En deux décennies (1980 à 2000), les grands centres urbains de la wilaya : Mila, Chelghoum Laïd, Ferdjioua, Téleghma, Tadjenanet et Grarem, ont connu d'importants rushs migratoires. Des milliers de familles, fuyant les affres de la précarité rurale, l'enclavement et, surtout, le diktat des hordes terroristes, y ont trouvé refuge. Conséquence : En vingt ans, la population moyenne dans ces agglomérations, qui oscillait entre 30 000 à 50 000 âmes, a pratiquement doublé de nos jours avec, à la clé, une litanie d'incohérences urbanistiques, une exacerbation de la crise du logement et une vertigineuse accentuation des maux sociaux. Il en a de même résulté la prolifération des cités-dortoirs, le détournement des espaces verts et des lieux de détente à défaut de perspectives d'insertion de cette énorme masse juvénile, les restrictions draconiennes de l'eau potable, les échecs scolaires, les licenciements collectifs de milliers de travailleurs et tutti quanti. Des dizaines d'avis, glanés ici et là, donnent à penser que ce sont là « les principales raisons alimentant l'hostilité citoyenne vis-à-vis des gouvernants, l'envenimement des rapports communautaires et la déviation des comportements, aussi bien au sein de la famille que dans le collège, dans la rue et le quartier ». Cela dit, l'on peut avancer, sans risque de se tromper, que les terribles effets de la crise économique ont fini par porter un coup fatal aux règles de bienséance et aux fondements de la moralité. La haine de son prochain, la méfiance obsessionnelle nourrie à l'égard de tout ce qui symbolise l'Etat, la profusion des agressions verbales et physiques, la quête de survie, les horizons qui s'éloignent de plus en plus, s'abreuvent, il faut se l'avouer, dans le lit du chômage endémique, de l'exclusion et des espoirs éternellement remisés au placard. Déferlement de la délinquance Le phénomène de la délinquance juvénile est en passe de devenir, s'il ne l'est pas déjà, l'un des redoutables périls qui menacent la stabilité et la cohésion sociale, tant au plan local que national. Le nombre impressionnant de jeunes, voire d'adolescents, qui ont eu maille à partir avec les institutions pénales, pour une affaire de vol dans l'appartement du voisin, dans le véhicule stationné dans le parking du quartier ou, tout simplement, pour délit de consommation de drogue et de psychotropes, est édifiant. Des gamins n'en démordent plus, en ces temps de disette, de tremper dans toutes les combines scabreuses pour se prendre en charge ou subvenir aux besoins de leurs ascendants. « Peu importe les stratagèmes et les procédés délictueux, pour peu qu'on arrive à se procurer quelques subsides », racontent langoureusement Lyès A. et Ramzi F., deux amis inséparables spécialistes de la manchette. « L'on a tout essayé pour dégoter un job aussi précaire soit-il, mais l'on veut pas de nous, car nous n'avons pas de qualification, étant exclus tous les deux du lycée ». Terrassés par leur désarroi et lassés de compter pour du beurre, des centaines de mômes éjectés précocement des circuits scolaires, auxquels s'ajoutent des milliers de travailleurs ayant perdu leurs emplois, se sont mis à émarger au registre du banditisme. La recrudescence des vols qualifiés, des cambriolages et des agressions caractérisées, amplifiée par l'insécurité et l'anomie sociale régnantes en est la parfaite illustration. Déroutée, la société a, en l'espace de quelques années, perdu tous ses repères. Rares sont ceux qui, présentement, s'identifient dans cette dégringolade vers les abysses du dévergondage et de l'effritement des valeurs. Les bonnes mœurs, le respect d'autrui, et la convivialité d'autrefois ne sont plus qu'un lointain souvenir. De nombreuses personnes adultes interrogées regrettent, la mort dans l'âme, le bon vieux temps où il faisait bon vivre, estimant que « le dérèglement effréné des mœurs et le délitement des préceptes de la moralité résultent de la lancinante crise économique, durement ressentie par de larges pans de la population ». Selon nos interlocuteurs, « le basculement dans les griffes de la pauvreté, la misère rampante, les échecs scolaires cumulés, les drames conjugaux, le divorce des parents, le dysfonctionnement du mouvement associatif et l'obscurcissement des horizons devant des milliers de (hittistes) condamnés (par contumace) au purgatoire, ont développé chez ces derniers des réflexes incompressibles de haine et d'agressivité vis-à-vis de l'entourage ». L'acuité de ces maux mis en conjonction ne peut, dès lors, qu'aboutir sur un étonnant déferlement de l'immoralité et du libertinage sous toutes leurs facettes. Le collégien agressant lâchement son professeur, notre lâcheté à tous de détourner le regard sur des voyous du coin harcelant ou terrorisant des collégiennes, le maniement au vu et su de tous d'armes blanches, y compris par des mineurs, la propagation incontrôlée des drogues et des barbituriques et leur consommation au pied de nos immeubles, la prostitution, font, hélas, partie du décor quotidien. Réputée pour être un bastion de conservatisme et de préservation des valeurs de bienséance, la wilaya de Mila, du moins dans les grandes villes qu'elle abrite, n'est pas ce haut lieu de puritanisme, comme l'on tente de le faire croire. Le péril est bel et bien dans la demeure !