En quelques coups de crayon bien sentis, les édition LUG et Mon journal ont conquis pendant des années le cœur de la jeunesse dans de nombreux pays, notamment l'Afrique du Nord. « C'est extraordinaire, s'extasie encore Abderahmane, un lecteur passionné de la bande dessinée, deux modestes maisons d'éditons qui, des années durant ont fait rêver et vibrer à l'unisson tout un continent ! » Ceux qui, comme Abderahmane, ont connu dans leur jeunesse cette époque, où on n'hésitait pas à se priver de l'essentiel pour l'achat d'un album, savent tous ce qu'il veut dire. C'était l'époque où selon notre fan de BD, chacun avait sa petite « bibliothèque », qu'il ouvrait aux autres avec fierté pour en montrer les fabuleux trésors. On y trouvait de tout, des Blek, Kiwi, Nevada, Zembla, Rodéo, Akim et Swing, mais aussi d'autres albums comme les inénarrables Pieds nickelés, Popeye, Tartine, Tom et Jerry, Bugs Bunny et puis les nouveaux comme Rahan, Conan, Stranges, Vengeurs. On ne se contentait pas alors de lire et de rêver seulement en partant à l'aventure toujours vers de nouveaux lieux, de nouveaux rivages. On échangeait, on donnait les illustrés lus et relus inlassablement. Et cela finissait forcément par créer des liens entre lecteurs. Des amitiés se tissaient. Abderrahmane en connaît encore quelques-unes que le temps n'a pas réussi à défaire aujourd'hui. Grâce à elles, d'ailleurs, ce lecteur modèle continue à avoir sa ration d'albums. « C'est un bain de jouvence. Quand je m'y replonge, c'est toute une époque que je retrouve faite d'insouciance, de joie et de plaisirs partagés avec d'autres camarades. » Ce disant, il pense à Mohamed, ce collectionneur inlassable qui, au cours de ses nombreux voyages à l'étranger, a réussi à monter une collection fabuleuse estimée par notre interlocuteur à 1000 albums. Quand il en éprouve le besoin, il se rend chez lui à Lakhdaria pour faire sa provision d'albums pour un mois ou deux. En nostalgique de cette époque heureuse, comme il en existe quelques-uns un peu partout, ici et ailleurs, Abderrahmane ne comprend pas cette inepte décision qui a été derrière l'interdiction d'entrée de la bande dessinée chez nous vers les années 1970. « Ce fut un rude coup pour la jeunesse, qui, désemparée, ne savait plus à s'raccrocher », déplore-t-il. On sait aujourd'hui à quoi se raccrochent beaucoup de jeunes désœuvrés ; s'ils ne se suicident pas, ils se réfugient dans l'alcool et la drogue, ce qui constitue en somme une autre forme de suicide, puisque alcool et drogue les mènent tôt ou tard vers leur propre destruction.