Pour soigner un malade, il faut agir sur les causes de la maladie. Il en est de même de la crise de la dernière décennie. Me Ali Yahia Abdenour, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l'homme (LADDH), n'en doute pas. L'idée lui appartient. Il ne voit pas de traitement à cette crise sans une vision globale. Ce qui n'est pas le cas. Réagissant par rapport au référendum annoncé le 14 août par le président Bouteflika, sur « la charte pour la paix et la réconciliation nationale », Me Ali Yahia dénonce, en premier lieu, l'absence d'« un dialogue politique, avec la participation sans exclusive de tous les acteurs importants de la vie politique, qui inscrivent leur démarche dans la recherche d'une solution ». Il considère l'environnement politique actuel comme non favorable à toute initiative de paix directe. « Il faut d'abord créer un environnement favorable », indique-t-il. Comment ? Le président de LADDH insiste sur la levée de l'état d'urgence. Cela conditionne, à ses yeux, l'ouverture du champ politique et médiatique à des débats ouverts. Est tributaire également de cela « l'exercice des libertés individuelles et collectives ». Aussi faut-il avoir pour ce faire « une justice indépendante ». « La société recèle trop d'inégalités et d'injustices sociales pour se réconcilier », précise-t-il dans une déclaration rendue publique hier. « Trop riche pour une petite minorité, trop pauvre pour la grande majorité, l'Algérie est l'exemple d'une profonde injustice sociale », ajoute-t-il. Dans ce climat d'injustice et de paupérisation des différentes strates sociales, le président de LADDH trouve qu'il est difficile de parler d'une paix ou encore de réconciliation entre les membres de la société. Illusoire même. Encore, dira-t-il, « il y a trop de malheurs dans notre pays, trop de sang versé, trop de larmes, trop de veuves et d'orphelins, trop de destructions. Il faut y mettre fin ». De quelle manière procéder ? Selon lui, il y a deux éléments clés, qui ne semblent pas être pris en compte, à savoir la vérité et la justice. « Le pardon qui ne procède pas de la vérité et de la justice n'est que de l'impunité », souligne-t-il. Sans la vérité sur les violations graves des droits de l'homme exercées par les groupes armés islamiques, l'armée, les forces de sécurité et les groupes de libre défense (GLD), la réconciliation nationale ne pourra jamais réussir, atteste-t-il. « L'amnistie partielle, qui ne veut pas dire son nom, retenue dans le projet de charte, doit arriver au terme du processus de paix, pas avant ou au début », observe-t-il. Pour lui, il faut envisager « des poursuites judiciaires dans le cadre de la compétence universelle ». Les familles de disparus sont, juge-t-il, victimes d'ostracisme de la part du pouvoir. « Le président de la République a disculpé toute responsabilité de l'armée et des services de sécurité des crimes contre l'humanité, en déclarant l'Etat responsable mais pas coupable, ce qui est une hérésie juridique », souligne-t-il encore. Me Ali Yahia insiste, en outre, sur le fait qu'« une violation grave des droits de l'homme reste une violation quelle que soit la personne qui la commet et quelle qu'en soit la raison ». Il rappelle que « droits de l'homme et paix sont les deux aspects indissociables de la vie humaine ». Comme il souligne ainsi que « toute tentative de sauver l'un aux dépens de l'autre, assurer la paix aux dépens de la justice, conduit à l'échec des deux ». Echec dont il ne doute pas quant à la réconciliation proposée par le Président Bouteflika. « Le référendum, s'il n'est qu'un plébiscite, ne fera qu'accentuer les déchirements et les ruptures, raviver les blessures au lieu de les cicatriser, nourrir le sentiment d'injustice chez les victimes et les rancœurs des milieux politiques et médiatiques », soutient-il. D'ailleurs, il ne se fait pas d'illusions que « la fraude électorale bien intégrée dans les mœurs politiques du pays est au rendez vous... ». Il réaffirme, au passage, l'échec de l'ordonnance du 25 février 1995 dite loi sur la rahma - qui veut dire la clémence. Cet échec est, selon lui, justifié par le fait qu'« elle (la loi, ndlr) était explicitement de nature pénale et ne comprenait aucune référence politique ». Autrement dit, « la paix des cimetières ou la paix des braves ». Choix aussi entre la peste ou le choléra. La loi sur la concorde civile n'a pas brillé par son bilan inexistant, apprécie-t-il. Pour lui, elle « n'était qu'une élection présidentielle bis destinée à légitimer le président mal élu ».