A l'ombre du siège de la wilaya, il faut faire vite. Repérer le minibus qui « accoste » à toute allure, se placer au bon endroit pour gagner la pole position et sauter à l'intérieur. C'est bon. Le voyage de Béchar-ville, à 1100 km au sud-ouest d'Alger, vers Béchar Djedid (Béchar la nouvelle ou Bidondou), à 6 km de la minigare routière, commence. Tarif de la course : 7 DA. Traversée rapide sur la RN 6 vers Tindouf, à travers des arrêts aux noms singuliers : Dos d'âne, Michelin, Berred (théière, rond-point rehaussé d'un ustensile géant se voulant décoratif), etc. Défilé de constructions d'un ou de deux étages, casernes, garages de mécanique. Les portraits du chef de l'Etat se raréfient de plus en plus. « Bousta », annonce le receveur. C'est un peu le centre de Béchar- Djedid, le quartier de 65 000 habitants, qui a connu un mouvement de colère au début de juillet dernier. Des coupures répétitives du courant électrique, entre le 26 juin et le 6 juillet derniers, « ont été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase », témoigne un habitant rencontré à côté de la poste repeinte la veille d'un ocre aveuglant, entre le quartier El Qettara et celui de Z'rigat. « A l'intérieur, tout est ravagé », explique Omar, habitant de Béchar Djedid, douloureuse extension urbaine née durant la période coloniale suite à la découverte de charbon et qui n'arrive apparemment pas à devenir une localité où l'on peut vivre. « La route est squattée par les taxis qui font l'aller-retour vers le centre-ville. Ici, c'est un dortoir. Pas d'espace de jeu, pas de stade, 60% de chômage... », énumère un correspondant de presse habitant la localité. « Mis à part les taxiphones, les douches, les épiceries et les minibus, il n'y a aucune activité. On vit grâce aux militaires (Béchar étant le chef-lieu de la 3e Région militaire). On n'a pas de zone industrielle... », ajoute son voisin. Les classes d'écoliers connaissent une moyenne d'occupation de 42 élèves. Note d'espoir, les filles représentent le plus haut taux de réussite au bac. Le système d'assainissement reste dépassé par la hausse du débit des eaux usées impliquée par la montée démographique. L'oued Béchar, qui passe aux abords de la localité, charrie maladies et désagréments et n'est nettoyé que par les crues saisonnières. La clinique ne répond pas à la demande croissante. « Il y avait donc plus que les coupures d'électricité. La colère ne s'est pas calmée durant douze jours bien que l'électricité ait été rétablie le jour-même », raconte-t-on. « Les agents de l'ordre ont dérapé. Ils ont traité les gens de Marocains, ils ont obligé des jeunes à baisser leurs pantalons en public », témoigne un habitant. Des élus APC ont préparé un communiqué à l'intention de l'opinion publique et du Président demandant d'engager des poursuites judiciaires contre ces agents de l'ordre, croit savoir un journaliste de Béchar. On se rappelle que le chef du gouvernement Ahmed Ouyahia avait qualifié les citoyens en colère de ressortissants étrangers manipulés. Comme si le fait d'être étranger suffisait à avoir honte. Mais n'y avait-il pas des slogans peints sur les murs insultant Bouteflika et glorifiant le roi du Maroc ? « Ce sont “leurs” gens qui ont fait cela pour justifier la répression », indique un homme, la quarantaine. « Nous n'étions pas au courant qu'il y avait un bureau du Polisario à Béchar Djedid. Quand les jeunes ont commencé à saccager les locaux aux alentours, ils ont pris ce bureau pour un local étatique. C'est tout », poursuit-il sous la lumière d'une partie des lampadaires neufs qui viennent d'être installés la matinée du vendredi 26 août. « Pourtant, je ne pense pas que le Président passera par là. Aucun officiel n'est passé ici », dit un autre Djedidi. Les « émeutiers » ont été libérés par doses homéopathiques. Mesures d'apaisement en prévision de la visite de Abdelaziz Bouteflika ? Les « émeutiers » de Tamanrasset peuvent alors espérer que le Président passe par Tam. « Mais le wali, qui était absent durant les événements et qui avait refusé de recevoir les gens, n'a pas été muté. Les élus de l'APW qui avaient demandé son départ sont dans de beaux draps », indique un journaliste de Béchar. Résultat : « La wilaya est bloquée ». La représentation citoyenne aussi semble dans l'impasse. « Les gens ne croient plus en les promesses des campagnes électorales. Les comités de quartier, les élus qui ne peuvent même pas pousser les autorités à réaliser des trottoirs, perdent leur crédibilité », explique le correspondant. « Le wali lui-même a reconnu que Béchar était la plus pauvre wilaya du pays », rappelle un habitant au fait de l'actualité locale.