C'est en août 1961 que vous devenez président du GPRA ? Oui, effectivement, il y a eu la réunion du GPRA à Tripoli. Ce qu'il faut souligner, c'est l'esprit de discussion et de démocratie qui a toujours animé le CNRA où les décisions étaient toujours prises à la majorité. On a jugé le président Abbas sur sa gestion. Il a été renversé. Evidemment, en cas de crise, c'est toujours le président qui paie les frais. On a estimé devoir le changer et c'est ainsi qu'on m'a demandé de présider le nouveau GPRA. Avec Krim, Ben Tobbal, Saâd Dahlab, ministre des Affaires étrangères, Yazid à l'Information et Mohammedi Saïd, ministre d'Etat. Pourquoi vous a-t-on choisi ? Je crois que c'est sur la pression de l'intérieur sur les « trois » que le changement a eu lieu. Il y avait le groupe Krim, Ben Tobbal, Boussouf, « les seigneurs de la guerre », pourrait-on dire. Et puis, il y avait le groupe Dahlab, Yazid et vous. Dahlab, c'est votre ami ? Incontestablement. Avec Yazid vous étiez... ? En bons termes. Politiquement aussi ? Politiquement aussi ; il a appartenu au comité central du PPA-MTLD. Donc, cela faisait deux groupes ? Oui, deux groupes mais qui se complétaient. Ce qu'il faut noter au FLN, c'est que l'élément moteur était constitué par les anciens du PPA-MTLD. Ce sont surtout des cadres formés dans ce parti qui ont mené la lutte sur le plan militaire, politique et diplomatique. Bien sûr, il nous arrivait au sommet d'être en désaccord sur les méthodes, mais le but poursuivi était le même. Et puis, il y avait la guerre qui nous imposait de demeurer unis. En août 1961, vous sentiez que c'était gagné ? Pas du tout, il y avait le problème du Sahara sur lequel de Gaulle ne s'était pas prononcé et celui, très important, de la minorité française en Algérie. Quel statut devait-elle avoir : double citoyenneté ou statut d'étranger ? De notre côté, une grave menace pesait sur notre unité, notre principal atout. Lorsque j'ai été placé à la tête du GPRA, nous avions devant nous deux dossiers : la poursuite des négociations et la rébellion de Boumediène qui commençait à se manifester. Celui-ci défiait l'autorité du GPRA. Faut-il le sanctionner ? Nous risquions de voir les djounoud s'entretuer à la frontière entre partisans et adversaires de Boumediène. Dans ces conditions, comment poursuivre les négociations ? Devant nos divisions, le général de Gaulle n'aurait pas manqué d'imposer sa volonté. Notre grande force, c'était l'unité, même une unité de façade... Placés devant deux difficultés : les négociations et sanctionner Boumediène, nous avons donné la priorité aux négociations parce qu'il s'agissait de l'avenir de tout un peuple (...) Vous êtes rentré à Alger début juillet 1962 ? Début juillet 1962 nous sommes rentrés. Les cinq d'Aulnoy avaient été libérés et il y a eu l'alliance de Ben Bella avec Boumediène qui disposait d'une force contre le GPRA : l'armée des frontières. Personnellement, je ne voulais pas engager l'épreuve de force contre ce tandem. Je craignais la guerre civile et le chaos dans un pays où l'armée française demeurait l'arme au pied et d'où elle n'était pas encore sortie. L'ALN à l'intérieur était fort réduite, et divisée en certains endroits. Enfin l'indépendance était acquise, c'était l'essentiel. Entretien accordé par le président du GPRA Benyoucef Ben Khedda au journal Le Monde le 12 juillet 1988 à Alger.