C'est désormais un fait établi, Internet est une fabuleuse invention. Elle marque son siècle comme d'autres ont marqué leur temps et l'histoire de l'humanité. www, trois lettres pour parler du web, ou encore de son étendue (world wide web), cette fameuse toile qui ne cesse de s'étendre, de suciter des vocations, des nouveautés technologiques, des investissements fabuleux, et puis, ce qui devient normal, des convoitises. Beaucoup même, et de toutes sortes. Internet sert à tout. Pas seulement à dialoguer, et à se jouer des distances. Plus qu'une encyclopédie, c'est un moyen de communication qui évite les déplacements, et c'est sans effort. Mais quel rapport avec la démocratie ? Y en a-t-il un au juste ? Une institution américaine en est persuadée. Trois lettres en guise de réponse et pour lever toute équivoque, c'est le CDT (Center for Democracy and Technology), une ONG basée à Washington. Et au plan officiel, existe depuis 2001 une structure plus vaste. C'est l'Office of International Communications and Information Policy qui dépend du département d'Etat. Son coordinateur, qui a le rang d'ambassadeur, a d'ailleurs fort à faire avec la préparation du Sommet international de la société de l'information qui doit se tenir à Tunis en novembre prochain qui s'est d'ailleurs fait connaître de manière toute particulière avec les commentaires qui ont suivi l'invitation adressée par le chef de l'Etat tunisien au Premier ministre israélien. Une normalisation rampante, disait-on alors, occultant déjà les enjeux de ce 2e sommet. En tout état de cause, les commentaires n'ont pas manqué, élargissant l'éventail des sujets de cette rencontre qui intervient après celle de Genève d'il y a deux années. Dans l'appareil institutionnel américain, on trouve également la fameuse Federal Communications Commission (FCC) qui n'a pas pris une ride, malgré son âge avancé. Elle n'est plus chargée d'attribuer les fréquences, mais elle ne peut représenter les Etats-Unis dans les négociations internationales. Ce qui explique cette structure relevant du département d'Etat, avec ses trois sections. E-gouvernance et secret On réfléchit déjà à l'après-Tunis, et ce qui n'est pas de trop, avec la montée de nouvelles puissances comme l'Inde, le Brésil et la Chine, ce dernier pays connaissant une explosion de la demande avec ses 100 millions d'abonnés (les Etats-Unis en ont 130), et la poussée technologique. Quant au CDT, affirment ses responsables, ce n'est qu'un cadre de réflexion, une ONG qui travaille avec d'autres ONG, la société civile et le secteur privé. Et comme il faut bien en parler, elle est financée par des fondations privées bien entendu, dont celle que préside le financier George Soros, dont le nom est cité dans des évènements intervenus dans d'anciens Etats voisins de la Russie, dont la Géorgie. Elle est là pour défendre la liberté d'expression, les groupes de consommateurs, élaborer des lois. Elle travaille presque exclusivement pour les Etats-Unis, et d'une manière générale, elle entend promouvoir la e-gouvernance, un concept nouveau qui ne s'adresse a priori qu'aux sociétés où tout ou presque est assuré. Il ne s'agit pas d'une coquetterie, mais d'une exigence, et il n'est pas superflu de souligner qu'au pays de la communication et du boom technologique, Internet n'est pas accessible à tous. Les clubs ou commerces qui proposent ce service facturent à un dollar la tranche de 5 minutes. C'est plus cher qu'une tranche d'une heure, soit douze fois plus qu'en Algérie. A entendre les différents orateurs, la solution, ou encore la démocratie est dans la e-gouvernance, car celle-ci implique l'ouverture de canaux de communication qui n'ont de limites que le secret qui doit être observé. Mais qui décide de ce qui est publiable et de ce qui ne l'est pas ? Là est une question à laquelle la réponse n'est pas aisée, sauf à faire totalement confiance à ceux qui en ont la charge et l'obligation de préserver les secrets de la nation. Et que deviennent alors ceux du citoyen qui, par différents biais comme le paiement à distance, finit par ne plus en avoir ou si peu ? Une autre question bien embarrassante, mais à la pertinence avérée. Au Bureau du budget et du management, on n'hésite pas à mettre en avant, dans ce cas précis, la loi de 1976 sur la confidentialité, et que depuis 1996, les citoyens peuvent accéder aux informations les concernant détenues par la FBI, la police fédérale. Mais qu'en est-il au juste depuis les attentats antiaméricains du 11 septembre 2001, avec le Patriot act ? Et puis n'est pas internaute qui veut. Il faut avoir du temps, un minimum de moyens et de connaissances. Autrement, c'est un saut dans l'inconnu d'où l'on revient la tête vide. Cela devrait-il s'avérer dissuasif ou plus simplement empêcher tout travail de communication, qui éliminerait ou réduirait les distances entre gouvernants et gouvernés, établirait un minimum de confiance, et permettrait une certaine transparence ? Non, bien entendu, même si un tel recours contribuerait à deshumaniser davantage un système qui ne l'est pas toujours et en tous lieux. Il reste que tout progrès technologique ne sera profitable à l'être humain que s'il contribue à son épanouissement, c'est-à-dire qu'il ne l'éloigne pas des affaires de la cité, en d'autres termes que celui-ci ne doit pas se nourrir d'illusions, car rien ne remplace des rapports directs. Autrement, c'est la voie ouverte vers le retrait, l'individualisme, la fracture et la dislocation des rapports au sein de la société. La loi suivra Des questions qui n'ont pas empêché le développement de cette merveille, appelée Internet. La FCC à titre d'exemple a parfois bien du mal à suivre son évolution, et le rythme est parfois tel que la législation intervient a posteriori, c'est-à-dire que rien ne bloque le développement technologique, même pas la loi quand elle n'existe pas. C'est le législateur qui doit suivre. « Il y a trop d'intérêts en jeu », reconnaît-on. Aux Etats-Unis, le secteur de la communication est bien puissant puisqu'il intervient à la hauteur de 16% dans le produit national brut (PNB) américain avec un chiffre d'affaires qui avoisine les 10 000 milliards de dollars. L'on se plaît par ailleurs à souligner qu'Internet ne doit absolument rien au secteur public (un débat en perspective au prochain sommet de Tunis), mais l'Amérique se plaît à afficher un autre visage avec le développement d'Internet dans les écoles, les hôpitaux et les bibliothèques. Comme tout est business, il faut, nous indique-t-on, utiliser les règles du marché plutôt que les lois pour obtenir des bénéfices. Ou encore, que le marché est bien placé pour permettre le développement d'Internet, et que depuis l'ouverture à la concurrence - la fameuse dérégulation ou l'un de ses aspects-, le coût d'Internet et du téléphone portable a baissé. Sur cette lancée, nos interlocuteurs souligneront que le management d'Internet doit être porté par le marché. Décidément, on n'est pas loin de la conférence de Tunis, même s'il est affirmé qu'Internet n'appartient à personne. Une affirmation intervenue alors qu'était soulevée la question des attaques contre le web. Mettre en évidence le marché et ses lois, avec la règle du profit, semble en contradiction avec la déclaration de principes adoptée par le 1er sommet mondial sur la société de l'information tenu à Genève en décembre 2003. En effet, y lit-on dans son article 1, il est question « d'édifier une société de l'information à dimension humaine, inclusive et privilégiant le développement, une société de l'information dans laquelle chacun ait la possibilité de créer, d'obtenir, d'utiliser et de partager l'information et le savoir et dans laquelle les individus, les communautés et les peuples puissent ainsi mettre en œuvre toutes leurs potentialités, en favorisant leur développement durable et en améliorant leur qualité de vie, conformément aux buts et principes de la Charte des Nations unies, ainsi qu'en respectant pleinement et en mettant en œuvre la Déclaration universelle des droits de l'homme ». Comme tout se paie, et qu'existe une fracture numérique, cette déclaration risque de demeurer en l'état. Déjà important entre l'Europe et les Etats-Unis, l'écart de développement est considérable entre le Nord et le Sud, et ce ne sont pas les quelques opérations ponctuelles et au caractère plutôt médiatique qui pourront le réduire. Que devient l'aide au développement ? Plus personne n'y pense. Et comment penser à la communication quand des besoins élémentaires ne sont pas encore satisfaits ? Il n'y a pour cela qu'à puiser dans les chiffres des Nations unies avec son indice de développement, ou encore la croissance de la pauvreté. Cette même déclaration reconnaît par ailleurs le droit de l'individu de « chercher, de recevoir, et de répandre sans considération de frontière, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ». Ce qui est déjà le cas avec ce qu'on appelle les internautes, mais qu'en sera-t-il, quand ses groupes s'empareront, si ce n'est déjà fait, des outils de communication et y exerceront leur domination ? En tout état de cause, l'inclusion souhaitée n'est possible que par l'existence de moyens. L'inverse est tout autant vrai. Reste alors à surmonter cette contradiction, parce qu'il est aussi avéré que la démocratie accompagne ou favorise la lutte contre le sous-développement.