Tu étais constamment à l'écoute de la société, de ses moindres frémissements, aux côtés des citoyens dans leur souffrance et leurs luttes. El Hachemi, mon ami, mon frère, nous ne lirons plus dans la presse tes longues contributions que fort récemment Hakim Laâlam évoquait dans sa chronique avec nostalgie, déplorant leur absence devant le silence sidéral qui enveloppe la classe politique démocrate. Nous n'entendrons plus ta voix marteler, comme tu le faisais lors des nombreux meetings que tu animais, tes profondes convictions. Nous n'entendrons plus jamais jaillir de ta bouche féconde tes phrases, tes mots-clé, revenant sans cesse, véritable leitmotiv, pour les incruster de façon indélébile dans les mémoires, dans les consciences : consacrer la double rupture avec le système et l'intégrisme islamiste, lutter pour abattre le système rentier, corrompu, bureaucratique et prédateur, bâtir un Etat de droit laïque et moderne, libérer la femme, se battre pour les libertés d'opinion et d'expression, lutter contre les compromissions... Combattant téméraire, constant et convaincu, ta ténacité face à l'adversité et à ta dignité sont devenues légendaires. « La flamme d'une bougie même vacillante doit être entretenue contre vents et marées », aimais-tu à répéter dans les pires moments de l'adversité ; tu n'as jamais versé dans le découragement encore moins dans le désespoir. La justice sociale, les libertés démocratiques, les opprimés, les travailleurs, les jeunes, les chômeurs étaient une grande partie de tes préoccupations, de ta raison d'être. Quand je te rendais visite, souvent avec nos amis communs, feu le colonel Saleh Boubnider, le commandant Azzedine et Tayeb Belghiche, je te trouvais la plupart du temps attablé devant ton micro-ordinateur, pianotant sans cesse des notes, des réflexions ; tu avais toujours un chantier ouvert, un écrit, une « petite contribution » comme tu aimais à le dire. Dans ton combat permanent, que de fois tu évoquais l'alternative républicaine démocratique, avec un grand rassemblement républicain, des Etats généraux républicains, véritable front des démocrates bâti autour d'un minimum, d'un SMIG républicain. Je me souviens comment tu avais fondé un grand espoir à la naissance du CCDR que tu voyais comme un potentiel catalyseur de rassemblement. Je me souviens encore, tu nous avais adressé un message intitulé « Lettre à mes amis du CCDR » dans lequel tu nous mettais en garde contre les manipulations, l'opportunisme et les infiltrations, les déviations et les compromissions. Comme tu restes, il t'arrivait de critiquer avec pertinence et objectivité, de façon fraternelle certaines de nos actions. Nous n'oublierons jamais le soutien indéfectible du MDS dont les militants contribuèrent au succès des premières rencontres citoyennes du CCDR en 1998-99, avant l'élection présidentielle de 1999. Malgré certaines divergences, le CCDR était un peu MDS et le MDS un peu CCDR, l'objectif final commun étant une Algérie républicaine, démocratique, moderne, ouverte sur l'universalité. Que de fois tu participas avec conviction, mais aussi réalisme et prudence à la jonction des démocrates, notamment la Coordination des démocrates algériens (CDA) en 2001. Même après les désillusions, tu affirmais toujours qu'il ne fallait jamais baisser les bras. Tu nous répétais : « Il faut poursuivre le combat, comme le dit ammi Salah », feu Sawt El Arab, que tu aimais tant, que tu respectais tant. Tu étais constamment à l'écoute de la société, de ses moindres frémissements, aux côtés des citoyens dans leur souffrance et leurs luttes. Tu te rappelles certainement Bab El Oued et les sinistrés des inondations avec lesquels tu partageas leur douleur de longues heures durant ; tu te rappelles certainement la bougie du souvenir que nous allumâmes tous les deux, sur la grève après le retrait de la mer, à la mémoire des victimes. La liberté de la presse était aussi parmi tes préoccupations, la voix des sans-voix était pour toi l'un des piliers essentiels de la démocratie. Tu as été toujours présent dans les moments difficiles que le pays a traversés. Le combat que tu menas sans cesse avec pugnacité contre le terrorisme islamiste intégriste en est l'illustration éloquente ; tu as failli du reste le payer de ta vie. Tu n'as jamais accepté de compromission encore moins une domestication à quel que niveau que ce soit. Dans tous tes écrits, dans toutes tes interventions, tu ne te contentais pas du simple constat ou de la simple critique. Tu poussais toujours à la réflexion, à la prospective non seulement pour la sortie de crise, mais aussi pour l'avenir, pour les générations futures. J'avais déjà appris à te connaître quand tu animais la Fédération des travailleurs de l'éducation (FTEC), tu militais alors dans la clandestinité au PAGS. Je me remémore souvent cette période de lutte : tes interventions pertinentes au centre universitaire de Tizi Ouzou à l'occasion du Printemps berbère en avril 1980, tes actions sans relâche lors des conflits sociaux ou pédagogiques à l'université durant les années 1980. Je me prends à me remémorer pêle-mêle toutes les « batailles » du combat démocratique durant la terrible décennie noire et le début des années 2000 (marches, meetings, rassemblements, patriotes, conférences, dont celle sur Abane Ramdane,...). Un livre ne suffirait pas pour évoquer ton âpreté dans le combat, ta résistance opiniâtre, ta constance dans la lutte, mais aussi ta grande sensibilité, ton profond humanisme et ta grande humilité. Il y a quelque deux mois, tu revins parmi nous à Alger pour souffler, disais-tu. En fait, tu avais le mal du pays, tes militants et tes amis te manquaient. Un accueil extraordinaire te fut réservé au siège du MDS ; c'était qui voulait t'embrasser, qui voulait te parler, qui voulait te serrer dans ses bras ! Cette visite, l'avant-dernière avant ton départ définitif, t'avait « requinqué », malgré le « mal terrible », comme tu disais, contre lequel tu menas un combat stoïque. Tu nous convias, militants et amis, à partager chez toi avec ta famille - ta femme, Meriem, admirable jusqu'au bout par son courage et sa dignité face à l'adversité, avec ton adorable poupon de fille - le dernier couscous de l'amitié, le couscous de l'adieu ! Malgré la sévérité du mal, malgré ta fatigue extrême et l'inéluctable fin que chacune et chacun de nous refusaient d'envisager, tu créas, ce soir, autour de toi, une ambiance de fête, une ambiance de retrouvailles chaleureuses pleines d'espoir, avec un fond de luth magique, du virtuose Alla, du fondou de Béchar, que tu appréciais tant. Puis vint le moment fatidique de l'adieu, à ton dernier retour. Sur ton lit de mort, malgré les terribles douleurs qui parcouraient ton corps, tu n'oublias aucun de tes amis, de tes proches, murmurant leur nom, demandant de leurs nouvelles. Tu menas un combat jusqu'à ton dernier souffle, un combat marqué par une ténacité, une constance, une détermination et une dignité exemplaires. Rigoureux dans tes analyses, intraitable sur tes principes, tu léguas dans la lettre que tu as adressée au précongrès du MDS, un véritable testament politique aussi bien à l'adresse de tes militants qu'à celle de tous les démocrates. Tu y soulèves notamment des interrogations majeures, appelant à engager un débat profond autour de thèmes essentiels pour l'avenir de l'Algérie, une Algérie moderne, démocrate, où régneront l'Etat de droit, la justice sociale et les libertés. Tu y as semé le ferment pour l'union de tous les démocrates, pour laquelle tu as tellement appelé ; tu y as insufflé le catalyseur nécessaire pour s'engager ensemble dans les grands chantiers de la République, pour sortir l'Algérie de l'impasse et édifier un Etat de droit fort, moderne, démocratique, au diapason avec une société où le citoyen sera l'acteur fondamental de la vie de notre pays. Adieu le frère, adieu l'ami, adieu le camarade, adieu le militant des causes justes. Repose en paix à Miramar, bercé par la grande bleue que tu aimais tant. Tu seras toujours au chaud, au fond de notre cœur ; ton image restera toujours vivante au plus profond de notre mémoire.