Il y a une année, tu nous quittais à un moment où l'Algérie et ta famille politique avaient grandement besoin de ta lucidité, ta rigueur et ton courage. Tu as disparu prématurément en laissant un grand vide qu'il sera difficile à combler. Tu as rejoint les SaIah, Rabah, Abderahmane, Mohamed, Aziz, Omar... la liste est longue de tes amis et compagnons de lutte qui nous ont eux aussi quittés prématurément et qui nous manquent tous terriblement en ces moments d'oubli et de renoncement. Ta modestie t'aurait certainement empêché d'accepter un hommage qui occulterait le sacrifice de tous les camarades, des démocrates, des citoyens et des patriotes qui ont subi la barbarie des intégristes. Tu aurais répondu simplement : « Que vaut notre sacrifice par rapport à celui de tous ceux qui ont permis à l'Algérie de rester debout ! » Te souviens-tu de la visite aux victimes de Bentalha, de ce citoyen aux yeux bandés, rare rescapé du massacre ? Tes propos l'ont mis en confiance et il insistait pour connaître ton identité. Ce que tu as refusé, car tu trouvais indécent d'exploiter un drame aussi indescriptible pour te faire connaître. Désintéressé, tu as voué ta vie, depuis ton jeune âge, à l'Algérie, que tu voulais démocratique, moderne et de progrès social. Tu as bravé la mort plusieurs fois au maquis, en 1962/1963, tu as échappé à un attentat à Lakhdaria, en 1993 tu as échappé encore à l'attentat intégriste, et Dieu sait combien de fois tu as été la cible d'attentats manqués. Tu as subi les pressions du pouvoir de tout genre : la censure de tes films, le licenciement, les poursuites judiciaires... Rien, non rien ne t'a découragé de ton combat culturel, syndical et politique. Tu avais toujours réussi à sortir de ces épreuves, davantage déterminé dans ton combat avec l'optimisme que l'on te connaissait et ta foi inébranlable en ce peuple. Tu abordais toutes les questions avec la rigueur et le sérieux du militant et de l'intellectuel. Il en était ainsi dans ton travail de mise en scène et dans tes rapports avec les hommes de culture A. Alloula, Y. Kateb, M. Khadda... Il en était de même dans ton travail d'élaboration théorique sur les questions identitaires, culturelles et sur la crise que traverse notre pays. Cette rigueur t'a valu le respect non seulement de tes amis et compagnons, mais aussi celui de tes adversaires. Pour ceux qui te reprochaient un discours complexe et difficile, tu répondais : « La complexité n'est pas dans notre discours, elle est dans le réel et dans la nature de la crise algérienne. » Tu te méfiais de la vulgarisation et tu reprenais souvent à ton compte l'expression : « Dans toute vulgarisation, il y a réduction de sens. » Pourtant, un paysan de Aïn Defla te répliquait : « Je crois que j'ai compris ce que tu voulais dire par l'expression ‘‘le ver est dans le fruit'', en disant hadi el dawla, mardh'ha dakhlani (le mal qui ronge cet Etat est intérieur). » Tu as contribué avec d'autres camarades à clarifier les enjeux de la crise en mettant le doigt sur la crise de l'Etat et son hybridité, sur la véritable nature de I'islamisme... La capacité d'écoute et de synthèse t'a toujours animé ; tu faisais preuve à tout moment d'empathie envers tes interlocuteurs. Quand il s'agissait de questions stratégiques de principe, certains te reprochaient « ton intransigeance et tes positions tranchées », cependant beaucoup de camarades se souviennent que tu poussais tes interlocuteurs dans leurs derniers retranchements pour ensuite leur restituer la pertinence de leurs arguments intégrés dans une lecture élaborée et enrichie. Nombreux sont ceux qui gardent l'image médiatisée d'un homme « imperturbable », mais peu connaissent l'homme, sa sensibilité et son humanisme. Lorsque la terrible nouvelle était tombée vers 4h du matin au « bunker » de Ettahaddi, annonçant l'assassinat de Mohamed Sellami. « Sellami, Allah yarham ! » Je te revois le visage en colère, faisant les cent pas dans le long couloir du siège. Un peu plus tard, on t'entendait, à ton insu, sangloter sous la douche. Mais parmi les camarades, tes sanglots ont laissé place à la colère et à la détermination. Quelques mois avant ta disparition prématurée, rongé par la maladie, tu avais tenu à faire le déplacement à Constantine, après celui d'Oran, où tu avais rencontré les camarades de l'Est. Tu avais exprimé publiquement ton niet au projet d'amnistie du pouvoir et tu avais mis en relief la dégradation de la situation politique face à ceux qui prônaient déjà « les frémissements au sein du pouvoir ». Tu as tenu également à rendre visite à la famille de Omar Boumezbar, mort aussi prématurément. Sur sa tombe, tu t'adressais à lui comme à un vivant, tu Iui avais même signifié avec des mots simples notre détermination à continuer son combat. Quelques jours avant ta disparition, tu parlais de l'avenir de l'Algérie, du mouvement avec un optimisme d'un homme confiant ; tu relisais le livre de Lucien Sève, tu tenais à tirer profit de l'ADSL, tu exprimais ton souhait d'éviter que le débat déjà ardu au sein du MDS ne se cristallise politiquement et ne rende difficile la préservation de cet instrument de combat. Tu exprimais aussi les espoirs que tu plaçais dans les jeunes participants à l'université d'été. Tu t'es comporté dignement face à la maladie et face à la mort. Tu t'est battu jusqu'à la dernière seconde et tu n'as jamais perdu confiance dans les possibilités de sortie de crise, au moment où beaucoup n'y croyaient plus. Je t'ai connu digne et confiant en 1976 dans un stage de cinéclub à Constantine, je t'ai revu digne et confiant quelques années plus tard dans une conférence sur la culture au début des années 1980. Je t'ai retrouvé digne et confiant après la sortie de clandestinité du PAGS à Alger chez moi à Constantine. Nous avions vécu les années terribles du terrorisme intégriste, et tu étais toujours égal à toi-même, digne et confiant. Tu nous manques terriblement en ces moments difficiles, mais sois-en certain, tu es présent parmi nous. Ton ami Ahmed Meliani