La station climatique de Tikjda, à plus de 1400 m d'altitude, a du mal à reprendre vie au plus fort de l'été. Alors que la canicule sévit sur les versants nord et sud du Djurdjura, la haute montagne n'est pas assiégée par des personnes fuyant la fournaise. La forêt de cèdres n'appelle plus grand monde et semble oubliée dans les plans de vacances estivales. Les professionnels du tourisme et les employés du parc national du Djurdjura assistent impuissants au combat inégal entre les stations balnéaires et les centres climatiques aménagés au sommet de la montagne. Pourtant, le dépaysement est total au bout des 30 km de la RN33 reliant Bouira à Tizi N'kouilal, le col culminant à 1880 m d'altitude. La route a été sécurisée ces dernières années et n'a été le théâtre d'aucun incident depuis le déploiement massif des différents corps de sécurité. Le visiteur est d'ailleurs frappé par le nombre de cantonnements des services de sécurité entre le chef-lieu de Bouira et le sommet de la montagne, en passant par Haizer. La sécurisation est loin d'être au même niveau sur l'autre versant de la montagne, en venant de Tizi Ouzou par AÏt Yenni. Des « faux barrages » sont annoncés dès que le calme semble revenir sur le flanc nord de la montagne. En l'absence des services de sécurité, l'on signale plusieurs fois par an des descentes d'individus armés à mi-chemin entre le terrorisme islamiste et le banditisme. L'effet est le même, les automobilistes évitent l'axe Tizi N'kouilal-Tizi Ouzou, préférant multiplier leur trajet par deux ou trois pour rallier Tikjda. Le visiteur préparant sa virée sur la montagne est frappé par le style direct des conseils qu'on lui prodigue : « Le matin, vous pouvez passer par Tizi Ouzou, mais au retour, partez sur Bouira puis Thénia. » De ces précautions, les gens de la montagne n'en ont cure et les cèdres savent attendre. « Un jour ou l'autre, tout le monde va rappliquer », chuchote-t-on dans les escarpements des monts boisés. « Ils sont beaucoup plus nombreux à venir en hiver, et ils se contentent de luges de fortune pour profiter des plaisirs de la neige », ajoute-t-on. Construites en 1964, tombées en panne au milieu des années 1980 ou sabotées au milieu des années 1990, les remontées mécaniques sont transformées aujourd'hui en un désolant musée à ciel ouvert. Sans gardiennage, les impressionnantes installations sont offertes à la curiosité du rare public qui peut enjamber la petite clôture de bois pour voir de très près les moteurs qui ne tournent plus. La mécanique grippée En voyant ces énormes pylônes plantés sur les flancs des pics rocheux, l'on réalise qu'il y a quelques décennies, l'on avait cru à l'intérêt des gens pour la montagne et mis les moyens pour multiplier les sensations fortes et le vertige des hauteurs. Les sièges suspendus aux câbles sont immobilisés pour un temps indéterminé. Deux télésièges et deux téléskis sont à l'arrêt. Combien faut-il d'énergie, de volonté et d'argent pour ranimer ce mastodonte de fer qui sommeille depuis des années ? Nous nous éloignons de ce triste spectacle et de ces panneaux de sécurité inutiles qui s'adressent à des usagers imaginaires. « Pourquoi il y a si peu de monde, ou presque pas, en plein week-end ? », demandons-nous à un brigadier du parc national du Djurdjura. L'arrière de son pick-up est rempli de grands sacs d'ordures ramassées sur la montagne. Une tâche dont s'acquittent les agents du parc, sachant que personne d‘autre ne le fera à leur place. « Nous sommes en période creuse », répond le brigadier-chef Kaci. Nous sommes les seuls à être étonnés de ce calme pesant à un endroit où l'on croyait voir le grand rush. « L'affluence remonte en novembre pour redescendre à partir d'avril », ajoute Kaci, qui situe ainsi la haute saison en hiver. C'est donc la neige qui attire du monde, non la fraîcheur en été. On croit à la description qu'il nous fait de l'ambiance régnant de la fin de l'automne jusqu'au début du printemps : « Nous recevons 300 bus chaque week-end et la file des voitures s'étend sur 5 km », dit-il. Un couple d'estivants passe et interpelle le brigadier dont ils se souviennent de la qualité du travail fourni en haute saison. « C'était bien en hiver, nous sommes revenus voir comment c'est en été », lancent-ils. Ils essaient d'obtenir quelques indications pour aller en randonnée mais leur interlocuteur se contentera de les exhorter à remonter la pente rocailleuse sans aucune crainte. Nous demandons s'il existe des prospectus présentant les attraits du parc du Djurdjura. « Oui, mais le bureau est fermé à clef et le premier responsable n'est pas là », nous répond-on. D'une superficie de 18 850 ha, sur une longueur de 50 km et une largeur de 10 km, le PND est classé patrimoine mondial, réserve de biosphère, par l'Unesco en 1987. La création du parc du Djurdjura par décret présidentiel remonte à 1987. Richesse floristique (990 espèces, dont 33 protégées par la loi, comme le pin noir), et faunistique (1475 espèces, dont des espèces rares comme le singe magot ou le gypaète). Les visiteurs ne sont pas aussi nombreux que les gardes communaux qui nous montrent les sens interdits, et les employés de l'hôtel Djurdjura qui ne sont nullement inquiétés par la rareté des estivants. « Il y a des raisons s'il n'y a pas beaucoup de monde. En tout cas, nous réalisons notre équilibre et en hiver, l'hôtel est toujours complet », nous dit le directeur de l'établissement. S'il tient à souligner l'équilibre financier et la viabilité de son hôtel, c'est sans doute en réponse à l'intérêt porté par le Comité olympique algérien à cette structure appartenant à l'EGT Centre. L'offre d'achat est écartée, selon les gens du tourisme, elle est toujours sur la table, selon les sportifs. Elle est sans doute sous le coude du chef du gouvernement. La tension entre les uns et les autres est palpable à la station de Tikjda et elle est incompréhensible aux yeux du visiteur. vue sur Lalla Khedidja En attendant que le gouvernement ou que le marché tranche, la course à la compétitivité s'installe. L'EGT Centre débloque, cahin-caha, des budgets pour la réfection de l'hôtel. L'établissement a été saccagé par les terroristes en 1994 et garde encore les stigmates du feu qui a ravagé des pans entiers de la structure. Le directeur ne se souvient plus de la capacité d'accueil initiale de l'hôtel. Plus de 200 lits, dit-il. Après un bref calcul, on obtient la capacité actuelle ; après rénovation, 80 lits, 29 chambres (doubles) et 6 appartements ont été refaits et remis en exploitation depuis 2003, ainsi qu'un restaurant de 100 couverts. 65 chambres (130 lits) attendent l'arrivée de l'argent et des travaux de réfection. Cet été, la piscine, remise en service, est réservée aux résidents. A notre passage, elle était vide. La veille, 4 chambres et 3 appartements étaient occupés, a-t-on appris. Le tarif des nuitées baisse en dehors de la haute saison hivernale. A l'heure d'été, la chambre double passe de 2500 à 2000 DA, et l'appartement de 5000 à 4000 DA. « Petit-déjeuner compris », précise le directeur. Les chambres ont été bien rénovées et sont bien tenues, avons-nous constaté. L'eau coule dans les robinets et l'on n'entend que très rarement le bruit dans les conduites murales. En écartant le rideau ou en passant sur le balcon, le spectacle est saisissant. Aucun lien avec la ville. Il s'agit de chambres avec vue sur Lalla Khedidja, le sommet du Djurdjura, qui culmine à 2300 m d'altitude. Impossible de comprendre d'où les terroristes avaient tiré la rage de saccager des lieux qui invitent presque au recueillement. Près de dix ans de désolation plus tard, l'hôtel Djurdjura renaît de ses cendres. Il est opérationnel en partie. Une campagne promotionnelle assez laborieuse serait en cours de préparation : panneaux, placards ainsi que le lancement d'activités annexes en soirée et l'ouverture d'une salle de jeux pour enfants. Tout cela reste en projet. Les gens du tourisme devraient se dépêcher. Les sportifs sont déjà sur les starting-blocks sur leur piste olympique.