fermeture de dizaines d'entreprises dans la région et les licenciements collectifs d'ouvriers ont mis sur la paille plusieurs pans de la société à Tadjenanet. Fort heureusement, la montée en puissance de son marché hebdomadaire vers l'année 1990 vient à point nommé pour redonner espoir aux riverains en leur procurant des opportunités d'emplois, aussi éphémères et précaires soient-ils, mais non moins lucratifs. Engouement extraordinaire A la faveur de sa réputation qui va crescendo, le marché hebdomadaire de Tadjenanet qui s'étend sur une superficie de 11 ha, à la sortie ouest de la ville, fera, le moins que l'on puisse dire, cavalier seul dans toute la région en matière de transactions commerciales et de négoce de haut vol. L'ampleur, le volume et la diversité des trocs et les échanges commerciaux qui s'y déroulent laissent supposer que cet espace foutral de commerces tous azimuts brasse des sommes colossales. Chaque jeudi que Dieu fait, un véritable raz-de-marée humain y converge. Les transporteurs publics, taxis collectifs et clandestins travaillent d'arrache-pied pour acheminer toute cette déferlante humaine. Les commerçants à bord de leur camionnette sont aux aguets, guettant l'ouverture du principal portail donnant accès à l'enceinte qui opère entre 6 h-12 h (horaire d'hiver) et 4 h -12 h (horaire d'été).A regarder de plus près, les plaques minéralogiques de toute cette flotte roulante, il est aisé de déduire que les commerçants et grossistes de bon nombre de wilayas s'y sont donné rendez-vous. Au point où la fluidité habituelle de la circulation routière en ressent un sacré coup, comme en témoignent les récurrents bouchons inextricables qui se forment sur des centaines de mètres, de part et d'autre du marché. Une vraie corne d'abondance Les marchands de gros se taillent la part du lion dans les activités commerciales et font main basse sur la quasi-totalité des espaces qu'offre l'enceinte du marché. Les détaillants ne sont pas en reste. Ils vous proposent une panoplie d'articles allant de l'habillement à la lingerie féminine, en passant par les produits d'entretien, les cosmétiques, les ustensiles de cuisine et tout le toutim. Et bien entendu à des prix défiant toute concurrence. Rompus aux formules mielleuses, les vendeurs à la criée s'égosillent, s'époumonent et se démènent comme de beaux diables afin d'amadouer les chalands. Beaucoup de pères de famille, érosion du pouvoir d'achat oblige, se rabattent sur la fripe, les chaussures et les baskets d'occasion, importées de Turquie, d'Espagne et d'Italie, dans des balles et de gros paquets. Mais la belle part du négoce est sans conteste l'œuvre des gros bonnets (commerçants s'entend) de Médéa et de Bordj Bou Arréridj qui passent pour être des spécialistes de la tapisserie et des couettes, d'El Oued pour les cosmétiques, ou encore les grossistes de Béjaïa dans le prêt-à-porter, les costumes, etc. Les marchands blidéens, algérois et constantinois ont le quasi-monopole sur les lustres. Avec les splendides chaussures introduites sur le marché de Tadjenanet par les commerçants de Boumerdès et la filière vestimentaire en provenant du Sud-Est asiatique, dont Bir El Ater et Aïn Fakroun sont les plaques tournantes, nous avons une idée précise sur les activités commerciales intenses que brasse cet eldorado national qui fait courir tant de monde. Les portefaix, les courtiers, les deux roues et les brouettes s'affairent, à leur tour, s'entrechoquent et s'entremêlent pour se tailler un petit bout de chemin dans cette partition endiablée qui se joue sur fond de sommes d'argent mirobolantes. Inquiétante récession Mais voilà que depuis trois à quatre ans, cet immense pôle commercial donne l'impression de s'essouffler. Précisément depuis l'émergence, il y a quelque temps, de grandes et imposantes sphères commerciales, à l'image des somptueux centres commerciaux de Dubaï (El Eulma) et le filon d'or que constitue Aïn Fakroun concernant l'habillement. L'appel des sirènes étant irrésistible, « près de 95% des grossistes et marchands de l'électroménager ont transféré leurs activités à Dubaï en raison de son standing, du confort et de l'attrait qu'il exerce sur les différents partenaires et fournisseurs », nous affirme le président d'APC de Tadjenanet, Abderrahman Nekkaâ. Ce géant aux pieds d'argile (le marché) se retrouve ainsi amputé d'un de ses deux principaux segments d'activité, l'électroménager et l'électronique en l'occurrence, et partant, le « délestage » de centaines d'opportunités d'emplois occasionnels. Si la mise en adjudication du marché hebdomadaire, au titre de l'année fiscale 2005, a engrangé 10,7 milliards de centimes dans les caisses de l'APC, cette dernière vole plutôt au ras des pâquerettes quant à la sauvegarde et à la préservation de cet atout inestimable au plan socioéconomique. L'absence de statistiques officielles ne permet pas de cerner avec exactitude la portée du chômage à Tadjenanet, mais la proportion du fléau est vraiment dramatique, nous dira notre interlocuteur. D'autant plus que la profession de menuiserie, véritable industrie dans la région qui contribue un tant soit peu à l'absorption du chômage, se délite de plus en plus. La pratique cousue de fil blanc du travail au noir ayant atteint des pics scandaleux, près de 300 artisans menuisiers ont dû mettre la clé sous le paillasson et remettre leur registre du commerce, nous affirme-t-on.