Ces derniers mois, c'était le branle-bas de combat au niveau du secteur de la sécurité sociale, qui connaît depuis deux ans un véritable chamboulement en matière de ressources humaines, mais également en stratégie de gouvernance. Tout récemment, c'est le président de la commission des prises en charge des soins à l'étranger, en même temps directeur de la clinique de chirurgie infantile de Bou Ismaïl, dans la wilaya de Tipaza, qui a été limogé par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale, Tayeb Louh. Beaucoup d'encre a coulé autour de cette décision, dont les motifs, nous a signalé une source proche du ministère, « sont très graves ». Il s'agit de « détournement de malades (mais aussi d'équipements) de la clinique de Bou Ismaïl, pour être opérés dans une structure privée (connue sous le nom de Melissa) en contrepartie de sommes d'argent... ». En plus de ce grief, l'inspection générale du ministère du Travail et de la Sécurité sociale évoque une affaire de prises en charge « de complaisance » pour des soins à l'étranger... aux frais du Trésor public. Ce limogeage n'est pas le premier puisque quelques mois plus tôt, le ministre a également relevé de ses fonctions le patron de la Caisse nationale des assurances sociales (Cnas), après « une grave affaire » qui n'est, selon nos sources, « que la goutte d'eau qui a fait déborder le vase ». Pour nos interlocuteurs, l'ex-DG de la Cnas est par ailleurs impliqué dans l'affaire de Khalifa, puisqu'il ressort que la résolution du conseil d'administration de la Cnas, sur la base de laquelle l'argent de toutes les caisses a été confié à la banque Khalifa, « s'est avérée fausse et qu'aucun des membres du conseil d'administration n'était au courant de cette résolution ». C'est la conclusion à laquelle est arrivée l'instruction actuellement menée par le tribunal de Chéraga. Mais entre-temps, l'ex-DG a commis une autre erreur impardonnable. Il a hospitalisé dans une clinique de la Cnas, à El Harrach, un de ses proches blessé par une balle tirée accidentellement lors d'une fête familiale à M'sila, en faisant croire qu'il s'agissait d'un accident de travail. « Le blessé a même commencé à être indemnisé en tant que tel. L'enquête menée par l'inspection générale a permis d'avoir la vérité, puisque le blessé en question a tout avoué aux inspecteurs... », confie notre source. Cette affaire avait fait couler beaucoup de salive dans le secteur de la sécurité sociale dans la mesure où l'enquête a démarré à la suite d'un courrier anonyme adressé au ministre en personne, et dont l'enquête, par la suite, « a mis à nu d'autres irrégularités liées à la signature de conventions de complaisance entre la Cnas et certaines cliniques privées pour prendre en charge les frais des actes médicaux des assurés. En plus de la clinique Melissa, l'ex-DG a signé une convention avec la clinique de l'ex-ministre de la Santé, M. Redjimi. Ce qui est contraire à la réglementation d'autant que le ministre en question était en poste à l'époque... ». L'autre limogeage qui a fait couler beaucoup d'encre est celui de l'ancien directeur général de la Caisse nationale de chômage (Cnac), dont la mesure a été décidée par le ministre du Travail et de la Sécurité sociale à la suite d'un scandale lié à l'achat d'un immeuble à un prix dépassant largement la valeur réelle du bien acquis. A la tête de cette caisse depuis plus de onze ans, le responsable de la Cnac a acheté auprès d'un privé un immeuble construit à 70%, situé à Hussein Dey, pour la caisse au prix de 280 millions de dinars (28 milliards de centimes). Ce qui « est énorme » par rapport au bien acheté et dont la procédure d'achat a été accomplie par un notaire exerçant en dehors d'Alger et qui a pris la modique somme de 6 millions de dinars. « Pour ce genre de transaction, le règlement intérieur exige que l'opération passe par le conseil d'administration, et une fois approuvé, le dossier est transmis à la tutelle pour approbation. Cette procédure n'a pas été respectée. L'ex-DG a agi en son nom. Ce qui est illégal... », a déclaré notre source, avant de rappeler le cas de l'ex-DG de la Caisse sociale des non-salariés (Casnos), également limogé par le ministre pour n'avoir pas respecté les délais de la finalisation du projet de modernisation de la caisse. « Au cours d'une visite d'inspection, le ministre a été surpris de voir que les agents de la Casnos continuaient à fonctionner au stylo, alors que des instructions ont été maintes fois données et les moyens avancés pour informatiser toutes les agences de cette caisse. » Selon notre interlocuteur, le secteur a été, durant des années, « abandonné à des pratiques qui n'honorent nullement les institutions de l'Etat. Une campagne d'assainissement est en train d'être menée depuis près de deux ans, et beaucoup de choses ont changé, même si au fond beaucoup reste à faire ». Pratiques mafieuses Notre interlocuteur a cité comme exemple le scandale de l'agence régionale de Tébessa où un trou de 80 millions de dinars a été découvert dans les caisses. Cinq personnes sont actuellement sous mandat de dépôt, dont le directeur, sept autres ont été placées en liberté provisoire, alors que dix-neuf agents sont actuellement en fuite. C'est dire que « l'inspection générale du ministère du Travail et de la Sécurité sociale a encore du pain sur la planche dans ce secteur gangrené par des pratiques mafieuses. Le ministère a engagé des actions en justice contre tous les responsables limogés pour avoir enfreint la loi. Ils devront s'expliquer de leurs actes devant la justice... », a déclaré une source proche de l'inspection générale. Parallèlement, des mesures draconiennes de contrôle sont en train d'être menées par les responsables pour lutter contre les pratiques illégales en matière d'importation, mais aussi de remboursement des médicaments, telles les dépenses inutiles et injustifiées qui nuisent gravement aux ressources réservées aux infrastructures multiples du secteur, de l'impression de vignettes en nombre largement supérieur aux quantités réceptionnées ou fabriquées, permettant ainsi leur utilisation frauduleuse pour l'obtention de remboursement, de livraison de médicaments aux grossistes répartiteurs sans opposition préalable de vignette sur les conditionnements, mais accompagnés de rouleaux de vignettes en nombre approximatif engendrant un surplus constaté au niveau des guichets de la sécurité sociale, du non-respect de la conformité réglementaire de la vignette, paralysant ainsi la politique de la rationalisation des dépenses de la sécurité sociale à travers l'application des tarifs de référence de remboursement. Pour le ministère du Travail et de la Sécurité sociale, le secteur a vu s'implanter de véritables réseaux de reproduction frauduleuse de vignettes, impliquant les « assurants » sociaux, le personnel de la sécurité sociale, les prescripteurs et les pharmaciens. Ce qui a nécessité le renforcement des structures de contrôle appuyé par la promulgation de textes juridiques répressifs et de nouvelles dispositions consacrées par la loi de finances complémentaire 2005. Les 5 articles de cette loi (15, 16, 17, 18 et 19) devront avoir un impact psychologique fort dissuasif vis-à-vis de tous les acteurs intervenant dans la chaîne du médicament (importation, production, vignettage, vente, tarification et remboursement). Pour ce qui est des soins à l'étranger, qui coûte à l'Algérie une enveloppe annuelle de 3 milliards de dinars, le secteur a entrepris une politique de limitation des prises en charge à travers le transfert vers l'Algérie des technologies et des équipes médicales pour des actes chirurgicaux non encore maîtrisés en Algérie. S. T.