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Un marché sous pression
Industrie de la Bière en Algérie
Publié dans El Watan le 18 - 08 - 2005

Mieux vaut boire avec modération que de s'abstenir avec exagération. » Cette boutade de brasseur, prise comme information ou sous l'angle publicitaire, renseigne, si besoin est, sur l'importance du marché de la bière qui, dans le cas algérien où la société reste profondément pieuse, semble avoir du mal à suivre le rythme effervescent du domaine brassicole.
Pourtant, pour les différents intervenants dans la filière et de l'avis d'experts, le marché de la bière en Algérie a de beaux jours devant lui. Tous s'accordent sur un chiffre : la demande nationale en bière est située autour de 1,2 million d'hectolitres par an. Une demande qui ira crescendo dans un pays chaud et qui aspire à redonner au tourisme sa place dans l'économie nationale. A en croire des études d'experts dans le domaine, en 2003, la production mondiale de bière avoisine les 1,5 milliards d'hectolitres par an, dont la consommation de bière par habitant reste relativement faible en Afrique. Elle représente seulement 4,66% du marché mondial, alors que l'Afrique du Nord ne représente que 8,71% de la consommation totale africaine par an, estimée à 66 millions d'hectolitres. En Algérie, le marché de la bière représente 16 % de la filière Boissons, soit quelque 5,12 milliards de dinars, selon une étude faite par les experts d'Euro Développement PME en juin dernier. Quatre brasseries d'Etat et quatre autres privées constituent les principaux acteurs de la filière. Les brasseries étatiques, composées des unités de Reghaïa et El Harrach au Centre, ainsi que celles de Annaba et d'Oran, relèvent du Groupe boissons d'Algérie (GBA). Le compte à rebours semble avoir commencé pour elles, depuis leur éligibilité à la privatisation. Une procédure de privatisation en cours depuis août 1998. Quant aux brasseries privées (Tango, Castel, SNB, et récemment Algad-Tessala El Merdja), en ayant la part belle, elles continuent à inonder le marché de leurs produits. Un marché décidément sous pression où, en plus de la forte production des brasseries sus-citées, viennent s'ajouter des produits issus de l'importation (Heineken, Kronenbourg 1664 et autres), même si cette dernière reste dans des proportions moins importantes.
Brasseries étatiques : le compte à rebours
Les négociations débuteront en septembre pour les 4 brasseries d'Etat dépendant de GBA. Pour celle d'Oran, les travailleurs manifestent leur volonté de la reprendre, selon le président du directoire, M. Boukaffa. Ce dernier a estimé le marché algérien de la bière à 2 millions d'hectolitres par an. Selon lui, l'offre dépasse la demande. Créée en 1958, l'Entreprise de production de boissons de Reghaïa (EPBR) a été nationalisée en novembre 1976. Elle a été intégrée à la société nationale des eaux minérales de l'Algérois (EMAL) suite à la restructuration industrielle de 1982. Suite à la filialisation de l'EMAL, l'EPBR a vu le jour sous forme d'EPE/EURL le 1er janvier 1998. Elle devient SPA en juillet 2003. Pour le DG, Mustapha Rahma, « le marché de la bière en Algérie est un marché en pleine mutation. Il n'y a pas d'équilibre de tout le système et personne ne détient le monopole. Il y a des évolutions comme par exemple dans l'emballage ou le jetable qui a supplanté les anciennes bouteilles et maintenant il y a de plus en plus le jetable et à vis dit "twist off". Une autre donne aussi, ce sont les bières sans alcool. Nous avons lancé à l'époque, dans les années 1980, la bière Malta et, aujourd'hui, on lance la bière Gold et le Judorge au niveau de la brasserie d'El Harrach ». Avec du matériel vétuste, l'ère du monopole des brasseries étatiques est révolue. Selon M. Rahma, « à l'époque où les brasseries d'Etat avaient le monopole sous la tutelle de GBA, la production totale était de 500 000 à 600 000 hl par an alors que maintenant ça dépasse 1 million d'hectolitres, autour de 1,2 millions hl/an ». Pour lui, le marché est demandeur. « L'Algérie est un pays chaud, et avec l'ouverture la demande sera plus importante, sans oublier aussi la contrebande du produit vers nos frontières, notamment à l'Est et l'Ouest. » Trouvant du mal à faire face à la déferlante des brasseries privées, le DG de l'EPBR a indiqué que « le séisme du 21 mai 2003 a pratiquement bloqué l'usine ». Et d'ajouter : « Pendant plusieurs mois, tous les équipements de production étaient à l'arrêt. La brasserie a dû faire des efforts considérables pour rétablir l'outil de production. En passant de 425 à 307 travailleurs en moins d'une année, soit fin 2004 à début 2005, suite à un plan de mise à niveau initié en 2003 après le séisme, la modernisation des équipements a coûté environ 70 millions de dinars », selon le premier responsable de la brasserie. « Le séisme a fait environ 140 millions de dinars de pertes, selon des experts, mais ça dépasse de loin cette estimation », a indiqué M.Rahma, en ajoutant que cette grande machine « commence à se mettre en marche ». « Nous avons amélioré nos produits, notamment la Gold qui était un produit accessoire et qui devient actuellement l'un des produits phares tellement elle est très appréciée », a-t-il dit. De l'avis de M. Rahma, « il faut mettre la pression pour pénétrer le marché », en estimant le chiffre d'affaires annuel de son entreprise entre 1,5 à 2 millions de dinars représentant quelque 10% du marché de la bière en Algérie. Des difficultés des brasseries d'Etat, M. Rahma dira : « Contrairement aux brasseries d'Etat où les 2/3 du personnel c'est la production et 1/3 c'est le commercial ; le privé, c'est 2/3 de son effectif dans le commercial. Sans parler de la bureaucratie qui nous pénalise. » Quant au phénomène religieux, il ne semble guère contrarier les producteurs de bière. A en croire M. Rahma, la brasserie a réalisé ses meilleures ventes durant les années du terrorisme. « Le plus grand chiffre d'affaires a été réalisé en 1992 où nous avons dépassé les 250 000 hl de bière par an. Un volume de vente unique dans les annales de la brasserie de Reghaïa », a-t-il souligné.
EPB EH : 100 millions de dinars de chiffre d'affaires en 2004
L'Entreprise de production de boissons El Harrach (EPB EH) emploie 200 employés. Ils étaient 517 en 1998. Avec un chiffre d'affaires de 100 millions de dinars en 2004, selon son DG Hamid Bourahla, la brasserie a exporté du Judorge en Libye, l'année dernière. Pour la mise à niveau des équipements, un investissement d'environ 80 millions de dinars a été engagé. Pour M. Bourahla, le marché de la bière connaît une très forte offre par rapport à la demande, ce qui fait que la concurrence devient impitoyable. Pour lui, les brasseries étatiques font un travail d'équilibre dans les boissons, pour ce qui a trait à la qualité, c'est-à-dire répondant aux normes requises en matière de santé, d'hygiène, etc. Il ira même jusqu'à indiquer que « tous les étrangers qui se trouvent en Algérie préfèrent la bière locale. Nos meilleurs clients sont les étrangers : les ambassades, les Chinois, Japonais, etc., pour une raison très simple : meilleure qualité et meilleur prix ». Quant aux parts de marché de ces produits, M. Bourahla trouve que le marché en Algérie n'est pas une affaire de prix ou de qualité mais une affaire de distribution. « La plupart des distributeurs prennent des produits à terme. Peut être que les brasseries étatiques dans ce système-là n'ont pas assez de pouvoir », dit-il. Plus explicite, un cadre financier de la brasserie a souligné qu'avant la suppression de la taxe spécifique additionnelle (TSA), celle-ci représentait 90% du chiffre d'affaires. Tentant une explication de la difficulté des brasseries étatiques, il dira : « Depuis la filialisation, cette unité était leader du GBA. Elle a fait des résultats dépassant les 220 millions de dinars de bénéfices. Les travailleurs touchaient une prime de bénéfice de 50 000DA annuelle. Il y a un concurrent qui vient de naître et a pris la décision, suite à une loi de finances complémentaire, de la supprimer. Il ne pouvait à l'époque concurrencer les brasseries étatiques de manière générale et la nôtre plus particulièrement. Par ailleurs, les mêmes règles fiscales ne sont pas appliquées connaissant la rigueur dans le recouvrement et le respect des procédures des entreprises étatiques, ce qui est loin d'être le cas pour le privé. » Quant à la privatisation, le DG a considéré que le personnel, techniciens et travailleurs, « ne cherchent pas la sécurité dans l'inertie. Ils cherchent la sécurité par le travail et par l'effort ». Pour M. Bourahla, « le privé a apporté un plus, car la concurrence stimule l'effort ». Et d'ajouter : « Le groupe GBA est en train de relever le défi. A l'Est et à l'Ouest, nous avons deux brasseries dont les produits se vendent très bien. Actuellement, on n'arrive même pas à satisfaire la demande de la saison estivale. Au Centre, les deux brasseries sont en train de se réintroduire sur le marché. » Et au cadre financier d'enchaîner : « Il ne faut pas se faire d'illusions, si l'Etat n'apporte pas de solutions adéquates aux règles concurrentielles déloyales, les entreprises étatiques c'est une question de temps, car entre temps, les concurrents ont plus de possibilités commerciales. »
Brasseries privées : Tango et Cas(h)...tel
Première brasserie privée à voir le jour en Algérie, la Sarl Tango du richissime homme d'affaires algérien Djillali Mehri a été opérationnelle depuis la mi-mai 2001. Avec une capacité de brassage de 3000 hl/jour (900 000 bouteilles de 33 cl/jour), soit de 650 000 hl par an, la brasserie privée, dont les équipements sont assurés par les firmes allemandes Steineker pour ce qui est des équipements de brassage et Krones pour ce qui est des lignes d'embouteillage, a été construite selon des normes parasismiques, selon son DG, Djamel Boulkedid. Au capital social de 800 millions de dinars, la brasserie de l'ex-député parrainé par le parti islamiste HMS est située à la zone industrielle de Rouiba et emploie près de 350 personnes, dont près d'une centaine de commerciaux et de marketers. En septembre 2000, la brasserie a obtenu le contrat de licence de la marque Stella Artois, du premier brasseur mondial Inbev, et en avril 2004 le contrat de licence de la bière allemande Beck's. Avec un chiffre d'affaires en 2004 de 2,5 milliards de dinars en hors taxe, selon M. Boulkedid, Tango compte brasser large en mettant le cap sur les produits haut de gamme et les bières sans alcool afin de maintenir la position de l'entreprise. Sur un marché où la concurrence se fait de plus en plus sentir, la Sarl Tango, à l'instar des autres brasseries, compte faire de la Tango Gold le produit phare de la gamme Tango, alors que la nouvelle boisson maltée Tango NA sans alcool « connaît un franc succès en Libye », selon le DG de la brasserie, pour qui, « 90% de la production en bières sans alcool de Tango sont exportés en Libye ». Des boissons maltées aromatisées sans alcool seront de la partie des produits Tango à venir. Estimant détenir moins de 30% dans le bas de gamme et plus de 65% dans le haut de gamme sur le marché national de la bière, le DG de la brasserie Tango a indiqué que son entreprise, outre l'investissement de 80 millions de dollars en 2001, investit annuellement quelque 20 millions d'euros pour la mise à jour de ses équipements et la maintenance. Il s'estime être un « contribuable fort » de l'Etat pour des produits généralement surtaxés, même si à l'avenir il craint les répercussions des accords avec l'Union européenne sur son entreprise. Si l'importation de la matière première se fera à moindre frais, « il est certain aussi que nous aurons de sérieux concurrents », a-t-il prédit. Dernier-né des brasseries privées, Algad Tessala El Merdja est créée en 2003 par Saâd Boudemagh, le PDG, dont 60% de fonds propres et 40% en apports bancaires, selon le DG, M. Bouchaâla. M. Boudemagh est actionnaire à Castel à hauteur de 37 % et créateur de l'usine Bavaroise, à en croire le DG d'Algad. L'usine située à Tessala El Merdja dans la wilaya d'Alger a été estimée à 60 millions d'euros, selon le DG commercial, M. Amouri. Employant quelque 320 travailleurs, la brasserie tourne à 300 000 hl au début, bières alcoolisées et non alcoolisées comprises. Partenaire avec le brasseur allemand Kalsberg depuis avril 2005. La capacité de l'usine va être portée à 900 000 hl, selon M. Amouri. « On envisage l'exportation à partir de janvier vers des pays africains et nos voisins. La sans alcool à partir de ce mois-ci pour le marché national et la Libye - 30 000 hl/an vers la Libye de bières sans alcool Eden et Holstein », a indiqué le DG, M. Bouchaâla, pour qui la Holstein sera fabriquée sous licence pour son exportation vers l'Arabie Saoudite et le Moyen-Orient. Algad compte lancer des bières sans alcool aromatisées. Pour le DG, le marché national est partagé entre Castel à hauteur de 50%, Tango à 30% et l'Etat pour 20%. « Notre objectif pour 2005, c'est d'avoir 20% des parts de marché de la bière », dira-t-il en soulignant que, pour l'instant, 60% de leur production, c'est le Centre et la Kabylie. « L'usine a démarré il y a 2 mois, donc on ne peut estimer nos parts de marché pour l'instant. On va jouer sur la qualité et surtout des prix modérés à la portée des Algériens », dira M. Bouchaâla. En contrat d'une année avec un brasseur allemand « pour former des brasseurs et veiller sur la qualité », l'usine où travaillent beaucoup de Turcs est équipée d'un matériel moderne de marque Kones. Tout le montage est allemand, assurent les responsables de la brasserie. A propos du marché de bière, le DG d'Algad a estimé que « c'est un marché appelé à se développer. Comparativement à la Tunisie, la consommation étant la même alors que l'Algérie est trois fois plus peuplée ».


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